Chapitre du 17 octobre 2010

 

 

Le maintien pendant la psalmodie (RB 19)

 

De disciplina psallendi

 

Le maintien pendant la psalmodie

 

Ubique credimus divinam esse praesentiam, et oculos Domini in omni loco speculari bonos et malos ;  maxime tamen hoc sine aliqua dubitatione credamus, cum ad opus divinum assistimus. 

Nous croyons fermement que Dieu est présent partout et que les yeux du Seigneur considèrent en tout lieu les bons et les méchants ;  mais surtout, il faut le croire fermement lorsque nous assistons à l’office divin. 

Ideo semper memores simus, quod ait Propheta :  « Servite Domino in timore » ; et iterum : « Psallite sapienter » ;  et : « In conspectu angelorum psallam tibi. » 

Ayons donc toujours dans la mémoire ce que dit le Prophète : « Servez le Seigneur dans la crainte » Et encore :  « Psalmodiez avec sagesse »  Et : « Je te chanterai en présence des Anges. » 

Ergo consideremus, qualiter oporteat in conspectu Divinitatis et angelorum eius esse ;  et sic stemus ad psallendum, ut mens nostra concordet voci nostrae.

Considérons donc comment nous devons nous tenir en la présence de la Divinité et de ses Anges, et tenons-nous pour psalmodier de manière que notre esprit soit en accord avec notre voix.

 

            Après avoir traité durant plusieurs chapitres de la structure et du contenu de la prière commune qu’il appelle l’œuvre de Dieu, Benoît a un très beau chapitre sur l’attitude à avoir durant cet opus.  Ce chapitre 19 est bref, mais très riche, et il nous révèle comment Benoît conçoit l’articulation entre la prière continuelle, qui demeure la constante priorité du moine, et les moments de prière en commun.

            Le titre même du chapitre – De disciplina psallendi – n’est pas facile à traduire. Le mot français « discipline » ne rendrait certainement pas ici le sens du latin « disciplina ». Il s’agit plutôt de l’attitude à avoir durant l’Office, et avant tout de l’attitude intérieure.

            Dans la première phrase,  par l’utilisation du verbe latin credere, Benoît appelle à une attitude de foi. Ce verbe ne signifie pas « croire » dans un sens superficiel comme lorsque nous disons « je crois que », c’est à dire que « je suis de l’opinion que ».  Credere implique une attitude de foi théologale.

            Benoît commence donc par affirmer comme vérité de foi le fait que Dieu est présent partout. Il est présent aux bons et aux méchants. Il nous est présent, c’est-à-dire non seulement qu’il nous voit, mais qu’il nous regarde. C’est là le fondement de la prière continuelle qui consiste à être présent à cette présence divine. Être conscient du fait que Dieu nous voit est beaucoup plus important que de vouloir voir Dieu.

            Si cela est vrai en tout temps et en tout lieu, c’est vrai d’une façon toute spéciale lorsque nous participons à l’Office Divin.  L’expression latine utilisée ici par Benoît est forte et difficile à bien rendre dans une traduction : « cum ad opus divinum assistimus.” Il ne faut certainement pas traduire par « lorsque nous assistons à l’Opus Dei », comme lorsqu’on assiste à une séance faite par quelqu’un d’autre.  « Assistere », en latin, implique une présence active.  L’Office divin est donc une action commune, un travail, un opus, où non seulement Dieu nous est présent et nous considère, mais où nous nous efforçons, ensemble avec nos frères, d’être présents à Dieu, tout comme nous essayons de le faire personnellement tout au long de la journée, pour être fidèles au précepte évangélique de la prière continuelle.

            Benoît appuie cette première affirmation sur trois citations de l’Écriture, dans un paragraphe qui commence par un autre impératif : memores simus, précédé de l’adverbe semper.  « Ayons toujours en mémoire ce que dit le prophète », c’est-à-dire le psalmiste ou, d’une façon plus générale, la Parole de Dieu :

            La première citation est : « Servez Dieu dans la crainte ». La vie monastique est une école du service de Dieu et l’Office divin est l’une des expressions de ce « service ». Nous devons le rendre dans la crainte, qui est une attitude de profond respect, de présence intense, est non une attitude de « peur ».

            La deuxième citation est «Psallite sapienter » -- « Psalmodier avec sagesse », c’est-à-dire d’une façon sage. « Sapienter » vient du verbe sapere – savoir ; et pourrait se traduire par « en connaissance de cause ». Psalmodier avec sagesse veut dire prier dans une attitude de connaissance mutuelle, Dieu nous étant présent et nous-mêmes étant présents à Dieu. Donc, dans une attitude de prière.

            La troisième citation est : « Je te chanterai, ou je psalmodierai pour toi, en présence des anges.  Toujours le même mot « présence ».  En réalité « in conspectu » veut dire plus que simplement « en présence de ». Il s’agit d’une présence qui est un regard, une contemplation.  Cela conduit comme tout naturellement à la conviction que notre prière ici-bas nous unit à la liturgie céleste.  Une idée qui sera développée par les premiers abbés de Cluny, en particulier saint Odilon.

            Ce que Benoît conclut de tout cela est exprimé dans une phrase d’une très grande force, où chaque mot devrait être analysé attentivement : « Ergo consideremus, qualiter oporteat in conspectu Divinitatis et angelorum eius esse “. Nous sommes appelés à « considérer », c’est-à-dire à examiner de façon attentive, la façon dont (qualiter) il faut (oporteat) se tenir, ou plutôt, en traduisant de façon très littérale, dont il faut « être » sous le regard de Dieu et de ses anges ou ses envoyés.

            Et quelle est cette façon, ce qualiter il faut, il importe, d’être sous le regard de Dieu ? La réponse, qui est la conclusion de ce bref chapitre, est : « tenons-nous – sic stemus  -- pour psalmodier de manière que notre esprit soit en accord avec notre voix. Stare ne signifie pas simplement « être », ni simplement « se tenir » ou « se comporter ». Le mot implique une présence active, visible, qui fait partie d’un opus collectif.

            De nos jours, la tendance est de chercher des paroles et des formules qui expriment bien ce que nous pensons ou voulons dire à Dieu.  L’attitude de Benoît est tout l’opposé. C’est notre esprit qui doit être en accord avec ce que nous disons.  Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que la priorité est donnée à la parole, et tout d’abord à la Parole de Dieu que nous récitons et écoutons en même temps, en présence de Dieu, sous son regard et celui de ses anges et de nos frères. Alors que nous récitons cette parole de Dieu jour après jour, elle doit normalement former, transformer notre esprit, qui deviendra graduellement conformé à cette Parole – puisque nous sommes appelés à être conformés à l’image du Christ.

            L’Opus Dei ou la prière commune telle que la conçoit Benoît est tout autre chose qu’une prière « dite » charismatique, où l’on s’efforce de trouver des formules pour exprimer ses sentiments – sinon sa sentimentalité. L’Opus Dei  est le travail de Dieu. Ce n’est pas simplement une activité, un opus que nous faisons pour Dieu, mais un moment où nous laissons Dieu faire son travail, où nous laissons son Verbe, sa Parole, son Fils, nous transformer et nous conformer à son image.

 

Armand VEILLEUX

 

 

 

 

 

             

 


 

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