Chapitre à la Communauté de Scourmont

le 24 janvier 2010  

 

                                   Prologue de la Règle (vv. 5-44)

 

            Les quatre premiers versets du Prologue, propres à Benoît, ont bien situé toute la Règle et donc toute la vie du moine dans une perspective divine et tout à fait néotestamentaire.  La vie du moine ne sera pas un effort ascétique humain d’auto-achèvement, mais une vie à la suite du Christ, imitant son attitude d’obéissance.  Ce sera aussi une vie de prière continuelle. 

            À partir du verset 5, Benoît passe du « tu » au « nous », même à l’intérieur de la même phrase (qui englobe les versets 4 et 5). Toute la suite du Prologue sera une longue série de citations bibliques, prises surtout des psaumes, interprétés dans le cadre de la vie monastique. 

            Énumérons quelques-uns des thèmes contenus dans ces versets.  Il y a tout d’abord celui de la paternité de Dieu. Benoît voit Dieu avant tout comme un Père, et non pas un juge.  Il s’agit d’un père tendre qui nous a comblés de biens, dont le premier est précisément notre qualité de fils de Dieu. Étant fils par adoption, nous avons la vie éternelle en héritage. Puisque nous avons choisi une vie d’obéissance nous devons utiliser notre qualité de fils pour lui obéir, à l’image de son Fils Unique. Il ne faut surtout pas retourner à la désobéissance, qui entraînerait le péril d’être déshérités.  On voit que pour Benoît les notions de paternité divine, de marche à la suite du Christ, d’obéissance, de filiation divine, sont divers aspects d’une même réalité englobante. 

            Un second thème est celui de l’aujourd’hui. La conversion n’est pas une chose à faire demain.  Elle est à faire aujourd’hui, chaque jour. Cette conversion a été présentée dès le début du Prologue comme le passage de la paresse de la désobéissance au labeur de l’obéissance, il est donc normal que Benoît aligne des verset de l’Écriture nous appelant à sortir du sommeil, à écouter la voix qui nous dit : Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas votre coeur. » Nous devons plutôt tendre « l’oreille de notre coeur » pour savoir ce que dit l’Esprit.  Non seulement ce qu’il peut dire à chacun de nos coeurs, mais ce qu’il dit « aux Églises », c’est-à-dire à chaque communauté.  En effet depuis le verset 5, le texte parle à la première personne du pluriel : « nous ».  

            Ensuite Benoît crée une sorte de scène où Dieu cherche « son » travailleur au milieu de la foule.  Son travailleur, c’est toujours celui qui a assumé le « labeur » de l’obéissance et qui désire la vie.  J’aime beaucoup cette expression : « qui vult vitam et cupit videre dies bonos ».  Celui qui veut la vie et désire voir des jours heureux ». Le désir de la vie, qui est le désir de Dieu et de la communion avec Dieu, est exprimé par le verbe volere, vouloir, qui implique un mouvement ou une aspiration du coeur tout entier. Quant au désir des jours heureux, il est exprimé par un autre verbe : cupit, qui implique une tendance des sens, ou de notre nature sensible.  Nous sommes des êtres de désir.  Mais au-delà de tous nos désirs humains, même les plus spirituels, il y a le mouvement du coeur, de tout notre être vers Dieu, l’union contemplative avec Lui dans la prière continuelle.

            Si, à cette question : « Quel est celui qui veut la vie ? », nous répondons : « moi ! », Benoît met alors dans la bouche de Dieu toute une série de recommandations tirés des psaumes, mais toujours réinterprétées dans un sens néotestamentaire, donc chrétien. 

            Et cette section se termine par ces versets pleins d’une grande beauté qui seraient dignes d’Isaïe :  « Quoi de plus doux, frères bien aimés, que cette voix du Seigneur qui nous invite. Voici que, dans sa tendresse, le Seigneur nous indique le chemin de Vie. » 

            Nous cherchons la « vie », et le Seigneur nous en indique le « chemin ». Le but du chemin, c’est le royaume ; nous y sommes guidés par l’Évangile, et nous devons être ceints de la foi et des bonnes actions.  On voit encore une fois ici que pour Benoît, la vie monastique n’est pas un « état » où l’on attend que quelque chose se passe, mais elle consiste dans l’action. « Si nous voulons habiter dans la demeure de son royaume, hâtons-nous par de bonne actions, sinon nous n’y parviendrons jamais. » 

            Après de nombreux passages des psaumes nous appelant aux bonnes actions, Benoît sent tout de suite le besoin d’appeler son disciple à l’humilité (vertu sur laquelle il reviendra très longuement au chapitre 7). Le moine sait que tout ce qu’il « fait », il doit à la grâce de Dieu de pouvoir le faire : « Non pas à nous, Seigneur, mais à ton nom donne la gloire ». Et il cite le mot de Paul : « C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis. » 

            La différence entre celui qui « fait » et qui s’attribue la gloire de ce qu’il fait et celui qui attribue toute gloire à Dieu, c’est la différence entre celui qui a construit sur le sable et celui qui a construit sur le roc.  Pour l’un et l’autre la tempête viendra un jour. Seule la maison bâtie sur le roc résistera à la tempête. 

            Et après cette très longue liste de citations bibliques (dont je n’ai rapporté que quelques-unes) Benoît résume tout en nous appelant encore une fois à l’action : « Ceci dit, le Seigneur attend de nous que, chaque jour, nous répondions à ses saints conseils par des actes » !  Et il ajoute : « Le Seigneur dit dans sa tendresse : Je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive. »  

            Ce que nous voulons est ce que Dieu veut.  Nous voulons la vie et Dieu veut pour nous la vie.  Pour cela, dit encore Benoît il nous faut militer dans la sainte obéissance.  Mais souvenons-nous qu’au début du Prologue il avait parlé des armes de l’obéissance que prennent ceux qui veulent militer (le même mot !) sous le Christ Roi.  Le Christ est donc présent tout au long de ce Prologue, même s’il n’est pas souvent mentionné.  Par ailleurs le mot « vie » revient un grand nombre de fois.  Et le Christ n’a-t-il pas dit : « Je suis la Vie » ? 

            La prochaine fois nous aborderons les derniers versets de ce Prologue, où Benoît dit qu’il veut établir une « École du service de Dieu ».

 

Armand VEILLEUX

 

 

 

 

             

 


 

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