Chapitre du 4 octobre 2009

Scourmont

 

 

L’acceptation d’un prêtre / un évêque en communauté (RB 60) [1]  

            Cher Mgr. Frédéric, le chapitre de saint Benoît que vous venez de lire s’inscrit dans une section de la Règle qui traite des divers aspects de l’incorporation de nouveaux membres à la communauté (58-62) et du service pastoral de l’abbé et de son prieur (63-65).  Cette section, qui reprend d’une façon nouvelle plusieurs thèmes traités dans les chapitres précédents, fut rédigée par l’auteur de la Règle à une période plus tardive.  Elle est donc le fruit de la sagesse acquise au cours d’une longue expérience. 

            Ce chapitre 60 qui traite de l’acceptation d’un prêtre qui voudrait se fixer au monastère, s’applique évidemment aussi à quelqu’un qui a la plénitude du sacerdoce, c’est-à-dire un évêque. Même s’il n’est pas rare, de nos jours, qu’un prêtre demande à devenir moine après quelques années – ou plusieurs années – de ministère sacerdotal, il est plus rare qu’un évêque le fasse.  Nous avons quand même quelques cas dans notre Ordre – et il y en a eu un bon nombre dans l’histoire de l’Ordre au Moyen Âge.  Le Droit Canon prévoit le cas d’un religieux qui devient évêque ;  mais il ne prévoit pas explicitement le cas d’un évêque qui devient religieux.

             Avant la réforme conciliaire et ce que nous avons appelé dans notre Ordre l’unification des communautés, à peu près tous les moines de choeur devenaient prêtre (alors que les frères convers ne pouvaient jamais le devenir). Déjà dans les années ’60 (et même auparavant) la question de la relation entre vie monastique et sacerdoce était très discutée.  On en vint assez rapidement à une vision communément acceptée, selon laquelle la vocation à la vie monastique et la vocation sacerdotale sont deux vocations nettement distinctes, même si elles peuvent harmonieusement coexister dans la même personne.   

            Pour Benoît, lorsqu’on vient au monastère, que l’on soit laïc (ce qui est la situation la plus ordinaire) ou que l’on soit prêtre (ce qui est une possibilité), on y vient pour être moine, au sein d’une communauté.   C’est pourquoi ce chapitre 60 sur l’acceptation de prêtres doit se lire à la lumière du chapitre 58, sur la réception des frères -- le premier chapitre de cette section.   

            Toute la préoccupation de Benoît dans le chapitre 58 de sa Règle est que les vocations soient « vraies ».  Son attitude est très humble. Il ne croit pas que l’on puisse dire si quelqu’un a ou n’a pas la vocation.  Il croit que la seule chose dont on puisse s’assurer au point de départ est ce que cherche le candidat qui se présente et s’il est prêt à en payer le prix.  Et c’est ce dernier élément qui vient en premier : le candidat désire-t-il assez fortement ce qu’il désire pour persévérer même si des difficultés sont mises sur son chemin.  On veut savoir s’il a l’étoffe voulue.  En effet les difficultés un peu artificielles auxquelles on le soumet (selon ce chapitre 58 : quelques jours d’attente à la porte, rebuffades, etc...) sont bien peu de choses à côté des difficultés réelles de la vie spirituelle qui viendront plus tard. 

            Au chapitre 60 Benoît prévoit deux cas de figure. Dans la première partie du chapitre il parle de prêtres qui veulent vivre un certain temps au monastère – de nos jours on dirait « pour une période sabbatique ».  Puis, dans la deuxième partie, il parle de ceux qui demandent à s’intégrer à la communauté.  Il attend d’eux qu’ils promettent d’observer la Règle et qu’ils promettent aussi la stabilité dans la communauté. Réfléchissons sur ces deux exigences. 

            Quand Benoît parle de « Règle », il n’entend pas simplement une série de règlements auxquels il faut se conformer par obéissance ou ascèse.  Il s’agit en fait d’un mode de vie, d’une façon de vivre l’Évangile.  L’Évangile est la Règle de vie de tout chrétien, qu’il soit laïc ou moine, ou encore prêtre ou évêque. Une communauté monastique chrétienne est un petit groupe de Chrétiens qui ont choisi de vivre l’Évangile ensemble sous un forme particulière exprimée dans une Règle de vie que tous reconnaissent comme l’inspiration de leur recherche constante de Dieu.  L’histoire connaît quelques cas de conversions célèbres – de personnes qui se sont soudain converties à l’Évangile et sont entrées dans un monastère après une vie plus ou moins dissolue ou en tout cas oublieuse de l’Évangile.  Quand un prêtre ou un évêque décide d’entrer au monastère, ce n’est pas, évidemment, pour commencer à vivre selon l’Évangile – ce qu’on assume qu’il fait depuis son ordination et même depuis longtemps auparavant.  Ce qu’il cherche c’est de continuer à vivre l’Évangile et de le faire, à partir de maintenant, au sein d’une communauté de frères, selon un vision spirituelle commune exprimée dans la Règle et les Constitutions de l’Ordre, et qui constitue un interprétation de l’Évangile. 

            D’un visiteur ou de quelqu’un qui vient au monastère pour une période sabbatique, on s’attend simplement à ce qu’il vive correctement et ne dérange pas la vie communautaire.  De quelqu’un qui veut être intégré à la communauté, Benoît demande qu’il promette d’observer la Règle, ce qui veut dire assumer la spiritualité monastique que véhicule la Règle, et il lui demande aussi, comme à tout candidat de promettre la stabilité.  En effet, il ne s’agit pas simplement de trouver un endroit où vivre la dernière période de sa vie, mais bien de faire de cet endroit sa demeure, afin que Dieu continue de faire en lui Sa Demeure. 

            Cher Monseigneur Frédéric vous avez évidemment entendu parler de la vie monastique et lu de belles choses sur les moines au cours de vos longues années de prêtrise, de professeur de Grand Séminaire et d’évêque.  Mais c’est sans doute au contact de notre communauté de moniales cisterciennes de Kibungo --  dont vous avez rendu possible la fondation dans votre diocèse, et que vous avez servie un peu comme aumônier en y célébrant l’Eucharistie une fois toutes les semaines – que vous avez découvert plus concrètement la vie monastique. Et puis, après votre retraite comme évêque, vous avez demandé à faire une période sabbatique de plusieurs mois en notre abbaye. Et c’est à la fin de cette période que vous avez demandé s’il était possible à un évêque de devenir moine. Puis après une nouvelle période d’un an au milieu de nous, vous commencez aujourd’hui votre noviciat.  Je ne crois pas que ce soit parce que vous auriez trouvé soit à Kibungo soit à Scourmont des moniales et des moines d’une grande et évidente sainteté, que vous désirez devenir moine ! C’est tout simplement que vous avez ressenti l’appel, à ce moment de votre vie, à continuer à vivre l’Évangile selon le modèle, la conversatio, ou la Règle que vous avez vue ces deux communautés bien ordinaires et bien fragiles s’efforcer de vivre.  

            Nous poursuivrons désormais notre cheminement ensemble (comme nous le faisons déjà depuis plusieurs mois).  Nous essayerons tous de le faire humblement.  Nous sommes conscients que vous nous apportez la grâce d’une longue expérience de recherche de Dieu dans le service pastoral, et vous êtes disposé à apprendre de l’expérience vécue d’une petite communauté consciente de sa fragilité, mais riche de la stabilité d’une longue recherche de Dieu selon la voie monastique avec ses succès et ses échecs, ses grandeurs et ses limites. 

            Pourriez-vous maintenant me redire si vous êtes toujours désireux de poursuivre avec nous cette recherche de Dieu ? Et j’espère que ce sera pour de très nombreuses années.

 

Armand Veilleux

     

 


[1] Mgr. Frédéric Rubwejanga fut évêque de Kibungo au Rwanda de 1992 à 2007, après avoir été longtemps professeur de Grand Séminaire.  Après sa démission pour raison d’âge, il demanda à faire une période sabbatique de plusieurs mois à Scourmont.  À la fin de cette période il demanda à devenir moine.  Après un nouvelle période d’un an comme « oblat » en communauté, il commence aujourd’hui son noviciat, bien décidé non seulement à vivre dans un monastère, mais à devenir moine.

 


 

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