|
|
||
|
|||
Chapitre à la Communauté
de
Scourmont 10 avril 2010 RB 6 – De l’amour du silence Le titre latin du chapitre 6 de la
Règle
–
De
taciturnitate
–
est
difficile
à
traduire
en
français.
Il
s’agit
de
l’attitude
de
celui
qui
est
« taciturne »,
mais
en
donnant
au
mot
un
sens
tout
autre
qu’il
a
aujourd’hui
en
français. Il s’agit de quelqu’un pour qui le silence est
un
trésor
et
qui
le
préserve
avec
amour.
La
traduction
la
plus
fréquente :
« De
l’amour
du
silence »
rend
assez
bien
se
sens
du
mot
latin
taciturnitas. Benoît, en homme très pratique, commence
de
nouveau
ce
chapitre
en
invitant
son
disciple
à
faire
quelque
chose.
« Faisons
ce
que
dit
le
Prophète... »
Et
cette
invitation
à
« faire »
introduit
les
deux
premiers
versets
du
psaume
38.
(C’est
donc
au
psalmiste
que
Benoît
donne
le
nom
de
« prophète »).
Voici
ces
deux
versets : J’ai dit : Je me surveillerai pour ne pas pécher
par
ma
langue.
J’ai
placé
un
frein
à
ma
bouche,
j’ai
été
muet,
humilié
et
j’ai
tu
même
de
bonnes
paroles. De cette brève citation – sortie, il
est
vrai,
de
son
contexte
--
Benoît
tire
deux
conclusions,
toutes
deux
commençant
par
le
mot
latin
propter,
désignant
quelque
chose
qui
nous
est
précieux,
que
l’on
veut
préserver,
ou
quelque
chose
que
l’on
craint
et
que
l’on
veut
éviter.
La
première
conclusion
est
que,
pour
préserver
son
amour
du
silence
–
non
seulement
le
silence,
mais
l’amour
du
silence
–
il
faut
parfois
s’abstenir
même
de
paroles
qui
sont
bonnes ;
à
plus
forte
raison
–
et
c’est
là
la
deuxième
conclusion
--
pour
éviter
la
peine
du
péché,
il
faut
s’abstenir
de
paroles
mauvaises. La raison de s’abstenir de paroles bonnes est
donc
positive.
Cela
devrait
suffire
évidemment
pour
s’abstenir
de
paroles
mauvaises,
mais
si
cela
ne
suffit
pas,
on
devrait
éviter
ces
paroles
mauvaises
au
moins
par
peur
du
châtiment.
De tout cela Benoît déduit ensuite
deux
règles
–
l’une
positive,
à
l’égard
des
disciples
perfecti, c’est-à-dire « accomplis », et
une,
négative,
à
l’égard
des
autres.
La
première
est
qu’on
pourra
accorder
aux
moines
« accomplis »
la
permission
de
parler
de
propos
bons,
saints
et
édifiants,
mais
rarement. Pourquoi rarement ? – afin de préserver,
comme
un
trésor,
l’amour
du
silence.
À
l’égard,
d’eux
l’attitude
est
quand
même
positive. Quant aux autres, ceux qui ne sont pas des moines
parfaits
ou
accomplis,
et
qui
n’ont
donc
pas
cet
amour
du
silence
à
préserver,
et
qui
seraient
portés
à
des
propos
grivois
ou
à
des
paroles
vaines
et
ridicules,
on
ne
leur
permet
même
pas
d’ouvrir
la
bouche
pour
dire
de
telles
choses. Et tout cela Benoît le justifie par
un
principe
général
et
une
déduction
pratique
de
ce
principe. Le principe est celui-ci : Il revient (condecet) au maître de parler
et
d’instruire,
il
convient
(convenit) au disciple de se
taire
et
d’écouter. Ce verset nous ramène
au
tout
premier
verset
du
Prologue :
« Écoute,
ô
fils,
les
préceptes
du
Maître
et
incline
l’oreille
de
ton
coeur ». Le « maître » dont il est question
ici,
c’est
le
« maître »
au
sens
le
plus
général
et
le
plus
profond,
et
donc
tout
d’abord
le
Christ.
Et
le
disciple,
ou
le
fils,
est
quiconque
désire
vivre
la
vie
monastique,
qui
consiste
précisément
à
se
constituer
« disciple »
du
Christ. Benoît choisit ses mots de façon très
précise :
Au
maître
il
revient
(condecet)
de
parler
et
d’instruire.
C’est
un
droit,
quelque
chose
qui
correspond
à
sa
nature
ou
à
sa
dignité.
Quant
au
disciple,
l’attitude
consistant
à
se
taire
et
à
écouter
est
l’attitude
qui
« convient »
--
ce
qu’il
doit
faire
s’il
veut
être
convenable. Remarquons aussi les groupes de mots. Pour le maître, il revient de parler et d’instruire.
Sa
parole
est
nécessairement
un
enseignement.
Au disciple, il revient de se taire et
d’écouter.
Les
deux
attitudes
sont
complémentaires :
pour
pouvoir
écouter,
il
faut
se
taire
et
entendre
dans
le
silence
la
Parole
qui
nous
est
dite. Selon notre caractère, notre humeur,
notre
complexion
psychologique,
nous
pouvons
être
plus
loquaces
ou
plus
portés
au
silence.
Mais
quelle
que
soit
notre
nature,
si
nous
nous
examinons
honnêtement
devant
Dieu
nous
verrons
que
si
nous
nous
efforçons
de
mener
une
vie
de
prière
continuelle
et
de
vivre
aussi
consciemment
et
aussi
constamment
que
possible
en
communion
avec
Dieu,
nous
serons
portés
à
« aimer
le
silence »,
comme
dit
Benoît,
et
nous
n’aurons
pas
besoin
de
règlements
qui
nous
rappellent
le
devoir
de
nous
taire.
Par
ailleurs,
si
notre
coeur
n’est
pas
plein
de
la
Parole
de
Dieu
écoutée
et
sans
cesse
méditée,
nous
aurons
un
besoin
constant
d’entendre
(ce
qui
n’est
pas
la
même
chose
qu’écouter)
des
choses
superficielles
et
de
bavarder
sans
cesse. L’important n’est donc pas tellement
de
nous
concentrer
sur
des
règles
de
silence
à
observer,
mais
plutôt
de
nous
efforcer
de
devenir
sans
cesse
davantage
de
véritables
contemplatifs. C’est lorsque nous ne le sommes pas que les
règlements
deviennent
nécessaires. Armand Veilleux
|
|
||
|
|||