Chapitre du 21 février 2010

à la communauté de Scourmont 

 

Des qualités requises de l’abbé - RB 2, 1-13 

 

            Lors de mon premier commentaire de la Règle, ici à Scourmont, je n’ai pas commenté le chapitre 2 intitulé « Des qualités requises de l’abbé », donnant comme explication que j’en traiterais avec le chapitre 64 sur l’élection abbatiale.  C’était probablement l’effet d’une sorte de fausse pudeur – ou simplement d’une vraie vanité.  Il est en effet toujours un peu embarrassant pour un abbé de parler, surtout devant sa propre communauté, du rôle de l’abbé. On a sans doute peur que la distance entre l’idéal et la réalité ne soit trop évidente !  Il est beaucoup plus facile d’en parler devant un auditoire neutre ou devant une autre communauté monastique.  J’ai d’ailleurs eu souvent l’occasion de le faire en présidant des élections abbatiales (le rituel de l’élection prévoit en effet la lecture des chapitres 2 et 64 et un bref commentaire par le président de l’élection). 

            Durant longtemps j’ai aussi trouvé embarrassant que Benoît commence sa Règle en parlant de l’abbé.  Mais j’ai fini par comprendre que Benoît est tout à fait logique. Pour lui, comme je l’ai déjà dit et commenté plusieurs fois, les trois éléments fondamentaux du cénobitisme sont la communauté, et la vie sous une Règle et un abbé.  De fait, il a largement parlé de la communauté et de la Règle commune de vie dans le Prologue et dans le chapitre premier.  Il est donc normal qu’il passe ensuite directement au troisième élément de cette trilogie : l’abbé.  

            Et la préoccupation de Benoît n’est pas de définir le rôle, la responsabilité et le pouvoir de l’abbé, mais plutôt de dire à celui-ci comment il doit se comporter. Ce qu’exprime assez bien d’ailleurs le titre (même si les titres de la RB sont postérieurs à Benoît) : Qualis debeat esse abbas », qu’on pourrait traduire littéralement « Quelle sorte d’homme doit être l’abbé », et qu’on traduit généralement par « Des qualités requises de l’abbé ».  

            Ce qu’affirme Benoît, dès le début de ce chapitre, c’est que c’est le Christ qui est le père de la communauté.  Il était en effet courant dans l’antiquité de donner au Christ le nom de « père ».  Nous n’avons qu’un seul père, qui est notre père dans les cieux, et le Christ est un avec lui. Voici le premier verset de ce chapitre :

 

Abbas qui praesse dignus est monasterio semper meminere debet quod dicitur et nomen maioris factis implere.

 

L’abbé, jugé digne d’être à la tête du monastère, doit toujours se rappeler le nom qu’il porte, et faire en sorte que ses actes correspondent au nom d’intendant qu’il porte. 

            On traduit d’habitude l’expression nomen maioris par « le nom de supérieur », mais le mot latin maior évoque tout de lui le nom de maior domus, ou, en français de « majordome » ou intendant, d’autant plus que cette idée reviendra souvent dans la Règle.

            Benoît explique ensuite cette affirmation par une autre encore plus surprenante, mais l’une des plus commentées de la Règle, ou en tout cas de ce chapitre :

 

Car, dans une vision de foi (creditur) on considère qu’il tient dans le monastère la place du Christ, dont il porte le titre.

 

L’expression « il tient la place » traduit le latin agere vices, qui signifie agir au nom de, être vicaire de, être le représentant de... 

            L’idée de Benoît est donc que le Christ est le Père de la communauté, et qu’il exerce sa paternité à travers le ministère de l’abbé. Nous verrons dans les chapitres suivants, comment l’abbé partage cette paternité avec beaucoup d’autres frères, et même avec toute la communauté, lorsque les frères sont réunis en conseil comme nous le verrons tout de suite dans le chapitre 3. 

            Quelle conclusion en déduit Benoît ?  Ayant affirmé que l’abbé tient dans la communauté la place du Christ, on pourrait s’attendre à ce que Benoît exhorte tout de suite les frères à lui obéir.  Ce n’est pas ce qu’il fait.  Il en déduit plutôt l’attitude que l’abbé doit avoir à l’égard de ses frères. Et puisque la « paternité spirituelle », aussi bien dans le Nouveau Testament que dans la littérature patristique, est toujours liée à l’enseignement, l’abbé, exerçant à l’égard de ses frères la paternité du Christ, doit tout d’abord enseigner.  Il ne peut cependant enseigner n’importe quoi.  Il n’a pas une doctrine personnelle à enseigner.  Il doit simplement enseigner celle du Christ.

 

Aussi l’abbé ne doit-il rien enseigneur, établir ou ordonner qui soit contraire au commandement du Seigneur.  Mais ses ordres et sa doctrine répandront dans l’esprit de ses disciples le ferment de la justice divine. 

            De sa doctrine il devra rendre compte à Dieu, tout comme de la réception (oboedientia = écoute) de cette doctrine par ses disciples.  En effet, dit-il,

 

L’abbé doit savoir que le Père-de-famille tiendra pour faute du pasteur toute déficience qu’il trouverait dans les brebis.

 

Nous avons ici le tableau complet de la communauté, telle que la voit Benoît.

Le « Père-de-famille » ou paterfamilias, c’est Dieu le Père.  Il a envoyé son Fils qui exerce sa paternité dans la communauté, conçu comme un troupeau de brebis, selon l’image biblique traditionnelle.  Dans cette communauté il y a un intendant, qui agit non pas en son nom personnel, mais au nom du Christ.  Cet intendant devra un jour rendre compte de son intendance, et il sera tenu responsable de toute déficience trouvée dans les brebis.  De quoi faire peur ! 

            Benoît s’empresse donc de nuancer tout de suite cette responsabilité, en disant que le pasteur ne sera pas tenu responsable des fautes de sa communauté s’il a avec courage enseigné la voie de la justice et du salut. Et Benoît insiste fortement  sur le fait que l’enseignement de l’abbé doit être donné aussi bien par sa façon de vivre que par ses paroles. 

            La suite de ce même chapitre 2 décrira quelques aspects concrets de la tâche de l’abbé.

 

 

 

             

 


 

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