18 avril 2010 – Abbaye de Scourmont

 

RB7 – De l’humilité (vv. 1-9)

 

            Le chapitre 7 de la Règle de saint Benoît, sur l’humilité, est non seulement le plus long, mais certainement l’un des plus importants de la Règle.  Il s’ouvre par une citation de l’Écriture, qui est une parole de Jésus lui-même ; ce qui souligne bien le caractère proprement chrétien et non pas stoïque de cette doctrine sur l’humilité. Voici le premier verset du chapitre :

 

« Frères, la divine Écriture nous crie : Tout homme qui s’élève sera abaissé et qui s’abaisse sera élevé. »

 

            Remarquons tout d’abord la façon dont cette citation est introduite : « Frères, la divine Écriture nous crie ».  Cet enseignement de Jésus adressé à ses disciples, Benoît le considère comme adressé à la communauté monastique pour laquelle il écrit : « Frères... ». Et il se considère lui-même membre de cette communauté pour laquelle il écrit sa Règle.  Il dit bien « ... la divine Écriture nous crie »  et non pas « ... vous crie ». C’est l’essence même de la lectio divina que de recevoir toute parole de l’Écriture comme nous étant personnellement adressée.  Et cette parole de Dieu n’est pas simplement un texte qui est offert à notre pieuse méditation ;  c’est une parole qui doit nous secouer, nous déranger.  Benoît ne dit pas « ... la divine Écriture nous dit », mais bien « ... la divine Écriture nous crie ». 

            Cette phrase de Jésus, nous la retrouvons à divers endroits dans l’Évangile. La référence principale est sans doute Luc 14,11.  Jésus prend un repas chez un des chefs des Pharisiens.  Remarquant que certains des invités choisissaient les premières places, il leur dit : « Quand tu es invité à des noces, ne va pas te mettre à la première place, de peur qu’on ait invité quelqu’un de plus important que toi... etc.  Et il termine par cette réflexion générale :  « Car tout homme qui s’élève sera abaissé et celui qui s’abaisse sera élevé ». Luc cite la même parole de Jésus de nouveau, comme conclusion de la Parabole du Pharisien et du Publicain montant au Temple pour prier (18,14).  On la trouve aussi chez Matthieu (23,12) dans le contexte d’une série d’invectives contre les Pharisiens. 

            Ce qu’il faut retenir de cela c’est que dans tout ce chapitre de la Règle où Benoît parlera d’une échelle, la préoccupation n’est pas de monter l’échelle, mais de la descendre.  C’est en nous abaissant, en descendant toujours davantage, que nous serons hissésvers le sommet par la grâce de Dieu.  Vouloir arriver au sommet de l’échelle de l’humilité par nos propres efforts, serait la forme suprême de l’orgueil. C’est d’ailleurs ce que dit Benoît, au 2ème verset de ce chapitre : « Donc (Benoît aime ce mot), tout élèvement est une forme d’orgueil ». 

            Suivent  ensuite, dans le texte de Benoît, plusieurs citations, toutes tirées des psaumes exprimant la même attitude.  Il est intéressant de remarquer que c’est dans l’Évangile, et même dans une parole de Jésus lui-même, que Benoît fonde tout son enseignement sur l’humilité, et que les textes de l’Ancien Testament ne viennent qu’illustrer cette doctrine, et non pas l’inverse. 

            Il parle ensuite d’atteindre le sommet suprême de l’humilité, mais attention ! on n’atteint ce sommet que par « l’humilité de la vie présente ». Donc ce sommet nous sera donné si, durant toute notre vie ici-bas, nous descendons l’échelle !  Il s’agit en effet de nous abaisser et non pas de nous élever – même pas dans l’humilité – car seuls ceux qui s’abaissent seront élevés.  On sera élevé.  On ne s’élève pas soi-même. Il faut donc faire bien attention de ne pas comprendre tout à fait à l’envers cette doctrine des 12 degrés de l’humilité, comme s’il s’agissait de degrés que l’on devrait vaincre l’un après l’autre. 

            Arrêtons-nous maintenant un peu à l’image de l’échelle vue en songe par Jacob, car tout ce long chapitre sera basé sur cette image. 

            Ce songe de Jacob est un point tournant dans l’histoire des Patriarches.  C’est le point où l’expérience personnelle de foi se transforme en mémoire collective de cette expérience et donc en religion. Abraham avait transmis sa foi personnelle à son fils Isaac et celui-ci à son propre fils Jacob. Isaac envoie Jacob se chercher une épouse dans la terre de ses ancêtres ; et c’est en cours de route qu’il a une profonde expérience de Dieu durant une nuit.  Il a un songe – qui est tout autre chose qu’un simple rêve.  Durant ce songe, comme dit Benoît, une échelle lui apparaît. Il ne dit pas que des anges lui apparaissent, mais bien que c’est une échelle qui lui apparaît, dont la base touche la terre et le sommet touche le ciel. Et sur cette échelle montent et descendent des anges de Dieu.  Une relation entre ciel et terre, entre Dieu et l’humanité est donc possible.  Jacob ne voit pas le Seigneur, mais celui-ci est près de lui et lui parle. Il lui renouvelle la promesse faite à Abraham.  Jacob a donc durant cette nuit-là une profonde expérience de Dieu, une expérience foi.  Lorsqu’il se réveille, le matin, il se dit « Le Seigneur est ici... Ce lieu est redoutable... c’est la porte du ciel ».  Il prend des pierres et construit un autel.  Ainsi, chaque fois qu’il repassera là, il revivra cette expérience.  Ensuite il la racontera à ses descendants et une tradition se créera, ainsi qu’un code moral, des rites, etc.  La religion d’Israël, véhicule de sa foi, est née. 

            Pour être bien vécue, toute la doctrine de Benoît sur l’humilité implique en tout premier lieu une expérience de foi, une rencontre personnelle du Seigneur. Sans cela, tout cet enseignement serait vide, et bien de ses éléments pourraient apparaître ridicules. 

            Benoît part donc de l’image de l’échelle et il la dissèque en quelque sorte. Cette échelle, dit-il, « c’est notre vie en ce monde, que le Seigneur dresse vers le ciel quand notre coeur s’humilie ». Encore une fois, le mouvement ascendant est l’oeuvre du Seigneur.  C’est le mouvement descendant qui nous convient.  Les deux montants de l’échelle, c’est notre corps et notre âme.  C’est donc en corps et en âme qu’on sert le Seigneur.  Ce n’est pas une spiritualité désincarnée. Les échelons sont des appels à la croissance que nous adresse le Seigneur.  

            Et c’est ainsi que Benoît introduit les douze degrés d’humilités. 

 

Armand Veilleux

 

 

 

 

 

             

 


 

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