5 septembre 2010
Chapitre
à
la
Communauté
de
Scourmont
Le Renoncement
Au risque de faire double emploi avec l’homélie du jour,
je
voudrais,
dans
ce
chapitre,
commenter
un
peu
l’Évangile
de
la
messe
d’aujourd’hui
avant
de
donner
de
nouveau
quelques
nouvelles
de
nos
communautés
du
Kivu
et
du
Rwanda.
En
effet
cet
évangile
traite
d’une
des
dimensions
la
plus
essentielles
de
la
vie
chrétienne
et
de
la
vie
monastique :
le
renoncement.
Cela
nous
a
d’ailleurs
valu,
au
troisième
nocturne
de
l’Office
des
Vigiles,
un
extrait
d’une
Conférence
de
Jean
Cassien
sur
ce
thème,
distinguant
trois
formes
de
renoncement.
Une première chose à remarquer est que l’Évangile – celui
de
Luc
en
particulier,
nous
présente
l’exigence
du
renoncement
comme
une
exigence
fondamentale
de
la
vie
chrétienne
et
non
pas
comme
quelque
chose
de
propre
à
un
petit
groupe
de
Chrétiens
qui
voudraient
être
plus
parfaits.
En effet,
le
texte
de
l’Évangile
de
Luc
que
nous
avons
à
la
Messe
de
ce
matin
se
trouve
au
coeur
d’une
longue
section
(9,51-19,27)
dont
le
thème
principal
est
celui
de
la
montée
de
Jésus
vers
Jérusalem,
où
il
sera
mis
à
mort. À ce stade, de grandes foules le suivent dans
cette
montée.
Elles
l’acclameront
le
jour
des
Rameaux
au
moment
de
son
entrée
à
Jérusalem,
mais
nous
savons
aussi
avec
quelle
rapidité
elles
le
lâcheront
et
demanderont
sa
mort.
C’est à
ces
foules
–
et
non
pas
à
quelques
disciples
choisis
–
que
Jésus
trace
les
exigences
qui
s’imposent
à
quiconque
veut
le
suivre. Ces exigences peuvent se résumer à deux : la
première
est
celle
que
saint
Benoît
résume
dans
sa
Règle
par
les
mots
:
«
Ne
rien
préférer
au
Christ.
»
(RB
4,24)
«
Si
quelqu’un
vient
à
moi,
dit
Jésus,
sans
me
préférer
à
son
père,
sa
mère,
sa
femme,
ses
enfants,
ses
frères
et
soeurs
et
même
sa
propre
vie,
il
ne
peut
pas
être
mon
disciple.
»
La
deuxième
exigence
est
la
disposition
à
accepter
toutes
les
souffrances,
y
compris
la
non-compréhension
et
la
persécution
qu’une
telle
option
radicale
peut
provoquer.
C’est
de
cette
«
croix
»
que
parle
Jésus,
et
non
pas
de
petites
mortifications
qu’on
pourrait
s’imposer.
«Celui
qui
ne
porte
pas
sa
croix
pour
marcher
derrière
moi,
dit-il,
ne
peut
pas
être
mon
disciple.»
Luc rapporte
ensuite
deux
logia
de
Jésus
qu’il
est
le
seul
évangéliste
à
avoir
conservés.
Il
s’agit
de
deux
enseignements
de
prudence
humaine
: avant de se mettre à construire quelque chose,
on
doit
s’asseoir
pour
examiner
si
l’on
a
tout
ce
qu’il
faut
pour
mener
le
projet
à
bonne
fin
;
et
avant
de
partir
en
guerre
contre
quelqu’un,
on
doit
vérifier
si
l’on
a
les
forces
nécessaires
afin
de
ne
pas
se
faire
écraser
par
l’adversaire.
Après ces
deux
remarques
de
bon
sens,
Jésus
enchaîne
:
«
De
même...
–
et
ce
‘de
même‘
est
très
important
–
celui
d’entre
vous
qui
ne
renonce
pas
à
tous
ses
biens,
ne
peut
pas
être
mon
disciple.
»
Cela
montre
que,
dans
la
pensée
de
Jésus,
la
seule
attitude
«
prudente
»
si
l’on
veut
être
son
disciple,
consiste
à
se
détacher
de
tout
ce
qui
n’est
pas
Lui.
C’est
la
seule
attitude
«
prudente
»,
car
autrement
l’on
ne
peut
être
heureux,
étant
divisé
entre
deux
maîtres.
Là
où
est
ton
trésor
là
est
ton
coeur.
Et
là
où
est
ton
coeur
là
est
ton
bonheur.
Si
notre
coeur
est
divisé
entre
Jésus
et
quelque
chose
d’autre,
nous
ne
pouvons
être
heureux
car
nous
ne
vivons
que
divisions
internes
et
insatisfaction.
Il y a
quelques
jours,
à
la
messe
de
jeudi,
nous
avions
comme
Évangile
le
récit
de
la
pêche
miraculeuse,
qui
se
terminait
par
la
phrase :
"Laissant
tout,
ils
le
suivirent".
Cette
dernière
phrase
nous
donne
évidemment
la
clé
pour
la
compréhension
de
tout
le
récit. On ne peut s'attacher à Jésus sans se détacher
de
tout
le
reste.
On
ne
peut
se
mettre
à
sa
suite
sans
abandonner
tout
ce
qui
pourrait
nous
retenir
ailleurs. Luc, en ce début de son Évangile, veut montrer
comment
les
Apôtres,
et
Pierre
en
particulier,
ont
fait
cette
rupture
radicale.
Mais qu'ont-ils
abandonné
au
juste?
Matthieu
dit
:
"laissant
là
leur
barque
et
leur
père,
ils
le
suivirent". Marc ajoute les ouvriers "laissant leur
barque,
leur
père
et
leurs
ouvriers".
Luc,
toujours
plus
radical
dit
simplement:
"laissant
tout".
Ce
"tout"
signifie
beaucoup
plus
que
des
propriétés
matérielles.
Il
signifie
d'abord
un
métier
(pour
les
apôtres,
leur
métier
de
pêcheurs),
puis
une
place
dans
la
société,
un
rôle
à
jouer. Tout ce par quoi une personne s'identifie normalement
dans
la
société.
Lorsque
nous
sommes
entrés
au
monastère
nous
avons
laissé
derrière
nous
tout
ce
que
nous
avions.
Ce
pouvait
être
beaucoup
de
choses
ou
peu
de
choses.
Nous
avons
aussi
quitté
notre
famille
d'origine
et
renoncé
à
former
notre
propre
famille.
Et
puis,
au
fur
et
à
mesure
que
nous
avançons
dans
cette
vie
monastique
nous
nous
apercevons
qu'il
y
a
un
autre
renoncement
plus
important
et
plus
difficile
--
un
renoncement
toujours
à
refaire;
celui
dont
parlait
Jésus
lui-même
lorsqu'il
disait:
"Celui
qui
ne
se
renonce
pas
à
lui-même
ne
peut
être
mon
disciple". Qu'est-ce que se renoncer à soi-même? C'est tout d'abord renoncer à toutes les choses
avec
lesquelles
nous
nous
identifions,
afin
de
découvrir
graduellement
notre
véritable
identité,
le
"nom"
que
Dieu
nous
a
donné.
Le renoncement
qui
coûte
le
plus,
et
celui
qui
nous
échappe
subtilement
le
plus
souvent,
c'est
le
renoncement
à
trouver
notre
identité
dans
ce
que
nous
faisons,
dans
le
rôle
que
nous
pouvons
avoir
dans
la
société
ou
dans
la
communauté.
Quelle
que
soit
la
charge
que
nous
ayons,
que
ce
soit
la
responsabilité
d'un
secteur
important
de
la
vie
communautaire
ou
celle
de
troisième
assistant
à
l'époussetage,
notre
tentation
est
toujours
de
trouver
notre
importance
et
même
notre
identité
dans
ce
que
nous
faisons,
dans
les
services
que
nous
rendons
"généreusement"
à
la
communauté.
Dieu prend
alors
divers
moyens
de
nous
détacher
de
ces
fausses
identification,
pour
nous
conduire
à
notre
véritable
identité.
Ou
bien
ce
sont
simplement
les
exigences
de
la
vie
communautaire,
qui
demandent
des
changements
d'emploi,
ou
bien
nous
rencontrons
un
insuccès
dans
ce
dont
on
nous
avait
chargé
--
et
nous
devons
être
remplacés
--,
ou
bien
c'est
la
maladie
qui
nous
rend
incapables
de
faire
ce
par
quoi
nous
étions
appréciés,
ou
bien
c'est
l'âge
qui
nous
demande
de
laisser
l'un
après
l'autre
les
services
que
l'on
rendait
avec
beaucoup
de
dévouement
et
aussi
beaucoup
de
satisfaction. Il y a là un processus de dépouillement constant
et
graduel
qui
dure
toute
la
vie
et
qui
n'est
jamais
terminé,
et
qui
peut
facilement
nous
faire
peur.
Car
lorsque
nous
sommes
dépouillés
de
toutes
les
choses
auxquelles
nous
nous
identifions,
il
ne
nous
reste
plus
que
notre
identité,
le
"je"
qui
avait
ces
choses
et
ne
les
a
plus,
qui
faisait
ces
choses
et
qui
ne
les
fait
plus,
qui
avait
ce
titre
et
qui
ne
l'a
plus.
Il
ne
nous
reste
plus
que
le
"nom"
que
Dieu
nous
a
donné,
le
nom
nouveau
reçu
au
bord
du
lac
lorsque
nous
y
avons
laissé
notre
barque. Et alors Jésus, nous dit à chacun, comme à Pierre:
"N'aie
pas
peur".