31 octobre 2010
Chapitre
à
la
Communauté
de
Scourmont
De la révérence
dans
la
prière
(
RB
20)
Quand on veut soumettre quelque requête à des puissants,
on
ne
s’y
hasarde
qu’avec
modestie
et
déférence.
A fortiori, est-ce en toute humilité qu’on suppliera le
Seigneur,
Dieu
de
l’univers,
en
nous
en
remettant
à
lui
sans
réserve.
Et ce n’est pas par l’abondance des mots, mais par la pureté
du
coeur
et
les
larmes
de
la
componction
qu’on
est
exaucé,
sachons-le.
C’est pourquoi la prière doit être brève et pure, sauf à
la
prolonger,
si
l’on
est
touché
par
l’inspiration
de
la
grâce
divine.
Mais, en communauté, la prière sera très brève, et, au signal
du
supérieur,
tous
se
lèveront
en
même
temps.
Comme nous l’avons vu la dernière fois,
Benoît
termine
sa
longue
série
de
chapitres
sur
l’Opus
Dei
par
deux
beaux
chapitres
sur
l’attitude
à
avoir
durant
la
prière :
les
ch.
19
et
20.
Nous
avons
déjà
commenté
le
c.
19
sur
l’attitude
durant
la
psalmodie
et
nous
considérons
aujourd’hui
le
c.
20
intitulé
« De
la
révérence
dans
la
prière ».
Dans l’antiquité, aussi bien en Occident
qu’en
Orient,
l’habitude
s’était
prise,
durant
la
prière
de
l’Office
Divin,
d’alterner
la
récitation
des
psaumes
avec
des
moments
de
prière
silencieuse
et,
très
souvent
une
prière
psalmodique
reprenant
sous
forme
de
prière
l’attitude
spirituelle
transmise
par
le
psaume.
Cette
pratique
était
encore
courante
à
l’époque
de
Benoît,
et
même
si
celui-ci
ne
la
mentionne
pas
explicitement
dans
sa
Règle,
il
semble
bien
que
ce
soit
cela
dont
il
parle
dans
ce
chapitre-CI.
C’est
du
moins
–
quoique
avec
des
nuances
diverses
–
la
position
actuelle
de
la
plupart
des
spécialistes
de
la
Règle.
Benoît, comme il le fait souvent, exprime
tout
d’abord
un
principe
général
qui
vaut
en
toute
circonstance. Écrivant pour des gens ayant vécu sous des seigneurs
féodaux
qui
s’attribuaient
des
pouvoirs
pratiquement
de
vie
et
de
mort
et
qui
aimaient
se
faire
craindre,
Benoît
leur
rappelle
d’abord
avec
quelle
modestie
et
déférence
ils
s’adressent
à
ces
seigneurs
humains. Et il leur explique que, a fortiori,
lorsqu’on
s’adresse
au
Maître
de
l’univers,
pour
lui
présenter
(suggerere, dit le texte de Benoît), nos besoins ou
nos
désirs,
nous
devons
le
faire
cum
omni
humilitate
et
puritatis
devotione. L’expression cum omni humilitate,
peut
assez
facilement
se
traduire
par
« en
toute
humilité ».
Quant
à
puritatis devotione,
c’est
un
peu
plus
complexe.
L’expression revient plus d’une fois
dans
la
littérature
monastique
primitive,
depuis
Cassien.
Celui-ci
parle
à
plusieurs
reprises
de
la
« pureté
du
coeur »
nécessaire
pour
obtenir
une
vraie
connaissance
de
la
Parole
de
Dieu,
et
pour
mener
une
vie
de
prière.
D’une
part
la
prière
par
excellence,
la
contemplation,
est
désignée
comme
« prière
pure »,
mais
elle
n’est
possible
qu’à
celui
qui
a
atteint
la
pureté
du
coeur. Un coeur pur est un coeur transparent, non divisé,
en
qui
il
n’y
a
aucune
duplicité,
aucune
fausseté.
Benoît
parle
d’ailleurs
de
la
pureté
du
coeur
dans
la
phrase
suivante.
Quant Benoît parle de puritatis devotione,
il
ne
s’agit
évidemment
pas
de
dévotion
au
sens
qu’on
donne
facilement
aujourd’hui
à
ce
mot.
Il
s’agit
de
dévotion
au
sens
étymologique,
qui
implique
qu’on
est
totalement
dévoué,
totalement
au
service
de
quelqu’un,
et
cela,
en
toute
pureté
ou
sincérité.
Il faut aussi remarquer que les expressions
utilisées
par
Benoît
pour
décrire
celui
qui
prie
en
toute
humilité,
rappellent
en
filigrane
le
récit
de
la
prière
du
publicain,
dont
l’évangile
de
la
messe
nous
a
parlé
la
semaine
dernière.
Une autre condition pour être écouté
est
que
notre
prière
soit
faite
avec
des
larmes
de
componction,
c’est-à-dire
avec
la
conscience
que
nous
sommes
pécheurs
et
avons
besoin
de
la
miséricorde
divine,
qui
nous
est
toujours
offerte.
Benoît conclut donc, dans une formule
lapidaire :
« La
prière
doit
donc
être
brève
et
pure ».
Ici,
on
retrouve
en
arrière-fonds,
évidemment,
la
recommandation
de
Jésus
dans
le
Sermon
sur
la
montagne :
« Quand
tu
pries,
ne
fais
pas
comme
les
païens
qui
pensent
qu’ils
seront
écoutés
parce
qu’il
utilisent
beaucoup
de
mots ».
Benoît reconnait que parfois l’inspiration
de
la
grâce
divine
peut
pousser
à
une
prière
plus
longue,
mais
il
ajoute
immédiatement
que
cela
ne
vaut
pas
pour
la
prière
en
commun.
Le rituel décrit par Benoît, ou plutôt
le
rituel
qu’il
suppose
(car
il
n’est
pas
intéressé
ici
à
le
décrire)
semble
bien
être
assez
semblable
à
ce
qu’on
trouvait
chez
saint
Pachôme.
Après
le
psaume
écouté
assis,
tous
les
frères
le
levaient
puis
s’inclinaient
ou
se
prosternaient
en
silence
jusqu’à
ce
que
le
supérieur
donne
le
signal
pour
que
tous
se
relèvent
puis
s’assoient
de
nouveau.
Cette insistance de Benoît sur une
prière
brève
en
commun
ne
se
comprend
que
si
l’on
se
souvient
toujours
que
la
préoccupation
première
du
moine
est
de
mener
une
vie
de
prière
continuelle. Les moments de prière en commun ne sont pas
les
seuls
moments
de
prière
de
chacun
des
moines,
mais
simplement
des
moments
qui
viennent
rythmer
leur
prière
continuelle
et
durant
lesquels
ils
mettent
en
commun
leur
prière.
Cette prière commune est aussi avant
tout
une
« action »,
un
opus.
C’est
l’ensemble
de
cette
action
commune,
de
cet
opus
qui
est
prière
et
non
seulement
les
brefs
moments
où
chacun
peut
faire
sienne
cette
prière
commune
en
l’intériorisant.
Armand VEILLEUX