Chapitre pour le dimanche de la Trinité, 7 juin 2009

Abbaye de Scourmont 

 

« Je suis »,  avec nous

 

            Cet entretien sera plutôt bref, puisque plusieurs d’entre vous doivent partir tout de suite après pour aller exercer votre devoir de citoyens de l’Europe. 

            Il y a quelques années, au moment où l’on préparait la Constitution de l’Union européenne – une Constitution qui, finalement, ne fut pas approuvée, puisqu’elle n’obtint pas l’accord unanime nécessaire de tous les pays européens – on discuta longuement de l’opportunité ou non d’inclure dans l’introduction à cette Constitution la mention des racines chrétiennes de l’Europe.

             Cette mention qui, finalement ne fut pas retenue dans le texte qui fut présenté à l’approbation des divers états, aurait pu se faire de diverses façons. Elle aurait pu se faire de façon triomphaliste, en rappelant le rôle important que l’Église, en tant qu’institution, jouissant d’autorité et de pouvoir, avait rempli au long des siècles, en particulier dans le domaine de l’éducation, et dans plusieurs autres aspects de la vie civile.  Une telle mention, bien que fondée historiquement, risquait de choquer ceux qui voyaient aussi des éléments négatifs dans le rôle joué par l’Église au cours des siècles, dans les empires et les états de ce qu’on appelle actuellement l’Europe. Mais cela aurait pu aussi être la mention des valeurs évangéliques transmises , à travers les siècles, aux peuples qui formèrent l’Europe par les générations chrétiennes successives.  Et cela aurait correspondu à la recommandation faite par Jésus aux disciples, dans l’Évangile d’aujourd’hui.  En les envoyant baptiser toutes les nations, il ne leur recommande pas de leur transmettre un corps de doctrine,  mais bien de leur apprendre à « garder tous les commandements qu’il leur avait donnés ».  Et, en Matthieu, cette expression « les commandements » renvoie aux Béatitudes du Sermon sur la Montagne.  Ce qui est important, en fin de compte, ce n’est pas que tous les hommes et toutes les femmes de tous les peuples appartiennent à la même « organisation » religieuse, mais qu’ils vivent selon l’esprit des béatitudes.  Et cela, c’est le devoir des Chrétiens de l’enseigner, tout d’abord à travers l’exemple de leur vie. 

            La fête de la Trinité est, en définitive, la célébration du mystère de communion au sein de la réalité divine que Jésus nous a révélée comme le Père, le Fils et l’Esprit. C’est ce même mystère de communion qui fait une Église de tous ceux qui ont mis leur foi dans le Christ Jésus. Et c’est aussi cette même réalité de communion qui fait une église locale d’une communauté monastique comme la nôtre, rassemblée par l’appel de Dieu à vivre ensemble la même recherche de Dieu dans le service mutuel.

             J’ai souvent souligné, dans mes entretiens (chapitres) à la communauté l’importance du baptême – et tout d’abord du baptême du Christ – dans la spiritualité monastique.  Or la vie publique de Jésus, dans l’Évangile de Matthieu, commence avec son baptême dans le Jourdain.  À ce moment, est révélée non seulement sa mission de Messie, mais sa aussi relation au Père et à l’Esprit ; et, en même temps, Jésus assume la tradition ascétique du Baptiste, dans laquelle s’enracine notre spiritualité monastique. Or, ce même Évangile de Matthieu se termine par une autre mention du baptême, Jésus envoyant ses disciples baptiser toutes les nations. 

            Retenons surtout la promesse de Jésus d’être avec ses disciples, et donc aussi avec nous jusqu’à la fin des temps. Il ne dit pas : « Je serai avec vous » ; mais bien « Je suis avec vous ».  Il vaudrait la peine d’analyser la formule grecque : « Ego met’umôn eimi ».  Il y a d’abord l’affirmation théologiquement très lourde de « Je suis » (Ego eimi) par laquelle Jésus s’attribue le nom de Dieu révélé à Moïse : « Je suis » (Yahvé).  Durant sa vie terrestre Jésus avait dit aux Pharisiens et aux foules : « Tout pouvoir a été donné au Fils de l’homme sur terre ».  Dans l’Évangile d’aujourd’hui, il dit « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur terre. » Le Fils de l’homme est en effet désormais entré dans la gloire du Père.  Il n’est pas entré seul dans cette gloire. Il nous a assumés avec Lui. La formule grecque est extrêmement forte. La mention « avec vous » est insérée entre le « Je » et le « suis » du « Je suis » (Ego met’umôn eimi  -- je, avec vous, suis).  Et c’est sur cette affirmation par Jésus de notre propre insertion dans le mystère de la vie trinitaire que se termine l’Évangile de Matthieu. 

            Nous pouvons donc nous aussi dire « Je suis », avec le Père et le Fils, dans la communion de l’Esprit.

 

Armand Veilleux

           

 


 

www.scourmont.be