|
|
||
|
|||
Chapitre
à
la
Communauté
de
Scourmont
Prologue
de
la
Règle
(vv.
45-50) Nous commenterons aujourd’hui ensemble les six derniers versets du Prologue
de
la
RB,
car
ils
forment
un
tout.
C’est
une
sorte
de
gran
finale,
où
nous
entrevoyons
déjà
plusieurs
des
thèmes
fondamentaux
de
la
Règle. 45. Nous devons donc instituer une école pour apprendre à servir le Seigneur. 46. Ce faisant, nous l’espérons, nous n’instituerons rien de dur, rien de pénible. Le « donc » (ergo)
avec
lequel
débute
ce
groupe
de
versets
montre
bien
que,
dans
la
pensée
de
l’auteur,
il
s’agit
d’une
conclusion
de
tout
ce
qui
précède.
Tout
ce
qui
est
dit
dans
le
Prologue,
jusqu’à
ce
point,
vaut,
en
réalité
pour
tout
chrétien.
Il
s’agit
de
la
fin
ultime
de
toute
vie
chrétienne,
et
même
de
toute
vie
humaine. Maintenant ils
s’agit
d’indiquer
en
quoi
consiste
la
voie
proprement
monastique
pour
arriver
à
ce
but. Dans le verbe « instituer »
(le
verbe
latin
constituere
est
encore
un
peu
plus
fort)
indique
déjà
un
aspect
de
la
vie
monastique. Il s’agit de quelque chose de stable, d’une
structure
qui
donne
de
la
continuité
et
de
la
permanence
à
l’expérience
de
vie.
Le
mot
revient
deux
fois,
au
verset
45
et
au
verset
46.
Nous
verrons
plus
loin
comment
Benoît
décrit
les
Sarabaïtes. Ce sont des personnes qui se prétendent moines,
mais
ne
le
sont
pas
réellement,
parce
qu’ils
n’ont
aucune
stabilité
et
aucune
règle
de
vie,
agissant
à
chaque
instant
selon
leur
désir
du
moment. C’est là une tentation qui demeure toujours
présente,
même
dans
la
vie
cénobitique. Benoît dit qu’il va instituer une école.
Les
nombreuses
études
qui
ont
été
faites
sur
le
sens
de
ce
mot
à
l’époque
de
Benoît
montrent
que
ce
qu’il
signifie
ce
n’est
pas
une
série
de
cours
ou
un
programme
de
formation,
mais
tout
simplement
d’un
lieu,
d’une
institution,
où
l’on
apprend
ensemble
quelque
chose. La dimension proprement cénobitique est déjà
implicite
dans
ce
mot.
Il s’agit d’une scola
Dominici
servitii,
d’une
école
du
service
divin.
L’expression
peut
avoir
plusieurs
nuances
différentes,
dont
il
n’est
pas
nécessaire
d’exclure
aucune.
Déjà
apparaît
ici
la
notion
de
service.
Dans
un
premier
temps
il
s’agira
d’apprendre
comment
le
Seigneur
Jésus
s’est
fait
le
serviteur
de
tous.
On
pense
en
particulier
au
lavement
des
pieds
des
Apôtres
lors
de
la
dernière
Cène.
Dans
un
deuxième
temps,
ce
sera
notre
propre
service
du
Seigneur,
en
particulier
dans
l’Oeuvre
de
Dieu.
Et
finalement
ce
sera
le
service
du
Seigneur
dans
nos
frères.
On
peut
déjà
apparaître
en
arrière
fond
le
chapitre
72,
sur
le
bon
zèle
et,
derrière
ce
chapitre,
le
chapitre
25
de
l’Évangile
de
Matthieu. Ensuite Benoît dit qu’en instituant
cette
école
(in
qua
institutione)
il
espère
n’établir
rien
de
dur
et
rien
de
pénible.
Ces
mots
nous
renvoient
sans
doute
aux
paroles
de
Jésus
disant :
« Mon
joug
est
doux
et
mon
fardeau
léger ».
Mais
il
ne
faut
pas
se
faire
illusion.
Il
s’agit
bien
de
porter
sa
croix
à
la
suite
du
Christ,
et
cela
ne
sera
pas
toujours
facile. Benoît ajoute donc : 47. Pourtant, il y aura peut-être quelque chose d’un peu plus difficile pour une raison juste. En effet, il faut bien corriger les défauts et garder l’amour entre les frères. Il y a ici beaucoup de nuances ou d’allusions
à
l’Évangile
qu’il
est
bien
difficile
de
rendre
dans
une
traduction.
Les
mots
« quelque
chose
d’un
peu
plus
difficile »
traduit
le
latin
si
quid
paululum
restrictius », qui pourrait se rendre en français,
d’une
façon
littérale,
par
« quelque
chose
de
plus
étroit ». Et l’allusion est évidemment à la porte étroite
par
laquelle
on
entre
dans
le
Royaume
de
Dieu
selon
la
parole
de
Jésus.
Mais
Benoît
ajoute
tout
de
suite
que
lorsque
ce
sera
le
cas,
ce
sera
pour
« une
raison
juste »,
en
latin
aequitatis
ratione. On a ici
deux
notions
qui
reviendront
plusieurs
fois
dans
la
Règle :
la
notion
d’équité,
qui
demande
de
tenir
compte
de
la
force
et
de
la
faiblesse
d’un
chacun
et
de
ne
jamais
exiger
de
qui
que
ce
soit
ce
dont
il
n’est
pas
capable.
Et
puis,
il
y
a
la
notion
de
raison.
Tout,
dans
notre
vie,
doit
être
rationnel,
ou
en
tout
cas
jamais
irrationnel.
C’est
peut-être
l’attrait
qu’exerce
sur
Benoît
XVI
la
personne
et
la
Règle
de
saint
Benoît
qui
font
qu’il
attache
tant
d’importance
à
la
« raison ». Déjà Benoît indique deux domaines où
des
exigences
s’imposeront :
d’abord
la
conversion,
ou
correction
des
défauts,
puis
le
maintien
de
l’amour.
Encore
ici
on
peut
penser
au
chapitre
72
sur
le
bon
zèle,
et
aussi
au
chapitre
71
sur
l’obéissance
mutuelle. 48. Mais ne te laisse pas tout de suite troubler par
la
peur
et ne fuis pas le chemin du salut qui, au début, est toujours étroit. Ici aussi, nous avons plusieurs idées
fondamentales
en
autant
de
mots :
Le
but
de
la
vie
c’est
le
salut,
tel
qu’il
a
été
décrit
dans
tout
le
Prologue,
c’est-à-dire
la
vie
en
plénitude.
Puis
il
y
a
la
notion
de
cheminement.
Toute
notre
vie
ici-bas,
même
si
elle
est
déjà
une
participation
au
Royaume
de
Dieu,
est
un
cheminement.
Or
ce
chemin,
à
son
début,
ou
à
son
entrée,
est
étroit. Même référence à porte étroite dont parle le
Seigneur.
Il
ne
faut
surtout
pas
se
laisser
troubler
et
se
laisser
gagner
par
la
peur. En filigrane, on peut lire toutes les paroles
de
Jésus,
surtout
après
la
Résurrection,
disant
sans
cesse :
« n’ayez
pas
peur »,
« ne
soyez
pas
troublés ».
Car
c’est
la
peur,
précisément,
qui
est
le
plus
susceptible
de
nous
faire
abandonner
notre
marche
vers
le
salut
–comme
Pierre
qui
marche
sur
les
eaux
vers
le
Christ,
mais
qui
commence
à
couler
dès
qu’il
a
peur.
On
peut
sans
doute
penser
encore
plus
au
jeune
homme
riche,
qui
désirait
le
salut,
et
qui
demande
à
Jésus
quoi
faire
pour
être
sauvé,
et
qui
s’en
va
–
qui
fuit
–
lorsqu’il
trouve
trop
grandes
les
exigences
que
lui
pose
Jésus. 49. Mais, à mesure qu’on avance dans la vie monastique
et
dans
la
foi, le coeur devient large. Et l’on se met à courir sur le chemin des commandements de Dieu, le coeur rempli d’un amour si doux qu’il n’y a pas de mots pour le dire. La voie dont l’entrée est si étroite
s’élargit
au
fur
et
à
mesure
qu’on
y
avance.
Cette
voie,
c’est
la
conversatio
ou
la
forme
de
vie
propre
au
moine
et
qui
n’a
de
sens
que
dans
la
foi.
Comme
ce
cheminement
est
essentiellement
un
chemin
intérieur,
Benoît
ne
dit
pas
que
c’est
le
sentier
qui
devient
plus
large,
mais
que
c’est
le
coeur
lui
même
qui
se
dilate :
dilatato
corde.
Le
coeur
se
dilate
aux
dimensions
de
l’amour
du
Christ
en
englobe
tout,
comme
dans
la
vision
de
Benoît
racontée
dans
les
Dialogues
de
saint
Grégoire,
où
il
perçoit
tout
l’univers
dans
un
seul
rayon
de
lumière. Le
coeur
ainsi
dilaté,
nous
pouvons
non
plus
marcher
mais
courir
dans
la
voie
des
commandements.
Il
s’agit
évidemment
des
deux
commandements
de
l’amour
de
Dieu
et
des
frères.
Cet
amour,
dit
Benoît
est
d’une
douceur
« inenarrabilis »,
c’est-à-dire
pour
laquelle
il
n’y
a
pas
de
mots. 50. Ainsi, nous n’abandonnerons jamais notre maître, et chaque jour, dans le monastère, jusqu’à la mort, nous continuerons à faire ce qu’il nous enseigne. Alors, par la patience, nous participerons aux souffrances du Christ et nous mériterons ainsi d’être avec lui dans son Royaume. Ainsi, nous n’abandonnerons jamais
notre
maître,
c’est-à-dire
Dieu,
et
nous
persévérerons
dans
l’accomplissement
de
sa
volonté,
dans
le
monastère,
jusqu’à
la
mort.
Nous
entrevoyons
déjà
ici
les
trois
éléments
constitutifs
du
cénobitisme
que
Benoît
donnera
au
chapitre
suivant.
C’est
une
vie
en
communauté
(in
monasterio),
sous
une
Règle
commune,
c’est-à-dire
une
même
doctrine
(eius doctrina). L’idée de stabilité est déjà
inclue
dans
le
mot
« persévérant ».
C’est
pourquoi
les
mots
« jusqu’à
la
mort »
nous
renvoient
plutôt
à
l’exemple
du
Christ
qui
s’est
fait
obéissant
jusqu’à
la
mort
et
la
mort
de
la
croix. Cette croix du Christ et ses souffrances,
nous
y
participons
précisément
en
supportant
les
choses
un
peu
plus
difficiles
mentionnées
plus
haut. Ce faisant, nous mériterons d’être
avec
lui
dans
son
Royaume,
c’est-à-dire
nous
mériterons
le
salut
mentionné
tout
au
long
de
ce
Prologue
comme
le
but
vers
lequel
tend
toute
notre
vie. Armand VEILLEUX
|
|
||
|
|||