Chapitre du 14 novembre 2010

 

Les doyens du monastère (RB 21)

 

Si la communauté est nombreuse, on choisira quelques-uns d’entre les frères qui sont de bonne réputation et de sainte vie, et on les établira doyens.  Ils veilleront en tout sur leurs décanies, conformément aux commandements de Dieu et aux ordres de leur abbé.  On choisira pour doyens ceux des moines avec lesquels l’abbé puisse en toute sécurité partager son fardeau.  On ne les choisira pas selon leur ancienneté dans la communauté, mais selon le mérite de leur vie et la sagesse de leur doctrine.

Si, par hasard, l’un d’eux, enflé d’orgueil, mérite répréhension, on le corrigera une première, une deuxième et une troisième fois.  S’il ne veut pas s’amender, on le déposera et on mettra à sa place un autre qui en soit digne.  Nous établissons la même règle au sujet du prieur.

 

            Après la longue série de chapitres sur la prière, Benoît entreprend de parler de plusieurs aspects pratiques de l’organisation de la communauté.  Et il commence en mentionnant  les personnes avec qui l’abbé partagera le poids de son service, si la communauté est assez nombreuse. Il ne s’agit donc pas ici de ceux avec qui il partagera divers aspects de sa paternité spirituelle, quelle que soit la dimension de la communauté, c’est-à-dire le cellérier, le responsable de l’hôtellerie, les infirmiers ou encore l’ancien ou les anciens à qui sont confiés les nouveaux venus. Il s’agit de personnes qui partagent la responsabilité générale de l’abbé à l’égard d’un certain nombre des frères.

            On retrouve ici, sous-jacente, la notion chrétienne fondamentale de service ; et l’expression des critères à prendre en considération dans le choix de ces personnes utilise un vocabulaire qui renvoie explicitement à deux antécédents bibliques, le choix d’anciens faits par Moïse et le choix des diacres dans les Actes des Apôtres.

            Au début du Deutéronome, au moment de quitter l’Horeb pour entreprendre le grand voyage de l’Exode, Moïse, dans son premier discours au peuple, leur dit : « Je ne peux pas vous porter seuls ; le Seigneur vous a rendus nombreux... amenez-moi des hommes sages, intelligents et éprouvés que je mettrai à votre tête » (Deut. 1, 15). Moïse les constitue « doyens » -- decani dans le texte latin de saint Jérôme qui s’inspire évidemment de la structure des troupes romaines en groupes de dix, cent, mille, etc. Cette référence à l’Exode montre bien que Benoît voit dans l’Exode du peuple au désert une image de la vie monastique. On vient au désert pour se laisser former par Dieu dans la solitude.

            Quant à l’expression « des frères qui sont de bonne réputation et de sainte vie », c’est une citation du chapitre 6 des Actes des Apôtres où est décrit le choix que font les Apôtres de diacres avec qui ils partageront le poids de leur service.

            Les doyens doivent être des hommes avec qui l’abbé puisse « en toute sécurité » partager le poids de son service.  Ce ne sont pas les « seniores » dans l’ordre de l’entrée au monastère, même si cet ordre d’ancienneté a son importance en communauté.  Le choix sera basé sur « le mérite de leur vie et la sagesse de leur doctrine ».  On retrouve ici deux notions fondamentales de la spiritualité bénédictine : la première est que celui qui enseigne doit le faire par l’exemple de sa vie aussi bien que par ses paroles ; et la seconde est que la paternité spirituelle s’exerce avant tout dans le partage de la parole (doctrina).

            On vient au monastère pour mener une vie de conversion.  On n’est donc pas parfait lorsqu’on y arrive et l’on n’atteindra pas la perfection ici-bas. Benoît prévoit donc que quelqu’un qui a été choisi pour partager le service de l’abbé puisse s’enfler d’orgueil et se montrer répréhensible (tout comme peut arriver aussi à l’abbé). À son égard Benoît manifeste une patience surprenante.  Il ne sera pas limogé à la première offense.  Il sera réprimandé une première, une deuxième et une troisième fois et ne sera destitué que s’il ne s’est pas corrigé après la troisième réprimande. Cela manifeste aussi que, pour Benoît, la responsabilité pastorale n’est pas une chose ponctuelle. Même si elle n’est pas ad vitam, elle implique une durée dans le temps, aussi bien pour les assistants de l’abbé que pour celui-ci.  La responsabilité de doyens, telle que la conçoit Benoît, à la suite de l’enseignement de Cassien, qui s’inspire lui-même du monachisme égyptien, implique donc de la durée et est autre chose que l’appel à rendre un service ponctuel, si important soit-il.

            Beaucoup plus loin dans sa Règle, Benoît aura un chapitre sur le prieur.  Ici, il mentionne simplement, en terminant le chapitre, que tout ce qu’il dit des doyens s’applique aussi au prieur.

            Même si Benoît préférait le système des doyens au prieur, le fait est que l’institution du prieur a été une constante de la tradition bénédictine beaucoup plus que celle des doyens.

            Divers essais ont été faits à notre époque, dans les communautés de notre Ordre et dans l’OSB, surtout après Vatican II, pour instaurer ou restaurer des décanies au sein des communautés.  Sauf exception, cela n’a pas duré longtemps, même si cela a parfois donné des résultats utiles au niveau du dialogue.  L’explication est probablement, qu’on a vu dans les « décanies » une façon de créer de petites communautés « à dimension humaine » (comme on disait) à l’intérieur de grandes communautés.  On a même eu parfois l’impression que certaines communautés se transformaient en sorte de grandes troupes de « scouts » divisées en petites un patrouilles... (ce qui reste la caractéristiques de certaines « communautés nouvelles »). Cela n’était vraiment pas la perspective de Benoît.  La sienne était plutôt, de donner à l’abbé la possibilité de partager le poids de son service – ou de sa charge (onera sua) -- avec diverses personnes.

            L’idée de communauté est centrale dans la spiritualité de Benoît, comme d’ailleurs dans l’Église comme telle.  Mais la communauté ne se bâtit par simplement par l’établissement de formes agréables de relations et d’échanges ; elle se bâtit à travers les services mutuels les plus concrets.  Les relations agréables en sont le fruit.

 

Armand VEILLEUX

           

 

 

 

             

 


 

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