11 juillet 2010 Chapitre à la Communauté de Scourmont

 

 

Sens d’une profession monastique

 

            Nous avons eu hier la profession monastique de frère Damien.  De l’avis de tous, ce fut une très belle célébration.  Notre rituel de consécration monastique est en lui-même très riche. Et tout s’est bien déroulé, dans une atmosphère à la fois de prière, de simplicité et de joie.  Merci à tous ceux qui ont participé à la préparation de la célébration. Et la très belle température a été un « plus ». 

            Pour notre communauté, ce fut évidement un événement important.  D`ailleurs, pour n’importe quelle communauté monastique, introduire en son sein d’une façon définitive un nouveau membre est toujours quelque chose de fort important. Pour le nouveau profès aussi, évidemment. 

            Il n’y avait pas seulement notre communauté. Il y avait tous les membres de la famille de Damien, les Laïcs Cisterciens de Scourmont, plusieurs amis de Damien provenant de sa paroisse d’origine, ainsi que des compagnons de Séminaire à Soissons et à Paris. Il y avait aussi, évidemment plusieurs amis de Scourmont.  L’église était pleine à craquer ; et lorsque, durant la célébration, je regardais toute cette foule très diversifiée, je me disais que c’était une belle image de l’Église. Et cette expression d’une Église en fête n’est certes pas quelque chose de trop dans le contexte ecclésial actuel, surtout en Belgique !  

            L’une ou l’autre personne présente à la célébration a exprimé sa surprise concernant cette grande assistance de personnes de l’extérieur à une profession monastique. Je crois que c’est conforme à la tradition de Scourmont qui a toujours été sensible à ses liens avec l’Église locale et la population locale. C’est aussi conforme à l’esprit de saint Benoît. La lecture patristique aux Vigiles de ce matin nous racontait comment Benoît, vers la fin de sa vie, avait vu l’univers entier dans un rayon de lumière (je reviendrai là-dessus dans l’homélie de la messe de ce matin). Et puis, dans le rituel romain pour la profession religieuse (pour l’Église universelle), il est dit que la profession perpétuelle doit se faire au cours de l’Eucharistie, de préférence un dimanche, afin qu’une grande participation du Peuple de Dieu soit possible.  Une profession religieuse (aussi monastique) est donc une affaire de l’Église et non seulement une affaire de la communauté locale concernée. 

            Ce matin j’aimerais revenir sur ce que dit Benoît concernant le sens de l’engagement monastique définitif, dans le chapitre 58 de sa Règle – tenant compte du fait qu’à l’époque de Benoît, il n’y avait qu’une année de « noviciat » suivie immédiatement de la profession, qui était tout de suite perpétuelle.

             Nous savons comment, selon RB58, lorsqu’un candidat se présente au monastère, on l’éprouve d’abord pour s’assurer du sérieux de son propos ; et comment, durant l’année de noviciat il est amené à bien prendre conscience de la nature de la forme de vie chrétienne qu’il désire entreprendre et à exprimer très clairement sa volonté de s’y engager d’une façon stable.  Il est alors reçu dans la communauté au cours d’une célébration liturgique décrite par Benoît dans les versets suivants du même chapitre 58 (vv. 17sq). 

La célébration se fait dans l’oratoire, que Benoît a déjà décrit comme un lieu où l’on ne fait rien d’autre que ce qu’indique son nom  oratorium (RB52).  Le rituel que décrit Benoît dans ces versets est l’explicitation de la mention antérieure (v. 14) : « il sera reçu dans la communauté ».  Il s’agit donc d’une action importante où aussi bien toute la communauté que le profès sont impliqués.  Dieu et ses saints sont pris à témoin.  La promesse est faite devant tous les frères (coram omnibus) et devant Dieu et ses saints (coram Deo et sanctis eius).  Si bien que s’il arrivait au moine d’agir à l’encontre de ce qu’il promet, cela reviendrait à se moquer de Dieu.  Ce qui serait une moquerie de Dieu serait non seulement l’abandon de la vie monastique, mais toute infidélité à ses promesses. 

Quelles sont ces promesses ?   Le moine promet sa stabilité ; il promet de vivre selon une nouvelle conversatio et enfin il promet l’obéissance.  De nouveau nous avons ici les trois éléments fondamentaux du cénobitisme bénédictin : la communauté, la règle et l’obéissance à un abbé.  

Cette démarche, qui est essentiellement spirituelle, acquiert au cours du rituel de profession, une dimension visible et sacramentelle.  La promesse est exprimée dans un document écrit que le moine rédige de sa propre main, ou qu’en tout cas il signe s’il est illettré,  Sont pris à témoin les saints dont les reliques sont en ce lieu ainsi que l’abbé de la communauté.  Ce document est déposé sur l’autel par le novice, qui s’offre ainsi lui-même avec le pain et le vin du sacrifice.   

Conformément à la structure de tout sacrement – ou sacramental – qui comporte action et parole, ce geste est accompagné d’une formule que le novice chante trois fois et que la communauté reprend chaque fois : Reçois-moi, Seigneur, selon ta parole et je vivrai, et ne me déçois pas dans mon attente.  En s’unissant à cette pétition, la communauté demande que le geste par lequel elle reçoit le candidat devienne le symbole et le sacrement de la réception par Dieu de l’offrande que fait de lui-même le novice. 

Une communauté monastique est un groupe de frères qui se portent mutuellement dans leur recherche de Dieu et dans leur cheminement.  C’est pourquoi le novice après avoir chanté ce verset trois fois, se prosterne aux pieds de chacun des frères leur demandant de prier pour lui.  Et Benoît conclut alors : « À partir de ce jour il sera tenu pour membre de la communauté ». 

Ce rituel de profession est à la fois simple et grandiose.  Il est très concret et spirituel à la fois.  Il s’agit d’un engagement envers Dieu, mais exprimé visiblement dans un engagement envers la communauté.  L’acceptation par Dieu est exprimée sacramentellement par l’acceptation par la communauté.  La promesse est faite oralement, mais elle est aussi fixée dans un document écrit.  Ce document a une valeur juridique, mais il est placé sur l’autel avec l’offrande du sacrifice de la messe.  Tout est conforme à l’économie sacramentelle, faite de paroles et de gestes. 

Un dernier élément de ce rituel est le changement de vêtements.  Dans l’oratoire même, et donc au cours de la même célébration que l’on vient de décrire, on ôtera au nouveau profès les effets personnels dont il est vêtu et on le revêtira des habits du monastère.  À la lumière de ce qui a déjà été expliqué dans le chapitre sur le vêtement des moines, il ne s’agit pas ici, pour Benoît, de remplacer un « vêtement séculier » par un « habit monastique ».  L’habit que l’on donnait au moine n’était sans doute pas différent dans sa forme et probablement aussi sa couleur, de celui que portait le nouveau moine avant sa profession.  Il s’agit plutôt de se laisser dépouiller de toute propriété privée pour dépendre entièrement de ce qui est fourni par la communauté. 

Si jamais le moine venait à quitter le monastère, ce qu’à Dieu ne plaise, on lui redonnerait ses effets propres ;  la cédule de profession, cependant, demeurerait au monastère, comme témoin de son engagement.

Armand VEILLEUX

 

 

 

 

             

 


 

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