Dimanche, le 30 mai 2010
Chapitre
à
la
communauté
de
Scourmont
La créativité
Commentaire de RB 7, 55
« Le huitième degré de l’humilité est celui où le
moine
ne
fait
rien
qu’il
n’y
soit
encouragé
par
la
règle
commune
du
monastère
et
les
exemples
des
anciens ».
Une lecture superficielle de ce texte pourrait nous donner l’impression que
Benoît
attend
des
moines
une
obéissance
mécanique
aux
prescriptions
de
la
Règle
et
à
l’exemple
des
anciens,
sans
laisser
aucune
place
à
la
spontanéité
ou
à
la
créativité.
Mais
ceci
n’est
vraiment
pas
le
sens
du
texte. Je m’attarderai aujourd’hui à ce seul degré,
même
s’il
est
fort
bref,
car
il
traite
d’une
réalité
importante
dans
toute
vie :
la
créativité.
Et
l’intention
de
Benoît
n’est
certainement
pas
de
brimer
ou
de
tuer
cette
créativité,
mais
de
lui
permettre
de
porter
des
fruits
en
la
canalisant.
Une fois de plus, Benoît est préoccupé du faire. Nous sommes au monastère pour faire la
volonté
de
Dieu,
pour
faire
la
Vérité,
selon
l’expression
de
l’Évangile,
pour
agir
constamment
selon
les
préceptes
de
l’Évangile
appliqués
à
la
vie
monastique.
Il
ne
s’agit
donc
pas
de
faire
n’importe
quoi,
mais
de
canaliser
notre
créativité
en
ne
faisant
que
ce
qui
est
« encouragé »
par
la
Règle.
Le
mot
latin
utilisé
(cohortatur)
ne
signifie
pas
« permettre »,
mais
bien
encourager,
exhorter
à
faire.
Ne rien faire que ce qui est « encouragé » par la Règle commune,
c’est
donc
vivre
en
vrai
cénobite.
Et
cela
nous
ramène
une
fois
de
plus
à
la
notion
de
la
vie
cénobitique
décrite
au
chapitre
premier.
Le
cénobite
est
celui
qui
vit
« en
communauté »
selon
une
règle
commune,
et
aussi
selon
ce
à
quoi
nous
encourage
et
nous
exhorte
l’exemple
des
anciens.
Le
chapitre
premier
parlait
de
vivre
« sous
une
règle
et
un
abbé ».
Ce
dernier,
selon
le
chapitre
deux,
doit
enseigner
par
la
parole
et
l’exemple. Ici, c’est le même troisième élément du cénobitisme
qui
est
mentionné,
puisque
les
anciens
partagent
avec
l’abbé
la
responsabilité
d’incarner
dans
leur
vie
la
paternité
du
Christ.
Il n’y a pas de vie réelle sans créativité. Mais la créativité est quelque
chose
de
beaucoup
plus
profond
que
l’épanouissement
de
son
« ego ».
Paradoxalement,
celui
qui
est
préoccupé
de
« se
réaliser »,
de
devenir
quelqu’un
qui
sera
reconnu
et
admiré,
étouffe
en
lui-même
la
créativité,
devenant
l’esclave
de
ce
que
les
autres
attendent
de
lui,
ou
de
ce
qu’il
pense
ou
désire
qu’on
attende
de
lui,
ou
encore
de
l’image
qu’il
s’est
faite
de
lui-même.
La première créativité à laquelle nous sommes appelés est celle d’un être
libre,
donc
détaché.
Un
être
qui
ne
dépend
pas
de
l’estime
et
de
l’appréciation
des
autres.
Un
être
qui
se
contente
d’être
qui
il
est
devant
Dieu.
Un
être
qui
s’est
libéré
–
détaché
--
de
tous
les
obstacles
pour
laisser
Dieu
le
façonner
à
l’image
de
son
Fils.
Celui qui a choisi la vie cénobitique l’a fait parce qu’il a senti l’appel
à
utiliser,
pour
ce
chemin
de
libération,
les
instruments
d’une
règle
commune,
d’une
forme
de
vie
où
non
seulement
on
progresse
ensemble
dans
ce
cheminement,
mais
où
l’on
permet
à
Dieu
d’utiliser
la
communauté
comme
lieu
de
manifestation
de
sa
présence.
C’est le point où se manifeste le plus clairement durant les premières années
de
vie
monastique
le
signe
d’une
véritable
vocation
monastique. Celui qui a cette vocation et qui l’assume,
devient
de
plus
en
plus
« lui-même »,
libre
et
épanoui,
au
fur
et
à
mesure
qu’il
assume
l’identité
communautaire.
Au
contraire,
celui
qui
n’a
pas
cette
vocation
ou
ne
l’a
pas
assumée
librement,
peut
prendre
deux
orientations
différentes,
guère
meilleure
l’une
que
l’autre.
Ou
bien
il
réagit
de
façon
adolescente
contre
toutes
les
petites
coutumes
de
la
vie
commune,
les
trouvant
ridicules
et
se
démarquant
constamment
des
autres
en
faisant
les
choses
différemment,
pensant
parfois
qu’il
exerce
ainsi
sa
créativité. Ou bien il se conforme extérieurement à tout,
simplement
pour
se
faire
accepter,
mais
n’assume
pas
l’orientation
communautaire
fondamentale,
et
finalement
perd
sa
propre
identité
sans
assumer
l’identité
communautaire.
Cela vaut d’une communauté, face aux Règles et coutumes de l’Ordre, de la
même
façon
que
cela
vaut
de
chaque
moine.
Une
communauté
est
créatrice
lorsqu’elle
vit
d’une
façon
personnelle
et
créatrice
la
spiritualité
de
l’Ordre
ainsi
que
ses
Constitutions
et
Statuts,
et
non
lorsqu’elle
essaie
de
développer
sa
forme
originale
de
vie
cistercienne
sans
tenir
compte
de
ce
que
vivent
les
autres
communautés.
Au-delà de tous ces aspects extérieurs, qui ont leur importance, la créativité
consiste
à
réaliser
dans
nos
vies
une
conformation
au
Christ,
à
travers
une
expérience
de
prière
contemplative.
Mener
une
authentique
vie
spirituelle,
est
sans
doute
la
plus
belle
forme
de
créativité.
On trouve dans la littérature contemporaine plusieurs définitions de la créativité.
Une
conception
assez
répandue
est
qu’une
création
est
nécessairement
une
création
ex
nihilo.
L’accent
est
mis
principalement
sur
l’originalité,
le
caractère
unique.
Cela
conduit
assez
facilement
au
narcissisme. Mais je préfère encore la vision de la Genèse.
La
création
n’y
est
pas
présentée
comme
ex
nihilo.
Au
commencement
il
y
avait
le
tohu
bohu, un amas sans forme. L’activité de Dieu consister
à
instaurer
de
l’ordre
dans
ce
désordre.
La
créativité
est
vue
comme
un
processus
d’ordre,
d’intégration,
d’unification,
d’unité.
C’est la créativité dont parle Benoît dans ce huitième degré d’humilité :
établir
en
soi
l’harmonie,
l’ordre,
l’unité,
en
se
fondant
dans
une
harmonie
communautaire,
selon
un
mouvement
plus
grand
que
nous,
en
se
coulant
dans
un
rythme,
un
chant,
une
danse,
qui
s’enracine
dans
une
longue
tradition.
C’est ainsi, me semble-t-il, qu’il faut comprendre cette simple phrase de
Benoît :
« Le huitième degré de l’humilité est celui où le
moine
ne
fait
rien
qu’il
n’y
soit
encouragé
par
la
règle
commune
du
monastère
et
les
exemples
des
anciens ».
Armand Veilleux