Chapitre du 6 juin 2010
Abbaye de Scourmont

 

Les quatre derniers degrés d’humilité (RB 7, 56-70)

 

Nous arrivons à la fin du commentaire du chapitre 7 sur l’humilité. De toute façon, même en y consacrant cinq ou six « chapitres », on ne peut évidemment pas en extraire toute la substance.  Dom Anselme Le Bail avait passé quelques années à le commenter tous les dimanches.

Les degrés  9, 10 et 11 se rapportent tous à l’usage de la parole. Peut-être que la meilleure façon d’en bien comprendre le sens est de lire tout de suite le douzième et dernier degré :

Le douzième degré de l’humilité est celui où le moine se signale aux regards d’autrui par l’humilité constante non seulement de son cœur, mais également de son attitude extérieure ;  pendant le service de Dieu, dans l’oratoire, au monastère, au jardin, en route, dans les champs, ou tout autre lieu, qu’il soit assis, debout ou en marche, il tient toujours la tête inclinée, les yeux baissés ;  à tout moment conscient des péchés dont il se sait coupable…il se répète sans cesse en son cœur la parole que le publicain de l’évangile dit les yeux baissés : Seigneur, je ne suis pas digne, moi pécheur, de lever les yeux au ciel.

            La première chose à remarquer dans ce texte est le lien que fait Benoît entre l’attitude extérieure et les dispositions intérieures. Selon une certaine approche, ou une certaine conception de la formation et du cheminement spirituel, on s’efforce de développer un comportement extérieur humble qui doit, espère-t-on, conduire graduellement à une réelle humilité intérieure.  L’approche de Benoît est tout juste l’inverse. Ce sur quoi il a insisté, depuis le début de ce chapitre capital de sa Règle, c’est sur l’attitude intérieure – d’abord face à Dieu, puis face aux personnes qui nous entourent et avec qui on vit en communauté.  Si cette attitude intérieure existe et si elle est vraie et bien enracinée, elle affectera graduellement tous les comportement extérieurs. 

            Le moine que décrit Benoît dans ce douzième degré, est une personne unifiée. Ce n’est pas quelqu’un qui a des attitudes différentes à l’église, au travail, en communauté ou à l’extérieur.  Il est toujours le même, rayonnant la même sérénité, la même paix intérieure, parce que toute son identité réside non pas dans l’image qu’il donne de lui-même, ou dans son acceptation par les autres, mais simplement dans ce qu’il est face à Dieu.

            L’attitude décrite par Benoît dans les mots : « toujours la tête inclinée, les yeux baissés », n’est pas une attitude compassée et surfaite.  C’est l’attitude du publicain de la parabole du pharisien et du publicain. – C’est aussi l’attitude de la personne « unifiée » décrite ci-dessus, toute concentrée sur le mystère qui l’habite et non dispersée dans tous les événements extérieurs.  Une application très concrète de cette recommandation de Benoît consiste dans la façon dont nous entrons à l’église pour les Offices, surtout lorsqu’il se trouve des retraitants dans la partie réservée aux fidèles.  Le moine qui a atteint le degré d’humilité décrit ici par Benoît – ou qui y tend – entrera à l’église déjà absorbé dans la prière plutôt qu’en faisant un rapide examen de toutes les personnes qui se trouvent dans l’église !

            Revenons maintenant rapidement aux trois degrés concernant l’usage de la parole. Le neuvième degré consiste essentiellement dans l’amour du silence, qui fait qu’on domine sa langue et qu’on ne parle que lorsqu’on est interrogé.  S’il n’y a pas cet amour du silence, tous les règlements concernant l’usage de la parole resteront inutiles. Et cet amour du silence est le signe d’une personne unifiée et non dispersée.

            Le degré suivant est celui du moine qui n’est ni enclin ni prompt au rire.  Benoît n’exclut évidemment pas la joie, ni même le rire occasionnel, qui est la réaction normale à une situation agréable ou comique. Il voit le rire comme un mouvement vers l’extérieur, vers la dispersion – un mouvement donc opposé au mouvement d’unification et d’intégration.  Si nous sommes « enclins » et « prompts » au rire, il est fort probable que nous fuyons une réalité intérieure ou que nous n’arrivons pas à cette concentration sur un seul but, un seul amour, qui fait l’essentiel de la voie monastique.

            Le onzième degré, en fait décrit cette personne équilibrée que nous devons toujours nous efforcer de devenir : quelqu’un qui parle, lorsque c’est nécessaire – et non en réponse à besoin de s’extérioriser – et qui le fait calmement, sans éclat, en peu de mots.  Cela n’est possible que s’il y a déjà une paix intérieure, une unité et une intégration suffisante.

            Et, finalement, ce long chapitre se termine par une sorte de grand finale (pour utiliser une image musicale) :

Ayant gravi tous ces degrés de l’humilité, le moine parviendra donc bientôt à cet amour de Dieu, qui, devenu parfait, chasse la crainte.

            Toutes les attitudes d’humilité décrites par Benoît dans ce long chapitre, y compris la pratique du silence, ne sont pas conçues comme des exercices d’ascèse ayant pour but de nous former graduellement, et encore moins comme des moyens pour gagner des mérites.  Il s’agit plutôt d’amour.  Un amour qui doit exister dès le point de départ, mais qui doit graduellement animer tous nos comportements. Et Benoît, en homme pratique comme toujours, termine en disant qu’au fur et à mesure que cet amour imprègne et in-forme ou trans-forme notre agir, tout ce à quoi nous nous conformions peut-être au début par crainte des châtiments ou par désir de la récompense céleste, tout cela nous le ferons de plus en plus comme tout naturellement, par amour du Christ.

            Tout un programme !

 

Armand Veilleux

 

 

 

             

 


 

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