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Chapitre à la Communauté de Scourmont 14 février 2010 Des genres de moines (RB 1) La
sociologue
française
Danièle
Hervieu-Léger
a
publié
depuis
plus
d’une
quinzaine
d’années
de
nombreux
livres
et
articles
sur
la
question
de
la
place
du
« religieux »
dans
la
vie
des
sociétés
modernes.
Un
de
ces
livres
porte
comme
titre
Vers
un
renouveau
du
christianisme
?
avec,
comme
sous-titre
Introduction
a
la
sociologie
du
christianisme
occidental.
L’Introduction
de
ce
volume
porte
comme
titre
Le
christianisme
au
XXe
siècle :
épuisement
ou
renouveau ? Elle y analyse, d’une part, la grande popularité
qu’ont
les
hôtelleries
monastiques
auprès
de
personnes
qui
y
cherchent
en
réalité
des
choses
très
diverses,
et,
d’autre
part, les diverses formes de recrutement des communautés
monastiques
elles-mêmes.
En
lisant
cette
introduction,
ces
jours-ci,
j’ai
pensé
que
c’était
une
sorte
de
pendant
moderne
au
premier
chapitre
de
la
Règle
de
saint
Benoît
sur
les
diverses
catégories
de
moines. Benoît
commence
en
effet
son
premier
chapitre
par
les
mots :
« Il
est
manifeste
qu’il
y
a
quatre
genres
de
moines ».
Il
ne
fait
pas,
comme
Danièle
Hervieu-Léger,
une
étude
sociologique
du
phénomène
monastique
dans
son
ensemble.
Il
se
contente
de
constater
ce
qui
est
manifeste
pour
tout
le
monde
de
son
temps
–
manifestum est. On pourrait évidemment dire la même
chose
aujourd’hui.
À
côté
des
diverses
formes
de
vie
monastique
que
l’on
peut
trouver
dans
les
nombreuses
congrégations
de
la
confédération
bénédictine
et
les
Ordres
cisterciens,
il
y
a
les
nombreuses
communautés
dites
« nouvelles »,
dont
plusieurs
se
donnent
l’épithète
« monastique ».
Benoît
ne
s’attarde
pas
non
plus
à
analyser
les
caractères
positifs
et
négatifs
de
chaque
forme,
mais
bien
de
préciser
la
forme
qui
l’intéresse,
puisque
c’est
celle
qu’il
vit
et
pour
laquelle
il
veut
écrire
sa
Règle.
Il
commence
donc
son
chapitre
en
disant
que
la
première
des
formes
de
vie
monastique
est
la
vie
cénobitique
et
il
termine
le
chapitre
en
disant
que
c’est
pour
elle
qu’il
écrit
sa
Règle. Benoît
décrit
de
deux
façons
ce
qui
constitue
l’essentiel
de
la
vie
cénobitique. D’abord en en énumérant les trois grands éléments
dans
une
phrase
lapidaire ;
ensuite,
en
explicitant
ce
qu’elle
n’est
pas,
dans
sa
description
des
autres
formes.
Sa
vision
des
trois
piliers du
cénobitisme
:
vie
en
communauté,
sous
une
Règle
et
un
abbé,
je
l’ai
commentée
plusieurs
fois ;
je
n’y
reviens
pas.
Voyons
donc
ce
qu’il
dit
des
autres
formes. Il
parle
tout
d’abord
des
ermites,
pour
qui
il
a
un
réel
estime.
Les
ermites
qu’il
a
en
vue
ne
sont
pas
des
personnes
qui
ont
choisi
ce
genre
de
vie
dès
le
début
de
leur
vie
monastique,
mais
des
personnes
qui,
après
de
longues
années
d’une
vie
cénobitique
réussie,
peuvent
aller
au-delà
dans
leur
cheminement
spirituel,
sans
le
support
de
la
vie
communautaire.
Dans
le
Prologue,
il
vient
de
montrer
la
vie
monastique
comme
une
voie
de
conversion,
pour
laquelle
les
moines
ont
pris
les
armes
de
l’obéissance
pour
militer
pour
le
Christ
Roi. Ici il dit justement que ce que les ermites
ont
reçu
au
monastère,
c’est
le
support
et
l’aide
de
nombreux
frères
qui
combattent
ensemble
contre
les
forces
du
mal,
lesquelles
sont
d’abord
en
eux-mêmes.
À
travers
cette
lutte
commune,
ils
sont
devenus
« instruits »
--
rappelons-nous
que
Benoît
voit
le
monastère
comme
une
« école »
--
et
qu’ils
sont
devenus
« aguerris »,
et
donc
non
plus
ni
naïfs
ni
pusillanimes.
Ils
savent
se
tenir
« debout »,
comme
un
soldat
courageux,
ce
que
signifie
le
mot
de
« stabilité ». À
l’opposé,
ce
que
Benoît
reproche
aux
deux
autres
catégories,
les
sarabaïtes
et
les
gyrovagues,
montre,
par
un
raisonnement
a
contrario,
ce
qu`il
attend
du
cénobite.
D’abord,
il
leur
reproche
de
ne
pas
avoir
de
« règle ».
Souvenons-nous
qu’il
vient
de
dire
qu’un
cénobite
vit
en
communauté
et
sous
une
règle,
un
mode
de
vie,
une
façon
de
vivre
concrètement
l’Évangile
dans
les
détails
les
plus
ordinaires
de
la
vie
commune
–
un
mode
de
vie
que
la
communauté
s’est
donné
et
qu’on
a
longuement
examiné
avant
de
l’accepter.
Cette
règle
commune
est
semblable
aux
exercices,
à
l’ascèse,
à
laquelle
se
soumet
un
soldat
ou
un
athlète,
et
à
travers
laquelle
il
acquiert
sa
force. La règle est une maîtresse qui peut enseigner,
car
elle
est
le
fruit
d’une
longue
expérience
collective :
ceux
qui
passent
par
elle
sont
comme
l’or
qui
sort
de
la
fournaise,
purifié
de
ses
scories,
alors
que
les
autres
sont
mous
comme
du
plomb.
Il
vaut
la
peine
de
lire
la
phrase
de
Benoît : Ils n’ont pas subi l’épreuve d’aucune règle, maîtresse d’expérience,
comme
l’or
subit
celle
de
la
fournaise ;
mais
ils
sont
amollis
comme
du
plomb. Benoît
dit
cela
au
sujet
des
« sarabaïtes ».
Il
est
encore
plus
sévère
à
l’égard
des
gyrovagues. Ce qu’il leur reproche, au delà du fait de ne
pas
rester
en
place
et
d’avoir
certaines
conduites
qui
ne
conviennent
pas
à
des
moines,
c’est
essentiellement
le
fait
d`être
« esclaves
de
leurs
volontés
propres »,
de
faire
ce
qu’ils
veulent,
quand
ils
veulent,
comme
ils
veulent.
Remarquons
qu’il
est
possible
d’avoir
un
peu
la
même
attitude,
même
au
sein
d’une
communauté. C’est sans doute pourquoi Benoît mentionne cela
dès
le
début
de
sa
Règle.
Il
y
reviendra
d’ailleurs
dans
le
chapitre
sur
l’humilité.
Si
l’on
revient
maintenant
à
l’approche
sociologique
de
Danièle
Hervieu-Léger,
que
j’ai
mentionnée
au
début,
on
pourrait
aussi
établir
des
distinctions
entre
les
diverses
formes
de
vie
qui
se
disent
monastiques,
de
nos
jours,
non
pas
pour
les
classifier
en
plus
parfaites
et
moins
parfaites,
mais
pour
bien
distinguer
les
charismes. Il
y
a
des
formes
de
vie
en
commun
qui
offrent
un
strict
environnement
disciplinaire
laissant
peu
de
place
à
toute
décision
personnelle,
en
même
temps
qu’une
grande
dose
de
chaleur
affective,
et
qui
peuvent
servir
provisoirement
de
sorte
de
matrice
où
des
jeunes
trouvent
la
sécurité
affective,
psychologique
et
sociale
qu’ils
n’ont
peut-être
pas
connue
ni
dans
leur
famille,
ni
à
l’école,
ni
dans
la
société.
Le
défi
pour
ces
groupes
est
de
voir
à
ce
que
ces
candidats
ne
se
libèrent
pas
de
la
nécessité
de
croître
et
sortent
un
jour
du
cocon
pour
naître
à
une
vie
autonome,
où
ils
assumeront
leur
responsabilité
personnelle. Il
y
a
aussi
les
formes
de
vie
en
commun
où
l’on
cherche
et
offre
la
même
sécurité
dans
une
appartenance
identitaire.
On
entre
pour
exercer
telle
activité,
pour
assurer
la
continuité
de
telle
pratique
dans
l’Église,
pour
célébrer
en
latin,
etc.
Là
aussi
le
défi
des
responsables
est
de
permettre
à
ceux
qu’attire
une
telle
appartenance
identitaire
de
devenir
quand
même
un
jour
des
personnes
autonomes.
Car
une
authentique
communauté
est
un
rassemblement
de
« personnes »
et
non
pas
d’« individus »
isolés,
vivant
en
commun,
même
dans
un
chaud
environnement
émotionnel. Les
communautés
de
personnes
adultes
et
autonomes,
sachant
ce
qu’elles
veulent,
mais
sachant
aussi
renoncer
à
leurs
volontés
propres
pour
s’entraider
dans
une
aventure
commune
sous
une
règle
commune
et
stable
vers
un
but
qui
n’est
rien
d’autre
que
la
configuration
au
Christ
–
est
beaucoup
plus
exigeante.
Dans
ces
communautés
la
Règle
appelle
sans
cesse
à
des
prises
de
décision
personnelles. Ce genre de communauté ne répond guère aux attentes
ni
de
ceux
qui
sont
soucieux
d’un
« achèvement »
plus
individualiste
que
vraiment
personnel,
ni
de
ceux
qui
sont
en
mal
de
sécurité
psychologique
et
sociale.
Il
est
normal
que
peu
de
personnes
de
la
société
actuelle
s’y
sentent
appelées.
L’afflux
d’un
très
grand
nombre
de
vocations
dans
les
monastères
à
certaines
époques,
comme
durant
le
premier
siècle
de
Cîteaux,
répondait
à
des
facteurs
sociologiques
et
spirituels
tout
à
fait
particuliers,
et
qui
ne
se
reproduisent
au
cours
des
âges,
y
compris
de
nos
jours,
que
dans
des
situations
particulières
qu’on
pourrait
assimiler
à
des
micro-climats. Nous
verrons,
dans
les
chapitres
suivants
de
la
Règle
de
saint
Benoît,
comment
il
concevait
les
éléments
essentiels
de
cette
vie
cénobitique. Armand Veilleux
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