Chapitre du 20 septembre 2009  

 

Les deux sagesses, selon saint Jacques

 

            Depuis quelques dimanches – et ce sera encore le cas dimanche prochain --  la deuxième lecture de l’Eucharistie de ce jour est tirée de la Lettre de Jacques. 

            Cette Lettre tient une place un peu spéciale dans le Nouveau Testament, et pour plusieurs raisons.  D’abord c’est un écrit qui ne contient pas un enseignement doctrinal comme on en trouve dans les Lettres de Paul, de Jean et de Pierre, mais simplement un enseignement moral qui, en beaucoup d’aspects n’a rien de spécifiquement chrétien. C’est sans doute la raison, pour laquelle elle ne fut reconnue qu’assez tardivement, surtout en Occident, comme appartenant au Canon des Écritures.  De plus l’identité de son auteur n’est pas certaine.  Il semble bien en effet que le Nouveau Testament connaisse non seulement deux Jacques mais trois. Il y a Jacques le Majeur, frère de Jean ; puis Jacques le Mineur, fils d’Alphée. Certains identifient ce dernier avec Jacques, frère du Seigneur, qui fut le premier évêque de Jérusalem et qui joua un rôle extrêmement important dans l’Église primitive.  Mais il semble bien que ce dernier soit un troisième Jacques, différent des deux autres. (J’ai eu l’occasion d’analyser cette question lorsque j’ai publié et commenté le texte copte des deux Apocalypses attribués à ce Jacques dans la tradition gnostique). 

            C’est à ce Jacques, dit « frère du Seigneur » qu’est attribuée l’Épitre de Jacques.  L’enseignement de cette lettre est essentiellement moral, et il a la caractéristique intéressante de nous présenter une éthique qui est à la fois aussi bien juive que chrétienne.  D’ailleurs l’introduction de cette Lettre, dans l’édition de la TOB, signale que cela n’est pas sans intérêt à notre époque, dans le cadre du dialogue judéo-chrétien. 

            Le texte que nous avons aujourd’hui à l’Eucharistie est tiré du chapitre trois de cette lettre et nous présente un enseignement moral, d’une façon un parfois un peu « brutale » : « Vous êtes pleins de convoitise... alors vous tuez ; vous êtes envieux... alors... vous faites la guerre. Vous n’obtenez rien parce que vous ne priez pas ; vous priez, mais vous ne recevez rien parce que votre prière est mauvaise : vous demandez des richesses pour satisfaire vos instincts ». – Ce n’est pas un enseignement mystique très exaltant ! 

            En réalité, cette section de la Lettre de Jacques décrit l’opposition entre la sagesse du monde, d’où viennent toutes ces choses, et la Sagesse qui vient de Dieu et qui est « droiture... paix, tolérance, compréhension... pleine de miséricorde et féconde en bienfaits. »   

            On pourrait établir un lien entre cet enseignement et celui de l’Évangile d’aujourd’hui où l’on voit, d’une part, les disciples se disputer – selon l’esprit du monde -- pour savoir lequel d’entre eux est le plus grand, et où, d’autre part, Jésus les invite à l’esprit de simplicité et d’humilité d’un petit enfant. 

            On pourrait aussi trouver dans le chapitre de la Règle de saint Benoît sur le bon zèle qui conduit à Dieu et le mauvais zèle qui conduit à l’enfer un bon commentaire de ce texte de Jacques (même si Benoît ne cite jamais explicitement la Lettre de Jacques). Et l’on sait que ce chapitre de Benoît sur le bon zèle ne peut se séparer de celui sur l’obéissance mutuelle, où l’exemple donné est celui du Christ Jésus qui s’est fait obéissant jusqu’à la mort. 

            Ce que nous enseigne ce texte de Jacques, et le chapitre de saint Benoît que je viens de mentionner, c’est qu’il y a une lutte entre les puissances du mal et celles du bien qui se mène à tous les niveaux :  au niveau mondial, entre les nations, au sein de chaque communauté humaine, et – tout d’abord – dans le coeur même de chaque personne humaine. 

            L’histoire d’aujourd’hui comme celle du passé est caractérisée par des guerres meurtrières entre les peuples. Nous tous ici présents ne pouvons pas faire grand chose – en fait, nous ne pouvons rien faire, directement du moins – pour résoudre ces conflits.  Mais nous pouvons – et devons – y travailler, en gérant le même conflit en chacun de nos coeurs.  Notre travail de conversion continuelle consiste à nous assurer sans cesse que la sagesse qui guide notre vie n’est pas la sagesse du monde, qui mène aux tensions et au conflits, mais la sagesse de Dieu, qui nous ouvre à la tolérance, à la compréhension de l’autre, à la miséricorde. 

            Aucune communauté, comme aucun groupe humain, n’est exempte d’un certain nombre de tensions ou de conflits.  Qu’il suffise de penser à l’Évangile d’aujourd’hui où les Apôtres, que Jésus avait soigneusement formés durant près de trois ans, se disputent pour savoir lequel d’entre eux est le plus grand, alors même que Jésus vient de leur annoncer sa propre mort.  Quand de tels conflits naissent, la solution n’est pas dans des techniques psychologiques ou sociales, mais dans un effort de lucidité de la part de chacun pour découvrir quel esprit guide ses gestes ou ses paroles, et surtout pour laisser l’Esprit de Dieu s’emparer de lui et guider ses actes. 

Armand Veilleux

 

 


 

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