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10 janvier 2010 Chapitre à la Communauté
de
Scourmont Prologue de la Règle (verset 3) Poursuivons lentement notre commentaire
du
Prologue
de
la
Règle.
Dans
un
chapitre
précédent,
j’ai
commenté
les
deux
premiers
versets
du
Prologue ;
aujourd’hui
je
commenterai
le
verset
suivant. Je m’arrête longuement à ces premiers versets,
parce
qu’ils
représentent
vraiment
l’esprit
de
Benoît,
étant
des
versets
qui
lui
sont
propres
et
qu’il
n’a
pas
empruntés
à
la
Règle
du
Maître
ou
à
une
autre
source
antérieure : Mon discours s’adresse donc maintenant à toi, qui que
tu
sois
qui
renonces
à
tes
volontés
propres
et
prends
les
armes
très
puissantes
et
glorieuses
de
l’obéissance,
afin
de
militer
pour
le
Seigneur
Christ,
le
vrai
roi.
(v. 3) Les deux premiers versets étaient une
affirmation
générale
de
principes
importants.
Dès
ce
troisième
verset
on
passe
à
l’application
pratique
qui
découle
de
ces
principes :
Cette
transition
est
nettement
indiquée
par
les
mots
ergo
nunc
(donc,
maintenant). Et puis, c’est maintenant un « je »
qui
parle
à
un
« tu ».
Mon
discours
s’adresse
à
toi. Si l’on tient compte du fait que le début du
Prologue,
dit
en
latin :
Obsculta,
o
fili, c’est-à-dire « Écoute, fils », et non
pas
« mon
fils »,
comme
je
l’ai
expliqué
il
y
a
quelques
semaines
–
si
l’on
tient
compte
de
cela,
c’est
ici
la
première
fois
que
l’auteur
de
la
Règle
parle
en
utilisant
la
première
personne,
et
l’une
des
très
rares
fois
qu’il
le
fait
dans
la
Règle. « Mon
discours
s’adresse
à
toi ». Qui est ce « toi », cette
personne
à
qui
va
s’adresser
la
Règle.
Benoît
le
dit
tout
de
suite :
« Toi,
qui
que
tu
sois ».
Il
faut
être
conscient
qu’au
moment
où
Benoît
écrit,
l’Empire
romain
d’Occident
subit
des
transformations
importantes,
suite
aux
invasions
des
peuples
nouveaux
–
dits
« barbares »,
qui
assument
le
pouvoir
un
peu
partout.
Les
classes
sociales,
si
importantes
dans
le
monde
romain,
sont
chambardées.
Le
monastère
de
Benoît
sera
ouvert
à
toute
personne,
sans
qu’il
ne
soit
aucunement
tenu
compte
de
sa
provenance,
riche
ou
pauvre,
de
sa
classe
sociale,
de
son
degré
d’instruction.
Tous
sont
égaux
devant
Dieu
et
donc
devant
la
Règle
aussi. Est-ce à dire que n’importe quelle
personne
qui
se
présente
au
monastère
est
acceptée
sans
plus
de
discernement.
Évidemment
non. Pour interpréter ce Prologue il faut tenir compte
de
ce
qui
est
dit
au
chapitre
58
sur
la
réception
des
frères.
On
éprouve
d’abord
la
persévérance
de
celui
qui
frappe
à
la
porte,
puis
on
le
garde
quelques
jours
à
l’hôtellerie,
ensuite
on
l’introduit
dans
la
maison
des
novices
et
on
le
confie
à
un
ancien
qui
doit
s’assurer
s’il
cherche
vraiment
Dieu,
et
on
l’informe
clairement
des
difficultés
de
la
voie
monastique.
Alors,
si,
après
tout
cela,
il
promet
de
persévérer
dans
la
stabilité,
on
lui
lit
la
Règle. Donc, lorsque Benoît dit, au début
du
Prologue
« Mon
discours
s’adresse
à
toi,
qui
que
tu
sois... »,
il
s’adresse
à
quelqu’un
qui
a
passé
à
travers
toute
cette
période
de
discernement
initial
et
qu’on
a
jugé
apte
à
entendre
sa
première
lecture
de
la
Règle. La suite du verset 3 du Prologue résume
ce
qui
est
dit
au
chapitre
58
sur
la
disposition
que
doit
démontrer
le
candidat
pour
qu’on
l’accepte
à
commencer
sa
vie
monastique :
« qui
que
tu
sois
qui
renonces
à
tes
volontés
propres
et
prends
les
armes...
de
l’obéissance,
afin
de
militer
pour
le
Seigneur
Christ,
le
vrai
Roi. » Le renoncement est une attitude
fondamentale
du
moine.
Ainsi,
dans
la
Règle
de
saint
Pachôme,
la
section
sur
l’acceptation
des
frères
commence
par
les
mots
« Si
quelqu’un
se
présente
à
la
porte
du
monastère
avec
la
volonté
de
renoncer
au
monte
et
d’être
compté
parmi
les
frères... »
(Pr.
49).
D’ailleurs,
à
l’époque
de
Pachôme,
où
le
mot
« moine »
est
encore
très
peu
utilisé
(et
réservé
en
fait
aux
« moines »
cléricaux
des
villes),
l’un
des
noms
donnés
au
moine
du
désert
est
celui
de
« renonçant »
(en
grec,
un
apotassómenos (quelqu’un qui a renoncé). On renonce à quoi ? Benoît dit
qu’il
s’adresse
à
quelqu’un
qui
renonces
à
« ses
volontés
propres ».
Remarquer
que
volonté
est
au
pluriel.
Dans
la
Règle,
la
« volonté »
du
moine
est
la
plupart
du
temps
présentée
d’une
façon
positive.
Ici
il
s’agit
de
voluntates
propriae, de désirs personnels, au pluriel. Ceci est opposé à la nature même de la vocation
monastique
qui
consiste
à
n’avoir
dans
sa
vie
qu’un
amour,
un
désir,
un
but
vers
lequel
on
tend
de
tout
son
être.
Et
il
faut
certainement
lire,
en
filigrane
la
phrase
de
Jésus
qui
dit :
« Je
ne
cherche
pas
ma
volonté,
mais
la
volonté
de
celui
qui
m’a
envoyé »
(Jean
5,30). Le renoncement est une caractéristique
fondamentale
de
toutes
les
formes
de
vie
monastique,
que
ce
soit
dans
l’hindouisme
ou
le
bouddhisme
par
exemple. Mais dans ces traditions religieuses, le but
du
renoncement
est
d’arriver
à
une
grand
paix
intérieure,
une
grande
liberté,
en
vue
d’arriver
à
l’équilibre
intérieur.
Ce
qui
est
propre
au
Christianisme,
c’est
qu’on
renonce
–
non
seulement
aux
choses
extérieures,
mais
même
à
soi-même
--
pour
s’attacher
par
l’obéissance
à
Quelqu’un
d’autre,
le
Christ. D’ailleurs, en grec, entre le mot qui
désigne
le
renoncement
(apotagè)
et
celui
qui
désigne
l’obéissance
(upotagè),
il
n’y
a
qu’une
lettre
de
différence.
Il
faut
se
libérer,
de
détacher
(apo)
pour
se
soumettre
(upo). Ce détachement est présenté en termes
militaires,
selon
la
grande
tradition
ascétique. Militer sous le Christ, ne veut pas dire
entrer
dans
une
armée
pour
partir
en
guerre
à
la
suite
du
Christ,
mais
il
s’agit
d’abord
de
lutter
contre
soi-même.
Celui
qui
ne
se
renonce
pas
à
soi-même
ne
peut
pas
être
mon
disciple. Même dans l’Islam, la
fameuse
jihad,
selon
le
Coran,
est
tout
d’abord
une
lutte
ascétique
contre
soi-même,
avant
d’être
une
lutte
contre
les
ennemis
d’Allah. Quant à la royauté du
Christ
dans
la
Règle,
j’en
ai
parlé
lors
de
la
fête
du
Christ
roi. Elle est mentionnée ici et au chapitre 61 sur
la
réception
d’un
moine
provenant
d’un
autre
monastère,
et
où
il
est
dit
que
nous
militons
tous
sous
un
même
roi !. Armand VEILLEUX
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