Chapitre du 18 juillet 2010

RB 9 – L’Office de la nuit en hiver.

En commentant RB 8 nous avons vu comment Benoît respecte le rythme des temps en décrivant la prière commune aux divers moments de la journée et de la nuit, soit en été soit en hiver. Dans le chapitre 9, il décrit l’Office de la nuit en hiver.  Même si le titre parle simplement du nombre de psaumes à dire aux heures de la nuit, en réalité le chapitre décrit l’Office de la nuit en hiver sous tous ses aspects.

Comme les nuits sont longues en hiver, l’Office sera nettement plus élaboré qu’en été. En ce qui concerne la psalmodie, Benoît est héritier de la longue tradition des douze psaumes.  Il les répartit en deux groupes de six, les six premiers étant chantés avec antiennes et les six autres avec Alleluia. Le premier groupe est accompagné de trois lectures et de trois répons, le second d’une leçon de l’Apôtre récitée de mémoire. Le tout est précédé d’une introduction assez élaborée et se termine par une conclusion également quelque peu élaborée.

Une première chose à remarquer, c’est que, pour Benoît, l’Opus Dei n’est pas un moment de prière personnelle faite en commun. C’est une action commune réalisée selon ce qu’on pourrait appeler une réelle chorégraphie. De plus toute la psalmodie est chantée, comme l’indique la mention de l’antienne et de l’Alleluia, l’un et l’autre ayant la fonction d’indiquer le ton sur lequel le psaume sera chanté.

L’Office de la nuit dans le monachisme pachômien était d’une simplicité extrême. Tous les frères étaient assis, faisant un travail manuel simple – comme tresser des corbeilles ou des nattes – pendant qu’un frère récitait par coeur un psaume ou une autre partie de l’Écriture. Au signal du supérieur tous se levaient pour réciter le Pater les mains étendues, puis se prosternaient dans un moment d’adoration avant de se rasseoir pour écouter un autre morceau d’Écriture. Chez Benoît, c’est beaucoup plus structuré, même si c’est d’une grande simplicité. Il y a tout d’abord une antienne chantée – car une antienne récitée est une contradiction – puis le psaume probablement chanté par un psalmiste. Après le sixième psaume, il y a un verset avec son répons, puis l’abbé prononce une bénédiction.  Des solistes lisent alors trois leçons dans le lectionnaire, chaque leçon étant suivie d’un répons. Après le troisième répons celui qui l’a lu chante le Gloria Patri et tous se lèvent « en l’honneur de la Trinité ». C’est la seule mention du mot « Trinitas » dans la Règle, ce qui n’empêche pas que le Père, le Fils et l’Esprit soient souvent mentionnés.  Cette première série de six psaumes est suivie de trois leçons entrecoupées de trois répons chantés. Suit un deuxième groupe de six psaumes, après lequel un lecteur récite par coeur un passage de saint Paul, puis c’est la conclusion de l’Office.

Avant tout cela il y a l’introduction de l’Office qui, comme je l’ai dit plus haut, est assez élaborée : Tout d’abord le chant du verset 17 du psaume 50, répété trois fois : « Seigneur ouvre mes lèvres... », qui donne déjà à tout l’Office de la nuit un sens de louange. Suivent les psaumes 3 et 94, tous deux déjà traditionnels dans les liturgies orientales pour le début de l’Office nocturne. Puis l’hymne, que Benoît appelle « ambrosien », la tradition attribuant à saint Ambroise un grand nombre d’hymnes. Ces sur la base de ce texte de saint Benoît que les premiers Cisterciens, dans leurs efforts pour revenir à la pureté de la Règle, iront à Milan chercher ce qu’ils croyaient être la forme la plus primitive de l’hymnaire liturgique.

Concernant les Gloria patri, la coutume assez universelle est de s’incliner lorsqu’on le chante à la fin de chaque psaume.  À Scourmont nous observons littéralement ce que dit la Règle qui demande de se lever « pour manifester l’honneur et la révérence dues à la Trinité ».  Ce qui compte, c’est l’attitude de révérence. Se tenir debout devant Dieu, dans toute sa dignité de fils de Dieu, comme un fils se tient devant son père, est une attitude de grande révérence, tout autant que l’attitude médiévale d’inclination. L’attitude décrite par Benoît et que nous observons est plus proche de la grande tradition culturelle romaine que la seconde.

Un mot sur la tradition des douze psaumes.  C’est une vielle tradition attribué à saint Pachôme, parce qu’on la trouve dans la Règle qu’un ange aurait donné à Pachôme, selon l’Histoire Lausiaque de Pallade.  Dans ma thèse sur la Liturgie pachômienne, j’ai étudié l’origine de cette tradition.  Elle remonte à l’époque où les premiers moines s’efforçaient de pratiquer la prière continuelle.  L’un des moyens qu’ils imaginèrent pour maintenir un sens aussi constant que possible de la présence de Dieu fut de réciter une prière à chacune des douze heures de la nuit et à chacune des douze heures du jour.  Graduellement ces heures de prières furent regroupées au début et à la fin de la journée. Ce qu’il faut retenir de cette évolution, c’est que l’important n’est pas de réciter un certain nombre de psaumes ou d’autres prières, mais de maintenir une attitude de prière constante.

Concernant les lectures à lire, Benoît parle de lectures tirées des livres d’autorité divine tant de l’Ancien que du Nouveau Testament et aussi des commentaires écrits par les Pères catholiques connus pour leur orthodoxie. Le but de ces lectures au coeur de l’Office n’est pas de nous instruire ou de nous informer. Il s’agit d’une lectio divina, dans son sens premier et fondamental : une simple écoute de la Parole de Dieu nous venant à travers l’Écriture et la grande Tradition de l’Église. De nos jours, dans les monastères, l’habitude se prend de choisir souvent, pour le deuxième nocturne, des écrits plus récents, y compris d’auteurs encore vivant.  La règle donnée par Rome lors de la réforme de l’Office tout de suite après le Concile était sans doute sage.  Cette règle était de ne jamais prendre un auteur vivant, l’idée étant que ce n’est qu’après au moins quelques générations qu’il devient manifeste si un auteur, peut-être populaire de son temps, exprimait bien le sensus fidei de l’ensemble du Peuple de Dieu, ou des opinions personnelles pouvant être stimulantes mais demeurant très liées à leur contexte culturel.  Encore une fois, l’Office divin n’est pas un moment de réflexion ou de catéchèse, mais un moment de lectio divina, c’est-à-dire de contact avec la Parole de Dieu récitée ou écoutée – et on l’écoute y compris lorsqu’on la récite soi-même.

 

Armand VEILLEUX

 

 

 

             

 


 

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