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Le maintien pendant la psalmodie (RB 19)
Après avoir traité durant plusieurs chapitres de la structure
et
du
contenu
de
la
prière
commune
qu’il
appelle
l’œuvre
de
Dieu,
Benoît
a
un
très
beau
chapitre
sur
l’attitude
à
avoir
durant
cet
opus. Ce chapitre 19 est bref, mais très riche, et
il
nous
révèle
comment
Benoît
conçoit
l’articulation
entre
la
prière
continuelle,
qui
demeure
la
constante
priorité
du
moine,
et
les
moments
de
prière
en
commun. Le titre même du chapitre – De disciplina psallendi – n’est pas facile à traduire. Le mot français
« discipline »
ne
rendrait
certainement
pas
ici
le
sens
du
latin
« disciplina ».
Il
s’agit
plutôt
de
l’attitude
à
avoir
durant
l’Office,
et
avant
tout
de
l’attitude
intérieure. Dans la première phrase,
par
l’utilisation
du
verbe
latin
credere,
Benoît
appelle
à
une
attitude
de
foi.
Ce
verbe
ne
signifie
pas
« croire »
dans
un
sens
superficiel
comme
lorsque
nous
disons
« je
crois
que »,
c’est
à
dire
que
« je
suis
de
l’opinion
que ».
Credere
implique
une
attitude
de
foi
théologale. Benoît commence donc par affirmer comme vérité de foi le
fait
que
Dieu
est
présent
partout.
Il
est
présent
aux
bons
et
aux
méchants.
Il
nous
est
présent,
c’est-à-dire
non
seulement
qu’il
nous
voit,
mais
qu’il
nous
regarde.
C’est
là
le
fondement
de
la
prière
continuelle
qui
consiste
à
être
présent
à
cette
présence
divine.
Être
conscient
du
fait
que
Dieu
nous
voit
est
beaucoup
plus
important
que
de
vouloir
voir
Dieu. Si cela est vrai en tout temps et en tout lieu, c’est vrai
d’une
façon
toute
spéciale
lorsque
nous
participons
à
l’Office
Divin. L’expression latine utilisée ici par Benoît
est
forte
et
difficile
à
bien
rendre
dans
une
traduction :
« cum ad opus divinum assistimus.” Il ne faut certainement
pas
traduire
par
« lorsque
nous
assistons
à
l’Opus
Dei »,
comme
lorsqu’on
assiste
à
une
séance
faite
par
quelqu’un
d’autre.
« Assistere »,
en
latin,
implique
une
présence
active.
L’Office
divin
est
donc
une
action
commune,
un
travail,
un
opus,
où
non
seulement
Dieu
nous
est
présent
et
nous
considère,
mais
où
nous
nous
efforçons,
ensemble
avec
nos
frères,
d’être
présents
à
Dieu,
tout
comme
nous
essayons
de
le
faire
personnellement
tout
au
long
de
la
journée,
pour
être
fidèles
au
précepte
évangélique
de
la
prière
continuelle. Benoît appuie cette première affirmation sur trois citations de l’Écriture,
dans
un
paragraphe
qui
commence
par
un
autre
impératif :
memores simus, précédé
de
l’adverbe
semper.
« Ayons
toujours
en
mémoire
ce
que
dit
le
prophète »,
c’est-à-dire
le
psalmiste
ou,
d’une
façon
plus
générale,
la
Parole
de
Dieu :
La première citation est : « Servez Dieu
dans
la
crainte ».
La
vie
monastique
est
une
école
du
service
de
Dieu
et
l’Office
divin
est
l’une
des
expressions
de
ce
« service ».
Nous
devons
le
rendre
dans
la
crainte,
qui
est
une
attitude
de
profond
respect,
de
présence
intense,
est
non
une
attitude
de
« peur ». La deuxième citation est «Psallite
sapienter »
--
« Psalmodier
avec
sagesse »,
c’est-à-dire
d’une
façon
sage.
« Sapienter »
vient
du
verbe
sapere
–
savoir ;
et
pourrait
se
traduire
par
« en
connaissance
de
cause ».
Psalmodier
avec
sagesse
veut
dire
prier
dans
une
attitude
de
connaissance
mutuelle,
Dieu
nous
étant
présent
et
nous-mêmes
étant
présents
à
Dieu.
Donc,
dans
une
attitude
de
prière. La troisième citation est : « Je te chanterai,
ou
je
psalmodierai
pour
toi,
en
présence
des
anges. Toujours le même mot « présence ».
En
réalité
« in
conspectu »
veut
dire
plus
que
simplement
« en
présence de ».
Il
s’agit
d’une
présence
qui
est
un
regard,
une
contemplation.
Cela
conduit
comme
tout
naturellement
à
la
conviction
que
notre
prière
ici-bas
nous
unit
à
la
liturgie
céleste.
Une
idée
qui
sera
développée
par
les
premiers
abbés
de
Cluny,
en
particulier
saint
Odilon. Ce que Benoît conclut de tout cela est exprimé dans une
phrase
d’une
très
grande
force,
où
chaque
mot
devrait
être
analysé
attentivement :
« Ergo consideremus, qualiter
oporteat
in
conspectu
Divinitatis
et
angelorum
eius
esse “.
Nous
sommes
appelés
à
« considérer »,
c’est-à-dire
à
examiner
de
façon
attentive,
la
façon
dont
(qualiter)
il
faut
(oporteat)
se
tenir,
ou
plutôt,
en
traduisant
de
façon
très
littérale,
dont
il
faut
« être »
sous
le
regard
de
Dieu
et
de
ses
anges
ou
ses
envoyés. Et quelle
est
cette
façon,
ce
qualiter
il
faut,
il
importe,
d’être
sous
le
regard
de
Dieu ?
La
réponse,
qui
est
la
conclusion
de
ce
bref
chapitre,
est :
« tenons-nous – sic stemus -- pour psalmodier de manière que notre esprit
soit
en
accord
avec
notre
voix.
Stare
ne
signifie
pas
simplement
« être »,
ni
simplement
« se
tenir »
ou
« se
comporter ».
Le
mot
implique
une
présence
active,
visible,
qui
fait
partie
d’un
opus
collectif.
De nos jours, la tendance est de chercher des paroles et
des
formules
qui
expriment
bien
ce
que
nous
pensons
ou
voulons
dire
à
Dieu.
L’attitude
de
Benoît
est
tout
l’opposé.
C’est
notre
esprit
qui
doit
être
en
accord
avec
ce
que
nous
disons.
Qu’est-ce
que
cela
veut
dire ?
Cela
veut
dire
que
la
priorité
est
donnée
à
la
parole,
et
tout
d’abord
à
la
Parole
de
Dieu
que
nous
récitons
et
écoutons
en
même
temps,
en
présence
de
Dieu,
sous
son
regard
et
celui
de
ses
anges
et
de
nos
frères.
Alors
que
nous
récitons
cette
parole
de
Dieu
jour
après
jour,
elle
doit
normalement
former,
transformer
notre
esprit,
qui
deviendra
graduellement
conformé
à
cette
Parole
–
puisque
nous
sommes
appelés
à
être
conformés
à
l’image
du
Christ. L’Opus Dei ou la prière commune telle que la conçoit
Benoît
est
tout
autre
chose
qu’une
prière
« dite »
charismatique,
où
l’on
s’efforce
de
trouver
des
formules
pour
exprimer
ses
sentiments
–
sinon
sa
sentimentalité.
L’Opus
Dei
est le travail de Dieu. Ce n’est pas simplement
une
activité,
un
opus
que
nous
faisons
pour
Dieu,
mais
un
moment
où
nous
laissons
Dieu
faire
son
travail,
où
nous
laissons
son
Verbe,
sa
Parole,
son
Fils,
nous
transformer
et
nous
conformer
à
son
image. Armand VEILLEUX
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