Chapitre du 19 avril 2009 – 2ème dimanche de Pâques, 2009

 

 

L’exemple de communion de la communauté apostolique

 

 

            Le lectionnaire liturgique de la messe est particulièrement riche durant le Temps pascal.  Chaque jour l’Évangile est tiré de l’Évangile selon saint Jean et la première lecture est tirée des Actes des Apôtres.  Quant à la deuxième lecture de la messe des dimanches, elle est tirée, cette année, de la 1ère Lettre de Jean.  Un ensemble de lectures qui nous parlent abondamment de l’amour : l’amour que Dieu a pour nous, notre amour pour Lui et l’amour du prochain.

 

            Arrêtons-nous ce matin à la première lecture de la Messe d’aujourd’hui, tirée du chapitre 4 des Actes des Apôtres, qui est le dernier de ce qu’on appelle les trois « sommaires » des Actes, qui décrivent la vie de la communauté primitive de Jérusalem.  Ces textes ont inspiré toutes les formes de vie commune dans l’Église depuis la plus haute antiquité, en particulier dans notre tradition cénobitique depuis Pachôme jusqu’à Benoît et, bien sûr, nos Pères cisterciens.

 

            Le chapitre 2 des Actes mentionne d’abord (2,42) les éléments fondamentaux de la vie de la communauté primitive de Jérusalem : l’enseignement des Apôtres, les réunions communes, la fraction du pain et les prières ; puis il ajoute, quelques versets plus loin (2,44-47), la mention du partage des biens.  C’est de ce partage que parle de nouveau et de façon plu élaborée le chapitre 4 (4,32-37) dans le passage que nous avons à la messe de ce matin.

 

            Il est communément admis par les exégètes que ces descriptions ont été faites par un juif helléniste de la première génération chrétienne et reprises plus tard par Luc.  On y voit aussi, en général, un modèle – une utopie au sens profond du mot – que les premiers s’efforçaient de vivre, plutôt qu’une description exacte des faits.  Cet idéal est un beau programme de vie.

 

            À cet idéal de vie communautaire autour de la Parole, de la prière et du partage des biens, toute la tradition spirituelle des premiers siècles, jusqu’au 12ème siècle, a donné le beau nom de vie apostolique, c’est-à-dire le genre de vie caractérisant la communauté ecclésiale de l’époque apostolique.  Cette expression vita apostolica prendra un sens un peu différent par la suite, avec François d’Assise et son école.  On désignera alors par cette expression la vie des Apôtres avec Jésus durant son existence terrestre. L’accent est alors mis sur la pauvreté et la prédication plutôt que sur la vie commune.  Et on sait comment, de nos jours, l’expression « vie apostolique » désigne en général la forme de ministère actif en tant que distincte de la vie dite contemplative.

 

            Arrêtons-nous à la première phrase de la lecture d’aujourd’hui : La multitude de ceux qui avaient adhéré à la foi avait un seul coeur et une seule âme.  On pourrait trouver là une très belle définition de l’Église.  L’Église, avant d’être une grande organisation, avec ses structures et sa hiérarchie, est la communauté  de tous ceux qui ont mis leur foi dans le Christ.  De ces temps-ci, chaque fois que j’entends des personnes m’exprimer leur questionnement ou leur déception face à « l’Église », je leur dis toujours : « L’Église c’est nous tous ! ». Et la caractéristique de ceux qui ont mis leur foi dans le Christ est de n’avoir qu’un seul coeur et une seule âme. On ne saurait trouver de plus belle expression de ce qui fait l’unité de l’Église.  Cela doit aussi nous rappeler que l’Unité des Chrétiens se fera non par des négociations et des compromis doctrinaux mais en développant entre tous les Chrétiens une compréhension et un amour mutuels qui fassent qu’ils ne soient plus qu’un coeur et une âme.

 

            Les Chrétiens concernés par cette description du Livre des Actes étaient tout au plus quelques milliers.  De plus, la plupart devaient être des déracinés.  D’une part il y avait plusieurs Galiléens qui avaient suivi Jésus en Judée, et qui avaient donc abandonné leurs occupations et leurs possessions ; et il y avait aussi beaucoup de Juifs venus de la diaspora pour la Pâque et qui n’étaient pas retournés chez eux.  C’était donc une communauté pauvre.  On comprend donc que leur communion se soit exprimée dans la mise en commun de toutes leurs maigres possessions et dans le partage de ces possessions entre tous, selon les besoins de chacun. Ce dépouillement donnait à tous la liberté et la force pour témoigner de la résurrection du Christ et de la puissance de la grâce sur eux.

 

            Pour saint Benoît, comme pour saint Pachôme, le fondateur de la vie cénobitique, c’est cette union des coeurs, exprimée dans une vie en commun et dans un partage matériel fait de services mutuels, que consiste la vie monastique. C’est de la même communion que parle Benoît, lorsque, à la fin de sa Règle, il parle d’obéissance mutuelle. Il est intéressant de voir comment cette notion de « mutualité » revient souvent.  D’ailleurs, dans tout le Nouveau Testament, la solidarité et le partage dans la communauté sont exprimés par l’usage du pronom réciproque « les uns les autres » (alter alterius en latin ou allêlôn en grec).  Pour ne citer que quelques exemples : Saint Paul écrit aux Thessaloniciens (5,13-15) : Réconfortez-vous les uns les autres et édifiez-vous les uns les autres... Faites-vous du bien les uns aux autres.  Aux Romains, il écrit (15, 7,14)  Avertissez-vous les uns les autres ; et aux Èphésiens (4,32) . Montrez-vous bons et compatissants les uns pour les autres ou encore, aux Colossiens (3,13) Pardonnez-vous les uns les autres. On peut voir en ces recommandations autant de façons de traduire la recommandation de Jésus à la dernière Cène  (Jn 13,34 ; 15, 12) : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. 

 

            L’ensemble des récits des Actes des Apôtres nous montrent bien que la vie des premières communautés ne fut pas exempte de tensions, parfois très fortes, et même entre les personnes les plus importantes de la communauté.  Ce qui est merveilleux est que ces tensions ne les ont pas empêché de vivre leur communion de telle sorte que leur message soit parvenu jusqu’à nous.

 

            À nous de continuer. Nous devons nous aussi maintenir entre nous à la fois un grand respect de la diversité des sensibilités ecclésiales  et une pleine communion dans l’amour mutuel.

 

 

Armand VEILLEUX

 

           

 

           

 


 

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