Chapitre du 24 mai 2009 – 7ème dimanche de Pâques « B »

Abbaye de Scourmont

 

 

L’amour comme ciment de l’Église

 

 

            Nous avions comme lecture au troisième nocturne de ce matin un texte tirée de la Lettre d’Ignace d’Antioche aux Magnésiens.  Les lettres d’Ignace d’Antioche sont parmi les textes les plus beaux de la littérature chrétienne primitive.  Non seulement elles sont d’une très grande fraîcheur, mais elles nous donnent une très belle image de ce qu’était l’Église moins d’un siècle après la mort de Jésus.  L’Église y apparaît comme le fruit de la communion entre plusieurs petites Églises locales qui se sont donné chacune un ancien appelé « épiscope » ou « évêque ».  Ignace est d’ailleurs le premier à utiliser l’expression « Église catholique », par laquelle il désigne l’ensemble de tous les croyants.

 

            Né durant le premier siècle de l’ère chrétienne, Ignace est le second évêque d’Antioche.  Il est arrêté aux alentours des années 98-117, durant le règne de Trajan, il est condamné à mort et est envoyé de Syrie à Rome pour y dévoré par les bêtes.  C’est un long voyage qui fait penser à celui de Paul, aussi envoyé à Rome, parce qu’il en a appelé au jugement de l’Empereur.  En route, il traverse plusieurs Églises locales d’Asie Mineure, comme celle de Philadelphie, avant d’arriver à Smyrne dont Policarpe est évêque.  Les chefs, ou évêques, de plusieurs églises locales, comme celles d’Éphèse et de Magnésie, viennent le visiter. De divers endroits où il s’arrête durant ce périple, il écrit des lettres au Églises qu’il a traversées ou dont les évêques l’ont visité, ainsi qu’à l’Église de Rome, qu’il compte voir bientôt.

 

            Dans sa vision de l’Église et de la vie chrétienne, Ignace est influencé par les écrits de Paul, mais aussi par ceux de Jean. Le texte que nous avons lu à Vigile ce matin, était d’ailleurs choisi comme un commentaire de l’Évangile d’aujourd’hui tiré de la grande prière sacerdotale de Jésus, où il prie son Père pour que tous ses disciples soient un.

 

            Pour Ignace, qui est un homme pratique,  il ne suffit pas de porter le nom de Chrétien.  Il faut l’être en vérité.  Et on l’est si on vit dans l’unité, dans le respect mutuel et la concorde, sous une seule autorité, et dans une même foi.  Ce texte est évidemment un excellent commentaire, non seulement de l’Évangile d’aujourd’hui, mais de toutes les lectures liturgiques de ce temps pascal, tirées largement de l’Évangile et des Lettres de saint Jean et centrées sur le thème de l’amour.

 

            On dit souvent que l'amour est aveugle et n'a pas de logique, ou encore que le coeur a des raisons que la raison ne connaît pas.  Or saint Jean, dans la seconde lecture de la messe d'aujourd'hui, nous présente ce qu'on pourrait appeler la logique de l'amour -- une logique très rigoureuse : Dieu est amour; donc, si nous demeurons dans l'amour nous demeurons en Dieu et Dieu demeure en nous.

 

            Il n'y a pas d'amour sans Parole. L'amour, de sa nature, doit se dire.  Le Père s'est dit lui-même en son Fils, qui est Parole d'amour, et ce souffle d'amour qui unit le Père et le Fils est l'Esprit.  C'est le mystère de la Trinité.  Le Père s'est dit pour nous en son Fils fait homme pour le salut du monde.  C'est le mystère de l'Incarnation.  Et pour Ignace, de même que le Christ Jésus porte l’empreinte du Père, de même les fideles qui sont dans la charité portent eux aussi, par Jésus-Christ, l’empreinte du Père.

 

            Il existe beaucoup de sentiments éphémères qui ressemblent à l'amour; mais l'amour, de sa nature, est fait pour durer.  C'est pourquoi chaque fois que le Nouveau Testament parle d'amour, le mot "demeurer" revient comme un refrain.  Le Père demeure dans le Fils et le Fils demeure dans le Père.  Si nous demeurons dans l'amour nous demeurons en Dieu et le Père et le Fils établissent en nous leur demeure.

 

            L'amour se dit dans le secret, mais il peut aussi se dire en présence d'amis privilégiés.  Aussi Jésus, dans sa longue prière à son Père lors de la dernière Cène, lui parle de ses disciples en leur présence.  Je leur ai donné ta Parole, dit-il -- ta Parole qui est vérité, c'est-à-dire fidélité.  L'amour vrai est en effet l'amour fidèle.

Dans cette prière, la notion de Parole s'allie à celle de Nom; et celle de "demeurer" s'allie à celle de "garder". 

 

            Si l'amour doit se dire, il se dit dans le nom de la personne aimée. Être fidèle à l'amour c'est être fidèle au Nom de Dieu -- ce Nom qu'il a proféré dans son Fils.  Si Dieu est Amour, il est aussi Vérité, c'est-à-dire Fidélité, et c'est de Lui que nous pouvons recevoir le don de la Fidélité.  C'est l'objet de la prière de Jésus pour ses disciples:  "Père saint, garde mes disciples dans la fidélité à ton nom, que tu m'as donné en partage".

 

            L'amour est aussi source de joie.  Le Fils déborde de la joie la plus parfaite, même au moment de la plus grande souffrance. Cette joie il veut la partager : "je parle ainsi pour qu'ils aient ma joie et qu'ils en soient comblés."

 

            Ce "Traité de l'amour" que nous avons ici -- dans le discours de Jésus à la dernière Cène, repris et commenté dans la lettre de Jean – puis dans le texte d’Igace d’Antioche lu ce matin, nous fait connaître les dimensions essentielles de l'amour, qui doivent toutes se retrouver, avec des modalités différente, dans toutes les formes de l'amour humain, qu'il s'agisse de notre amour pour Dieu, de l'amour entre époux ou entre amis, entre frères et soeurs au sein d'une famille ou entre membres d'une communauté.  Et lorsque les temps seront pleinement accomplis, lorsque Jésus sera tout en tous, ce seront les caractéristiques des liens qui uniront les unes aux autres toutes les personnes et toutes les nations.

 

 

Armand VEILLEUX

 


 

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