16 mai 2010 - Chapitre à la Communauté de Scourmont 

 

RB 7, degrés 5, 6 et 7 

 

            Lorsqu’on commente le long chapitre de la Règle sur les degrés d’humilité, il y a certains « degrés » ou passages qu’on aimerait sauter, car il nous semblent totalement étrangers à notre mentalité contemporaine. Mais pour bien comprendre le message spirituel de saint Benoît, il faut le prendre dans son ensemble et l’interpréter à la lumière de la culture religieuse de son temps et non seulement prendre les textes qui nous conviennent aujourd’hui. 

            Le cinquième degré parle de l’ouverture du coeur à l’abbé et se lit comme suit :

Le cinquième degré de l’humilité consiste à manifester à son abbé, par un humble aveu, les pensées mauvaises qui nous viennent au coeur et les fautes cachées que l’on a commises.

 

            Il faut d’abord remarquer qu’à l’époque de Benoît la confession sacramentelle privée n’existait pas encore.  Elle n’apparaîtra qu’au 8ème siècle, et d’ailleurs sous l’influence de la pratique des moines irlandais. Depuis lors la législation de l’Église s’est graduellement précisée, distinguant nettement la confession sacramentelle d’une part et les autres formes d’ouverture du coeur, d’autre part. L’abbé ou n’importe quel autre supérieur religieux ne doit pas être normalement le confesseur d’un membre de sa communauté.  S’il l’était, il pourrait devenir fort difficile pour lui, en certaines circonstances, de faire la distinction entre le for interne et le for externe, et de ne pas se laisser influencer dans des décisions pratiques au for externe par ce qu’il ne sait que par la confession sacramentelle.  

            Quant à l’ouverture du coeur, le législation actuelle de l’Église pour tous les religieux – et non seulement pour les moines et moniales -- est très équilibrée.  D’une part elle invite les religieux à cette ouverture du coeur à leurs supérieurs, d’autre part elle interdit aux supérieurs d’éliciter ou de demander cette ouverture. 

            Toute la tradition monastique est unanime à voir l’importance absolue pour un moine d’ouvrir humblement son coeur à un père spirituel, un abba, qui peut être son abbé, mais qui peut être aussi n’importe lequel de ses frères, qu’il soit prêtre ou non. Celui qui ne se confronte pas au discernement d’un autre, risque toujours de se leurrer. 

            Comme pour les autres degrés, Benoît fait suivre l’énoncé initial (que j’ai cité plus haut) d’une série de citations bibliques, la première étant : Révèle ta conduite au Seigneur et espère en lui. Il est important de remarquer que cette citation et les autres qui suivent parlent toutes de l’ouverture à Dieu, et qu’elles viennent illustrer l’invitation à s’ouvrir à un père spirituel.  Ce qui souligne le fait que, dans la vie communautaire, la voie pour accéder à Dieu est la communauté et ceux qui en elle incarnent d’une façon ou d’une autre la paternité de Dieu.  

            Le sixième et le septième degré sont particulièrement opposés dans leur formulation à notre mentalité moderne. Voici le sixième :

 

« Le sixième degré de l’humilité est celui où le moine se trouve content dans la pire et la plus vile condition, et, en tout ce qui lui est enjoint, se considère comme un mouvais ouvrier et un incapable »

 

            On reconnaît facilement ici une référence au passage de l’Évangile -- propre à l’Évangile de Luc -- sur le serviteur qui n’a fait que son devoir : « De même, vous aussi, dit Jésus, quand vous avez fait tout ce qui vous était ordonné, dites : ‘ Nous sommes des serviteurs quelconques. Nous avons fait seulement ce que nous devions faire’. »  

            Benoît enchaîne une citation du psaume 72 : « Moi, stupide comme une bête, je ne savais pas, mais j’étais avec toi. ». Ce psaume est appliqué au roi, serviteur de Yahvé, qui se sent persécuté par les impies.  Mais quoi qu’il arrive, il peut dire : « je suis toujours avec toi ». C’est là la phrase clé. L’attitude que recommande ce sixième degré est donc celle-ci.  Dans la vie, que j’aie des succès ou des échecs, que je sois apprécié ou méprisé, quoi que puissent penser les hommes de moi ou quelle que soit leur façon d’agir à mon égard, une seule chose compte : « Dieu est toujours avec moi, je suis avec lui, et je suis son serviteur ». 

            Le septième degré se lit ainsi :

 

Le septième degré de l’humilité consiste non seulement à se dire de bouche le plus petit et le plus méprisable, mais encore à s’en pénétrer au plus intime de son coeur, à s’abaisser en disant avec le prophète : Pour moi, je suis un ver et non un homme, la dérision des hommes et le mépris du peuple.  

            Benoît renvoie donc, par cette dernière citation, au psaume 21, un psaume messianique par excellence, que Jésus a récité sur la croix et qui commence par les mots « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »  Il ne s’agit donc pas pour Benoît de développer une sorte de dépit pathologique de soi-même, mais plutôt d’imiter le Christ qui s’est abaissé, chaque fois que nous avons la tentation de nous élever. 

            Comme nous l’avons vu au début de ce commentaire du chapitre 7 de la Règle, le mouvement proposé par Benoît n’est pas un mouvement ascendant, où nous pourrions nous enorgueillir de devenir de plus en plus humble ( ! ) en gravissant les degrés de l’échelle de l’humilité, mais bien un mouvement descendant où nous nous identifions toujours plus avec celui qui s’est abaissé pour venir jusqu’à nous et se faire l’un d’entre nous.

 

Armand Veilleux.

 

 

 

 

 

             

 


 

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