10 octobre 2010
Chapitre à la communauté de Scourmont

 

Les Offices du jour (RB 16-17-18)

 

            Après avoir parlé longuement des Offices de la nuit (Vigiles) et des Laudes, Benoît consacre quelques chapitres aux Offices du jour, c’est-à-dire celui de Prime, les trois Petites Heures (Tierce, Sexte et None), ainsi que les Vêpres et Complies.

            Suivant une longue tradition, il rattache le nombre des Offices à une citation du psaume 118 : Sept fois le jour j’ai dit ta louange, tout comme il rattache l’Office de la nuit à une autre citation du même psaume, Au milieu de la nuit, je me levais pour célébrer.

            Pour comprendre le sens de l’Office Divin -- ou de l’Opus Dei, pour utiliser le nom que lui donne Benoît -- dans la vie monastique, il faut partir de l’obligation fondamentale de la vie monastique qui est celle de la prière continuelle.  Les Offices célébrés en commun ne doivent pas être considérés comme des rituels constituant le nombre et la quantité de prières que doit faire un moine.  Ce sont plutôt des moments de prière commune qui ont pour but de rythmer la prière continuelle de chacun des moines. S’il n’y a pas dans nos vies au moins un effort pour vivre aussi constamment que possible en présence de Dieu, ces moments rituels de prière commune seront vides et sans utilité.

            Même si le nombre de ces moments de prière commune au sein d’une communauté correspond à une longue tradition, ce nombre et ces heures ne sont pas des absolus. Seule l’exigence de la prière continuelle est un absolu. Dans l’antiquité, où la seule horloge était l’horloge solaire, et où depuis une très longue antiquité, on divisait le jour, de même que la nuit, en douze heures, l’habitude s’était prise, dans tout l’empire romain, de faire des pauses, aussi bien dans le travail que dans la vie publique, à la troisième, la sixième et la neuvième heure du jour. En profitant de ces pauses pour faire chaque fois un moment de prière, on sanctifiait le rythme ordinaire de la journée.

            Ce rythme est resté à peu près le même aussi longtemps que la culture est demeurée agraire, même dans les grandes villes ; mais cette réalité a été profondément modifiée, aussi bien dans les campagnes que dans les villes, par la révolution industrielle. Ce qui conserve tout son sens, c’est de continuer à rythmer par des moments de prière, notre journée, mais non de prier à certaines heures précises comme si ces heures étaient en elles-mêmes plus sacrées que les autres.

            Dans la réforme liturgique de Vatican II, les Offices de Tierce, Sexte et None du bréviaire romain ont été remplacées par un Office du milieu du jour, puisque le maintien des trois Petites Heures traditionnelles n’avait plus de sens dans le rythme concret de la journée d’un prêtre séculier ou d’un religieux actif devant partager les occupations de leurs contemporains.

            On a conservé tous ces Offices dans la liturgie monastique, mais une assez grande liberté d’adaptation a été donnée par la « Loi Cadre » octroyée à notre Ordre comme à d’autres Ordres monastiques.  Si l’on veut maintenir dans notre vie de bonnes périodes favorables à la lectio divina et avoir de bonnes plages de temps allouées à un travail sérieux permettant de gagner sa vie, il arrive souvent, selon la nature du travail de chaque communauté, que le maintien des Petites Heures à leur moment traditionnel devient tout à fait artificiel. Diverses solutions ont été trouvées par les communautés, les une plus créatives que les autres. La moins créative consiste à célébrer deux Offices en même temps ou à en intégrer un dans la messe. Il arrive par exemple qu’on célèbre ensemble Sexte et None, soit avant, soit après le repas du midi. Mais, alors, dire qu’on célèbre ces deux Offices en même temps est une pure fiction juridique.  Il est plus honnête et juste de dire que, vu les exigences de notre horaire de travail et les besoins de l’équilibre de notre journée, nous n’avons ni Sexte ni None, mais un Office du Milieu du jour à la places des deux autres. Ici, à Scourmont, nous intégrons en quelque sorte Tierce à la Messe, sur semaine.  Je crois qu’il est plus juste de dire que nous n’avons pas d’Office de Tierce, mais que nous intégrons dans la première partie de la messe quelques éléments appartenant à l’Office de Tierce que nous n’avons pas : l’hymne et un psaume.

            Personnellement j’aurais beaucoup plus de difficulté avec l’intégration d’un Office important comme Laudes dans la messe. Plutôt que dire que nous intégrons Laudes dans la Messe, je trouve qu’il serait plus juste de dire que nous ne célébrons pas l’Office de Laudes, mais que, puisque nous célébrons l’Eucharistie à l’heure où l’on célèbrerait normalement l’Office de louange du début du jour, nous soulignons l’aspect de louange de l’Eucharistie en y introduisant la plupart des éléments appartenant à l’Office de Laudes que nous n’avons pas. Cela est plus « vrai » que de parler d’intégration des Laudes dans la Messe.

            Je crois qu’il ne s’agit pas là simplement de considérations sémantiques et encore moins d’arguties. Il s’agit de la compréhension même de la prière commune dans nos communauté. Il faut se dégager de l’esprit juridique considérant qu’en tant que moines nous avons une certaine quantité d’Offices et une certaine quantité de psaumes à réciter et qu’il faut trouver un moment pour les caser dans notre horaire quotidien, même si cela nous amène à faire toutes sorte d’acrobaties. Il s’agit plutôt de se réunir un certain nombre de fois par jour à l’Église, afin de rythmer notre journée et notre vie de prière continuelle par des moments de prière commune. Le nombre de ces rencontres n’est pas un absolu. Ce nombre est « relatif », c’est à dire prend son sens « en relation avec » la prière continuelle qu’il doit entretenir, manifester et nourrir.

            La même chose vaut du nombre des psaumes à chaque Office et de leur répartition sur les Offices de la journée et de la semaine.  Benoît souligne lui-même le caractère « relatif » quoique très important de tout cela lorsque, après avoir décrit cette répartition d’une façon minutieuse, il ajoute avec une certaine désinvolture, que si quelqu’un a une meilleure idée qu’il n’hésite pas à la suivre !

            La communion continuelle avec Dieu dans la prière est un absolu si important, qu’il ne faut pas en diminuer l’importance en faisant de quoi que ce soit d’autre un absolu !

 

Armand VEILLEUX

 

 

 

             

 


 

www.scourmont.be