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8 novembre 2009 – Chapitre Abbaye de Scourmont La paix du coeur Dès le début de ses Confessions, saint
Augustin
a
cette
phrase
d’une
concision
et
d’une
profondeur
extraordinaire :
Fecisti nos ad te et inquietum est cor nostrum, donec requiescat
in
te (Augustin, Confessions, livre
1,
chap.
1,
ligne
6) « Tu nous as faits pour toi (fecisti
nos
ad
te)
et
notre
coeur
est
sans
repos
(inquietum
est)
jusqu’à
ce
qu’il
se
repose
en
toi
(donec
requiescat
in
te).
Ce texte contient déjà tout ce qu’on peut dire sur la paix du coeur. L’expression latine « fecisti nos ad te » possède une force qu’il
est
bien
difficile
de
rendre
en
français.
L’accusatif
de
« ad
te »
implique
un
but,
un
mouvement
vers.
Et
puis
il
y
a
aussi
l’opposition
entre
le
fait
que
notre
coeur
est
« sans
repos »
(inquietum),
sans
quies,
sans
quietude,
aussi longtemps qu’il ne se repose (requiescat)
qu’il
trouve
sa
quies
en
Dieu.
Inquietum,
pourrait
évidemment
se
traduire
aussi
par
inquiet. Et il y a deux formes d’inquiétude. L’une
est
négative
et
l’autre
positive.
L’inquiétude
négative
consiste
à
être
tiraillé
entre
toutes
sortes
de
préoccupations
contradictoires
qui
nous
enlèvent
la
paix
de
l’esprit
et
du
coeur.
L’inquiétude
positive
est
celle
qui
vient
du
refus
de
se
reposer
en
quoi
que
ce
soit
d’autre
que
le
but
désiré,
et
qui
s’identifie
au
désir. Un coeur en paix c’est un coeur unifié
–
un
coeur
qui
n’est
pas
divisé
entre
des
amours
et
des
désirs
contradictoires.
C’est
surtout
un
coeur
centré
sur
un
but
vers
lequel
il
tend
en
ligne
droite. C’est là le sens de la vie monastique.
C’est
là
aussi
le
sens
premier
du
mot
moine. Vous connaissez sans doute quelques-unes des
excellentes
études
faites
il
y
a
une
trentaine
d’années
sur
l’origine
et
le
sens
primitif
du
mot
grec
monachos, d’où nous vient, à travers le latin monacus, le mot
français
moine.
On relie souvent le mot grec monachos à un autre
grec
monos,
et
on
en
conclut
que
le
moine
est
celui
qui
vit
seul. Ce qui n’est pas le sens premier. Dans le langage chrétien primitif, avant que
n’apparaisse
le
phénomène
monastique,
le
mot
grec
monachos,
qui
n’existe
pas
dans
le
grec
classique,
est
utilisé
pour
désigner
quelqu’un
qui
a
assumé
le
célibat.
C’est
l’équivalent
du
mot
syriaque
ihidaya, qui est beaucoup plus souvent attesté dans la littérature ascétique
primitive.
Le
mot
signifie
d’abord
celui
qui
a
choisi
le
célibat. Or la racine sémitique du mot (iahad en hébreu)
signifie
non
seulement
« être
seul »,
mais
« être
un »,
ne
pas
être
« divisé ».
Et
c’est
là
le
sens
fondamental
du
mot
monachos,
comme
c’est
le
sens
du
célibat
assumé
pour
le
Royaume
des
cieux.
Le
moine
c’est
celui
qui
est
un,
unifié,
intègre.
Dans le psaume 86, 11 nous chantons:
« unifie
mon
coeur
pour
qu’il
cherche
ton
nom ».
Le
verbe
utilisé
dans
la
bible
hébraïque
est
le
verbe
iahêd (même racine que ihidaya), qu’une très ancienne traduction grecque
de
l’AT,
celle
d’Aquila,
rend
par
le
verbe
grec
monachoun : rends mon coeur
moine !
« Unifie mon coeur » veut dire : « Fais que je n’aie
pas
un
coeur
partagé ».
Cette
unité
du
coeur
est
l’équivalent
de
la
« pureté
du
coeur ».
Et
quel
est
l’opposé
de
cette
unité
ou
de
cette
pureté,
c’est
la
« duplicité »
du
coeur,
la
dipsychia,
selon
une
expression
biblique
assez
fréquente
« un
coeur
et
un
coeur »
(leb we leb). Un coeur en paix c’est un coeur unifié, qui n’est pas partagé entre divers
buts
et
divers
amours.,
qui
va
droit
au
but.
C’est
pourquoi
le
même
mot
syriaque
ihidaya
sera
traduit
indifféremment,
dans
la
littérature
monastique
de
langue
grecque,
par
monachos
ou
par
monotropos,
c’est-à-dire
celui
qui
n’a
qu’un
but,
qu’une
préoccupation
dans
sa
vie.
Qu’un
amour. La vertu correspondant à cette attitude ou à cet état, c’est la simplicité
(en
grec
haplotès).
Cette
notion
de
simplicité
est
assez
proche
de
celle
de
stabilité
dans
la
Règle
de
saint
Benoît.
Dans
le
chapitre
58,
sur
la
réception
des
frères,
Benoît
veut
qu’on
se
préoccupe
tout
d’abord
de
voir
ce
que
cherche
vraiment
le
candidat. (La préoccupation de savoir s’il « a la
vocation »
est
une
préoccupation
tout
à
fait
moderne).
Il
faut
assurer
de
deux
choses :
la
première
est
« qu’est-ce
qu’il
veut ? ».
Cherche-t-il
vraiment
Dieu ?
Autrement
dit :
« a-t-il
un
but
unique
et
précis ? ».
S’il
cherche
vraiment
Dieu
il
sera
assidu
à
l’Opus
Dei,
et
à
l’obéissance
et
acceptera
le
cas
échéant
les
humiliations. Mais la question qui résume tout : Est-il
orienté
vers
Dieu.
Est-ce
l’objet
de
son
désir.
La
deuxième
question
est :
Est-il
vraiment
sérieux
dans
cette
recherche ?
Est-il
prêt
à
en
payer
le
prix.
Et,
à
chaque
étape
du
discernement
qu’on
fait
avec
lui,
on
continuera
ce
discernement
s’il
promet
sa
« stabilité »,
qui
est
beaucoup
plus
que
le
fait
de
demeurer
dans
un
même
lieu.
C’est
avant
tout
la
stabilité
dans
le
cheminement,
dans
la
poursuite
du
but.
On
devra
vérifier,
dit
Benoît,
s’il
« persévère
dans
cette
[sa]
stabilité ». Un coeur en paix est un coeur où il
n’y
a
pas
de
guerre,
pas
de
lutte.
Et
cela
n’est
pas
donné.
Il
faut
y
arriver
après
une
longue
route
de
conversion.
C’est
pourquoi
un
coeur
en
paix
est
nécessairement
un
« coeur
pacifié »
-
un
coeur
qui
s’est
laissé
pacifier
par
l’Esprit
qui
a
sans
doute
utilisé
beaucoup
d’instruments
divers. La paix du coeur est le fruit d’un
long
et
constant
cheminement
qui
nous
fait
passer
du
besoin
au
désir.
L’être
humain
connaît
en
effet
un
grand
nombre
de
besoins,
qu’il
a
en
général
en
commun
avec
les
autres
êtres,
surtout
ceux
de
l’ordre
animal ;
mais
ce
qui
lui
est
propre
comme
être
humain
c’est
le
désir. Mais quand bien même l’être humain
arriverait
à
satisfaire
tous
ses
besoins
et
à
s’ouvrir
à
tous
ses
désirs
terrestres,
il
reste
en
lui
l’aspiration
à
un
surplus
d’être
qu’il
ne
peut
que
recevoir
de
Dieu.
Cette
aspiration
est
pure
ouverture,
pure
réceptivité.
Elle
n’est
possible
que
dans
un
coeur
pur
et
pacifié. À son tour, elle maintient, nourrit et développe
la
paix
du
coeur. Armand VEILLEUX
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