Chapitre du 27 décembre 2009  

 

Père Charles Dumont

 

            La plupart d’entre vous avez vécu avec Père Charles depuis beaucoup plus longtemps que moi et l’avez donc connu mieux que moi.  Je voudrais quand même apporter mon propre témoignage à sa mémoire. 

            D’abord quelques dates : il est né en 1918, quelques jours avant l’armistice qui mit fin à la première Guerre Mondiale.  Sa mère mourut d’une façon inattendue au cours d’une opération chirurgicale, alors qu’il avait neuf ans.  Cette séparation le marqua profondément.  Dans ses poèmes il parle souvent de sa mère et le thème de la mort revient assez constamment, quoique toujours avec une note de grande sérénité.    

            Il entra à Scourmont en 1941 et fut ordonné prêtre en 1950.  La même année il fut envoyé aider la fondation de Caldey, où il resta 10 ans.  

            Avant son entrée au monastère son père, qui était dans l’industrie du textile, l’avait envoyé étudier l’anglais en Angleterre.  Cette connaissance de l’anglais allait jouer un rôle important dans sa vie au sein de l’Ordre.  D’abord l’Abbé Général, Dom Gabriel Sortais, l’utilisa comme traducteur dans ses visites des monastères des Iles Britanniques ; puis l’abbé de Melleray pour ses Visites Régulières en Amérique.  Ce fut l’occasion pour Père Charles de découvrir l’Amérique et pour l’Amérique de découvrir Père Charles.                

            On commença aussi à mieux le connaître dans l’Ordre à partir de 1963 lorsqu’il devint rédacteur en chef des Collectanea en remplacement de Dom André Louf, qui venait d’être élu abbé du Mont-des-Cats. 

            Mon premier contact personnel avec Père Charles fut en 1971 lorsqu’il vint participer au deuxième Symposium Cistercien (organisé par Père Basil Pennington), et qui se tint à l’abbaye d’Oka, près de Montréal. Avant ce Symposium j’avais invité Père Charles à venir à Mistassini, et je le conduisis de Mistassini à Saint-Romuald (N.D. du Bon Conseil) puis à Oka, en passant par le monastère bénédictin de Saint-Benoît du Lac.  Cela nous permit de nombreuses heures de conversation en cours de route. 

            L’influence de Père Charles dans l’Ordre s’inscrivit dans la ligne d’évolution commencée par Dom Anselme Le Bail.  Ce dernier avait fait redécouvrir à l’Ordre saint Bernard et les Pères cisterciens.  Il avait aussi aidé à comprendre l’importance d’une solide formation, spécifiquement cistercienne. Quant à Père Charles, à travers, en particulier, les trimestres de formation pour les Maîtresses des novices, qui se tinrent à Laval puis à Chimay, à partir de 1972, il conduisit une très grand nombre de moniales, et aussi de moines, à la connaissance et à l’amour de nos Pères Cisterciens et de leurs écrits. 

            Avec sa sensibilité de poète et son attrait pour la philosophie, il avait un don particulier pour une vertu tout à fait cistercienne : l’amitié, comme l’un de ses amis, Thomas Merton, mais de façon différente de ce dernier.  Merton, dans son ermitage à Gethsemani, recevait la visite de grandes personnalités qui établissaient souvent avec lui des liens d’amitié qui duraient.  Père Charles avait une amitié beaucoup plus large, qui englobait un grand nombre de moines et moniales « ordinaires » et de personnes de l’extérieur qui trouvaient grand profit à échanger avec lui et à apprendre de son expérience et de sa sagesse. 

            Personnellement, avec presque vingt ans plus jeune que Père Charles, j’appartenais à la génération de ceux qui, au-delà des Pères cisterciens et même de saint Benoît, s’étaient efforcés de redécouvrir l’esprit du cénobitisme chrétien primitif (à l’époque où beaucoup d’autres s’accrochaient à la redécouverte de la spiritualité anachorétique du désert). J’appartenais aussi à la génération qui, dans la foulée de Vatican II, sentait le besoin d’inculturer la tradition ancienne dans la monde contemporain.  Sur ce point nos vues divergeaient.  C’est ainsi que la Nouvelle Revue Théologique publia en 1977 la traduction française d’une conférence sur le rôle de la sous-culture monastique dans la formation du moine, que j'avais donnée à un Symposium en Australie la même année.  Père Charles réagit assez fortement à cette approche dans la conférence qu’il donna aux Maîtresses des Novices à Laval en 1979.  Heureusement ( !) je ne découvris ses commentaires que plus de dix ans plus tard et Père Charles m’assura alors que sa pensée avait évolué et que sa position sur ce point était devenue plus nuancée. Cela n’empêcha pas notre amitié de se maintenir. 

            D’avoir été l’abbé de Père Charles a été pour moi une grâce. Au cours des onze dernières années, notre relation a évolué. 

            Peu après mon arrivée à Scourmont, il me donna une copie de son beau livre sur la sagesse cistercienne selon saint Bernard, qui venait de paraître, avec cette dédicace gentille, mais un peu « standard » : 

            « À Dom Armand Veilleux, en reconnaissance de son labeur pour l’Ordre, spécialement d’être aujourd’hui Abbé de Scourmont, cet écho lointain de l’enseignement de Dom Anselme Le Bail qui représentait la voix de S. Bernard.  fr Charles Dumont, toussaint 1998 »  

            En 2007, lorsque parut sa biographie en anglais, rédigée par soeur Elizabeth Connor, il m’en donna une copie, le jour-même où il la reçut, avec cette dédicace beaucoup plus incisive :  

            « To my Abbot

               with love

              his son.

              fr Charles » 

            J’y ai évidemment vu tout de suite une application de la recommandation de saint Benoît à la fin de sa Règle (c. 73) : « Ils aimeront leur abbé d’un amour humble et sincère. »  

            Récemment, lorsque je suis parti pour un voyage imprévu et rapide en Afrique, alors qu’il s’approchait visiblement de la fin, je l’ai embrassé en lui disant : « Attendez-moi !».  Il m’a obéi. Durant les derniers jours de mon absence, il demanda souvent quand  est-ce que reviendrait le père abbé.  J’ai ainsi pu être à ses côtés le matin de Noël, au moment où il rendit sereinement son dernier souffle à son créateur. 

            Ces sentiments « filiaux » chez un maître spirituel nonagénaire sont évidemment tout à son honneur ! 

            Je reviendrai dans l’homélie des funérailles sur d’autres aspects du message que nous laisse Père Charles.

 

 

Armand Veilleux                

 

           

 

 

 

             

 


 

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