21 novembre 2010 – Fête du Christ Roi

Chapitre à la Communauté de Scourmont

 

Un roi qui meurt pour sauver son peuple

 

            La fête du Christ Roi est toujours une bonne occasion de méditer à nouveau sur le texte du Prologue de la Règle de saint Benoît qui dit : « À toi s’adressent mes paroles, qui que tu sois, qui, ayant renoncé à ta volonté propre, pour suivre le Christ Seigneur, le vrai roi, prends les très fortes et glorieuses armes de l’obéissance. »

            Saint Benoît parle du Christ Roi, mais l’image qu’il utilise n’est pas celle d’un maître sévère ayant ses sujets et ses esclaves à ses pieds.  C’est celle d’un maître plein de bonté.  À vrai dire, Benoît, en bon Romain du 6ème siècle, utilise des images militaires.  Le Christ est un roi qui est descendu dans la bataille contre les puissances des ténèbres.  C’est le Christ, tel qu’il nous est décrit dans la Lettre aux Philippiens.  Il s’est humilié, anéanti ;  il s’est fait obéissant jusqu’à la mort et la mort de la croix.  Il a renoncé à revendiquer son égalité à Dieu.  Il a renoncé à ses droits et privilèges, pour adopter cette forme ultime et parfaite de l’amour qu’est l’obéissance.  Et c’est pour cela que le Père l’a gratifié et lui a donné le nom de Seigneur (Kyrios).  Il trône sur la croix et il revient dans sa gloire à la fin des temps.

            La célébration liturgique du Christ Roi fut instaurée en 1925 par Pie XI, qui l’avait assignée au dernier dimanche d’octobre. C’était l’époque où l’Église, qui boudait encore les républiques récemment établies dans le monde occidental, conservait une certaine nostalgie des monarchies en voie de disparition. (C’était d’ailleurs l’époque où certains, comme l’avait fait Dom Guéranger à la fin du 19ème siècle, affirmaient que l’Église était une monarchie). La réforme du calendrier après Vatican II a transféré cette solennité au dernier dimanche de l’année liturgique, lui donnant ainsi un caractère plus eschatologique (et moins politique).

            Au troisième nocturne ce matin, nous avions une belle homélie de saint Jean-Chrysostome où il affirmait que c’est le propre du roi de mourir pour son peuple. Dans l’antiquité la royauté apparaît lorsque des groupes humains, des tribus, des nations demandent à quelqu’un de fort, courageux et entreprenant, de se mettre à leur tête pour organiser leur vie collective et en particulier leur défense contre les attaques de leur ennemis. Le roi est donc normalement le premier sur la ligne de combat dans les batailles et le plus exposé. Il s’agit tout d’abord d’un service qui se transforme facilement en pouvoir sur son propre peuple et parfois en asservissement.

            Dans la littérature monastique pachômienne il y a un petit ouvrage appelé le Liber Orsiesii, qui est l’oeuvre de Horsièse, le deuxième successeur de saint Pachôme à la tête de la Koinonia ou Congrégation pachômienne. Or l’un des points centraux de ce document est de mettre en garde les supérieurs et tous ceux qui ont des responsabilités dans la communauté de profiter de leurs fonctions pour se donner des privilèges ou se procurer des satisfactions que les autres membres de la communauté n’ont pas.  Rien n’est plus opposé à l’esprit du Christ, comme nous le rappelle l’évangile d’aujourd’hui, dans le récit de la crucifixion selon saint Luc.

            Dans cette scène, alors que le peuple reste là, silencieux à regarder le Christ crucifié, tous les autres se déchainent et, finalement disent la même chose.  Les chefs du peuple juif ricanent et disent : « Il en a sauvé d’autres, qu’il se sauve lui-même ». Les soldats se moquent de lui et disent : « Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même » Et même le premier des deux larrons lui dit : « N’es-tu pas le Messie ?  Sauve-toi toi-même ».

            « Sauve-toi toi-même » répètent-ils tous.  Comme si Jésus était venu pour se sauver lui-même et non pour sauver tous ceux qui étaient perdus.  On l’invite à montrer sa puissance en descendant de la croix.  Mais il est justement monté sur la croix pour manifester sa faiblesse – notre faiblesse, qu’il avait assumée.  Ils sont tous trop conscients de leur pouvoir et de leur valeur personnelle pour se rendre compte qu’ils ont besoin d’être sauvés.  Il ne peuvent imaginer rien d’autre qu’un roi plein de pouvoir et de puissance, alors que la fonction première du roi que Dieu avait donné au Peuple à l’époque de Samuel était de défendre les pauvres, les petits, la veuve et l’orphelin, de faire justice aux faibles et aux opprimés.

            À notre époque où l’Église après avoir été dépouillée de son pouvoir a perdu aussi même sa crédibilité auprès d’une grande partie de la population, elle serait bien mal venue de faire de la fête du Christ Roi une occasion de triomphalisme.  Elle doit plutôt voir son modèle dans le roi qui meurt sur la croix, non pas pour se sauver lui-même, mais pour sauver son peuple, comme le pasteur qui risque et donne sa vie pour ses brebis.

            Le bon larron – dont je parlerai plus longuement dans l’homélie de la messe, ce matin – demande à Jésus de se souvenir de lui « Souviens-toi de moi quand tu viendras établir ton règne ».  C’est le souvenir qui relie au Christ les croyants de tous les temps, c’est-à-dire ceux qui se souviennent de lui et de la recommandation qu’il leur a faite : « Faites ceci en souvenir de moi ».  Mais c’est aussi, et avant tout, le souvenir que Lui, Jésus, a de tous les siens, qui les relie à Lui. « Souviens-toi de moi » dit ce larron qui n’avait évidemment pas entendu la recommandation de Jésus à la dernière cène, mais qui savait peut-être ce que Jésus avait dit de la femme qui lui avait arrosé les pieds de parfum, les avait arrosés de ses larmes et essuyés de ses cheveux : « Partout où cet évangile sera annoncé, avait-il dit, on rapportera ces faits en mémoire d’elle ».

            C’est ce souvenir que Jésus a de nous qui établit un pont entre l’éternité et notre vie d’ici-bas. Le royaume éternel de Dieu est alors instauré dans le moment présent : « Aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. »

            Notre vie, qui se veut une vie de prière continuelle, c’est-à-dire une vie en présence de Dieu, s’efforce de conserver présent en nos coeurs le souvenir de Jésus. Mais cela n’est possible que parce que Jésus se souvient lui-même de nous. Il est notre roi parce qu’il a donné sa vie pour nous défendre et nous racheter. Efforçons-nous de faire de même les uns pour les autres.

 

Armand VEILLEUX 

 

 

 

             

 


 

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