26 juillet 2009

Chapitre à la Communauté de Scourmont

 

Le CG de 1969 et ce qui l’a préparé

 

            L’année 2009 marque le 40ème anniversaire de l’envoi d’un homme sur la lune ; pour nous c’est aussi le 40ème anniversaire du Chapitre Général de 1969, qui fut certainement un point tournant dans l’histoire de notre Ordre au 20ème siècle. 

            Ce Chapitre fut important pour plusieurs raisons.  D’abord à cause des documents qu’il produisit, en particulier la Déclaration sur la vie cistercienne et le Statut sur l’Unité et le Pluralisme.  Ces documents marquèrent profondément toute l’évolution de l’Ordre par la suite, en particulier le premier qui affirmait très clairement l’orientation contemplative de notre Ordre.  On retrouvera très clairement l’orientation contemplative de ces deux documents dans nos Constitutions, puis dans tous les Statuts rédigés par la suite. 

            Le CG de 1969 fut aussi important parce qu’il lança le travail de refonte de nos Constitutions (même si un travail préliminaire avait déjà été fait). Du point de vue liturgique, ce fut aussi un moment important, puisqu’on décida de demander pour tout l’Ordre une « Loi cadre » semblable à celle obtenue auparavant par les régions du Canada et des USA, permettant une grande flexibilité pour adapter la célébration de l’Office à la situation particulière de chaque communauté.  Et puis, c’est à ce Chapitre qu’on remplaça l’abbatiat à vie par l’abbatiat ad tempus (d’abord ad tempus non definitum ; en attendant, cinq ans plus tard la possibilité de l’abbatiat ad tempus definitum). 

            Ce Chapitre fut aussi important à cause de son atmosphère.  On pouvait y sentir la présence de l’Esprit.  On aurait pu s’attendre à ce que ce soit un Chapitre très difficile avec de pénibles confrontations entre les Régions, dont certaines désiraient un pluralisme beaucoup plus grand dans l’Ordre et d’autres y étaient fortement opposées.  Finalement les deux grands documents que j’ai mentionnés tout à l’heure furent votés à la presque unanimité. 

            L’Ordre n’était plus le même après ce Chapitre.  Il faudra attendre celui de 1984 pour vivre une expérience semblable (mais pas aussi intense). 

 

Ce qui a préparé ce Chapitre 

            Dans un prochain entretien je reviendrai sur le contenu des deux documents clés.  Ce matin je voudrais simplement mentionner tout ce qui a préparé ce Chapitre, qui fut en réalité le point d’arrivée d’une longue évolution (et aussi le point de départ d’une autre évolution – continuation de la première). Les deux volumes publiés par l’Ordre l’an dernier sur la vie de l’Ordre au 20ème siècle, et que nous avons lus au réfectoire (comme plusieurs des maisons de l’Ordre l’ont fait), nous a d’ailleurs décrit cette évolution. 

            Il y a eu, bien sûr, Vatican II ;  mais l’évolution avait commencé bien avant cela. 

            Notre Ordre, né en 1892 (de l’union de diverses Congrégations issues de la réforme de La Trappe) avait connu un développement lent et continu de 1892 à 1944, avec un arrêt durant les années de la première Guerre Mondiale.  L’Ordre était jusqu’à ce moment-là essentiellement européen, tout en ayant quelques maisons au Japon, en Chine, en Amérique et une en Afrique du Nord.  Les Chapitre Généraux annuels à Cîteaux (auxquels les abbés des pays lointains ne venaient que tous les cinq ans) étaient toujours en français, sans traduction. 

            Après la seconde Guerre Mondiale, les vocations dans les monastères américains se multiplièrent à un rythme surprenant. À un moment donné il y avait à l’abbaye de Gethsemani, au même moment, 100 novices de choeur et 98 novices convers.  Les deux abbayes de Gethsemani et de Spencer firent de nombreuses fondations aux États-Unis en quelques années.  L’équilibre de l’Ordre se trouvait modifié : Un grand nombre des moines – et des moniales – étaient désormais d’une culture non européenne (avec toutefois des racines européennes), avec une relation très différente à la Tradition et surtout aux « traditions » du passé. 

            En 1951 Dom Gabriel Sortais fut élu Abbé Général.  Il remplaçait Dom Dominique Nogues, qui avait été assez opposé à tout changement des observances.  Dom Gabriel entreprit de visiter en quelques années tous les monastères de l’Ordre (ce qui n’avait pas été fait par les Abbé Généraux antérieurs, et qui deviendra une norme pour ses successeurs).  Il était plutôt traditionnaliste par tempérament, mais un homme de bon sens avec un souci pastoral.  Il se rendit compte tout de suite qu’on ne pouvait plus fonder l’unité de l’Ordre sur l’uniformité des observances, et que des changements d’observances étaient aussi nécessaires au niveau de l’ensemble de l’Ordre pour assurer dans nos communautés une vie de prière équilibrée.  Il entreprit dès le Chapitre Général de 1953, puis à ceux de 1954 et 1955 une série de réformes, dix ans avant l’aggiornamento de Vatican II.  Les anciens parmi nous se souviendront de la suppression des Offices quotidiens De Beata et presque quotidiens des défunts. 

            Un autre élément important fut les conséquences de la publication par le Saint Siège du document sur les études ecclésiastiques, Sedes Sapientiae, en 1956.  Jusqu’à ce moment-là les moines de choeur devenaient tous prêtres, sauf exception, et les études se faisaient normalement dans chaque monastère.  En quelques endroits ces études étaient de très bon niveau ;  mais dans la plupart des cas leur niveau était assez bas.  Désormais on ne pourrait continuer à faire les études de préparation au sacerdoce dans chaque monastère que si l’on y avait l’équipe nécessaire de professeurs qualifiés, munis des titres académiques nécessaires.  Dom Gabriel, toujours obéissant à Rome, prit cette décision très au sérieux et bâtit Monte Cistello, qui devint un collège international attaché à la Maison Généralice. Durant quelques années un grand nombre d’étudiants y furent envoyés.  Le nombre diminua assez rapidement par la suite pour diverses raisons. (D’abord, au bout de quelques années, la pluparts des monastères eurent le nombre voulu de professeurs qualifiés, puis le nombre des vocations diminua, et l’on commença aussi à envoyer des étudiants dans les universités locales, d’autant plus que les cours donnés à Rome passèrent du latin à l’italien). 

            Monte Cistello eut une grande importance dans le développement de l’Ordre, pour une raison autre que celle des études.  Tout à coup se retrouvèrent ensemble à Rome, auprès de la Curie Généralice, des étudiants – jeunes pour la plupart – venant de toutes les parties de l’Ordre, à une époque où beaucoup de questions se posaient aussi bien dans l’Ordre que dans l’Église, surtout durant le Concile et l’après-Concile.  Beaucoup de ces étudiants venant de pays lointains passèrent leurs étés dans des monastères d’Europe ou en visitèrent un certain nombre avant de retourner chez eux.  De nombreuses amitiés se créèrent, et cela concourut énormément à créer dans l’Ordre un esprit commun, qui favorisa l’évolution  subséquente, d’autant plus qu’un bon nombre de ces étudiants romains se retrouveront ensemble au Chapitre Général au cours des décennies suivantes, jusqu’à aujourd’hui. 

            Dom Gabriel, sans être le moins du monde féministe, perçut aussi que les moniales ne pouvaient continuer à être soumises en tout et partout à un Chapitre Général composé uniquement d’hommes.  Il convoqua, à partir de 1958 à Cîteaux les Réunions d’Abbesses, qui deviendront ensuite des Chapitre Généraux de la Branche Féminine de l’Ordre. 

            La situation des frères convers et des soeurs converses préoccupait aussi Dom Gabriel.  Tout en estimant ce qui était l’essentiel de la vocation des convers et des converses, il perçut assez rapidement que le fait d’avoir au sein d’une même communauté deux catégories de personnes yant des droits et des devoirs différents n’était plus acceptable.  Il mit en marche le mouvement de ce qu’on appellera l’Unification de nos communautés, et qui sera terminé après sa mort. 

            Il avait aussi fait préparer une révision provisoire du Livre des Us, qui fut terminée en 1963 et fut ronéotypée à la Maison Généralice, portant sur la page couverture la mention « Monte Cistello 1963 ».  (Cette édition connut une publicité inattendue ces derniers temps dans un certain « privilège » accordé par le Saint Siège à un monastère de l’Ordre). 

            Puis ce fut Vatican II.  – J’y reviendrai dimanche prochain. 

 

Armand Veilleux

 


 

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