29 mars 2009 – 5ème dimanche de Carême « B »

Chapitre à la communauté de Scourmont

  

La loi inscrite en nos coeurs

 

            (Cet entretien sera bref, étant donné qu’à cause du passage à l’heure avancée nous avons une heure de moins ce matin et que notre horaire est un peu bouleversé).

 

« Voici venir des jours, déclare le Seigneur, où je conclurai avec la maison d’Israël et avec la maison de Juda une Alliance nouvelle... Je mettrai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes ; je l’inscrirai dans leur coeur » (Jér. 31, 31-34).

 

            Nous avons ces paroles mises dans la bouche du Seigneur par le prophète Jérémie dans la première lecture de la Messe d’aujourd’hui (que nous venons d’entendre aussi à Laudes).  Elles ont été prononcées par Jérémie un peu avant l’exil à Babylone.  Un siècle plus tard, durant l’exil de Babylone, nous retrouverons chez le prophète Ezéchiel le même message, mais avec une insistance sur la dimension de conversion.

 

« Je vous donnerai un coeur neuf et je mettrai en vous un esprit neuf, j’enlèverai de votre corps le coeur de pierre et je vous donnerai un coeur de chair » (Ezéc. 36,26 ; voir aussi Ezéc. 11,19).

 

             Quelle est cette loi écrite en nos coeurs. Une certaine apologétique y a souvent vu une « loi naturelle » qui serait inscrite dans la nature humaine, y qui dicterait à toute personne humaine, de toute race, de tout lieu et de tous temps, les règles fondamentales de l’agir humain, dictant ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire, et qui aurait une valeur universelle.  Cette notion de loi naturelle est réapparue ces derniers temps     lors des discussions provoquées dans la presse occidentale autour de certaines déclaration du Pape Benoît XVI sur des questions morales (en particulier concernant l’avortement, la limitation des naissance et les méthodes de protection contre le SIDA).

 

            Quoi qu’il en soit de cette loi naturelle et des diverses façons de la concevoir, selon les temps et les cultures, ce n’est pas de cela dont il est question dans notre texte biblique d’aujourd’hui.  La LOI dont il est question dans ces textes est une loi d’amour, qui a comme conséquence la connaissance, la conversion et le pardon. Elle est beaucoup plus proche de notre notion moderne de « conscience » que de celle d’une « loi naturelle ». 

 

            « Je mettrai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes ; je l’inscrirai dans leur coeur. Je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple ». C’est là la première conséquence : une relation étroite. Ici, en Jérémie, c’est une relation entre Dieu et le peuple.  Un siècle plus tard, chez Ézéchiel, cela deviendra plus personnel. Et la deuxième conséquence, c’est la connaissance de Dieu «Tous me connaîtront ». Et la troisième conséquence sera le pardon des péchés, qui implique évidemment la conversion impliquée dans une vraie connaissance.  La notion même de péché et de pardon suppose la connaissance de Dieu et donc la foi.  Celui qui n’a pas la foi ne fait pas de péchés. Il commet des erreurs et fait des gaffes ; c’est tout. Le pécheur est la personne qui est consciente d’avoir offensé Dieu par ses actions ou ses omissions, et qui est consciente en même temps que Dieu lui pardonne avec amour chaque fois qu’elle se laisse aimer et pardonner.

 

            C’est dans ce contexte qu’on peut comprendre la phrase souvent citée de saint Augustin : « Aime et fais ce que tu veux ».  Le Concile Vatican II a rappelé le rôle fondamental de la conscience de chaque personne dans l’agir humain, ainsi que la notion traditionnelle de la liberté de conscience.  Chaque personne doit suivre sa conscience.  Cela ne veut pas dire tout simplement que je puisse faire tout ce qui me semble bon de faire, indépendamment des lois civiles et de celles de l’Église.  On s’empresse en général d’ajouter que la conscience doit être éclairée, c’est-à-dire qu’avant de me former une opinion personnelle sur une question morale, je dois étudier la question à fond, en écoutant ce que disent et pensent les autres.  Mais tout cela reste, somme toute, assez superficiel.  Les textes de Jérémie et d’Ézéchiel vont beaucoup plus loin.  La loi suprême de l’agir c’est l’amour de Dieu, qui implique sa connaissance et qui a pour conséquence l’amour du prochain, puisque cet amour fait de nous UN peuple avec tous ceux qui sont l’objet de ce même amour de Dieu.

 

            Ces derniers jours, dans notre lecture au réfectoire, de l’ouvrage récent sur l’évolution de notre Ordre au cours des derniers siècles, nous avions en particulier des réflexions de Mère Martha Driscoll et de Père Michael Casey, sur la place des « observances » dans notre vie monastique.  Lorsque nous faisons profession, nous choisissons de vivre notre vie chrétienne au sein d’une communauté sous une règle commune qui comporte un certain nombre de comportement qu’on appelle des « observances ».  Une fois que nous avons pris cet engagement, après mûre réflexion, comme insiste saint Benoît, il serait ridicule de prétendre faire un choix entre ces observances selon ce que me dicterait ma conscience personnelle, c’est-à-dire selon mes opinions ou mes goûts personnels. Je dois être fidèle à cette forme de vie, à cette conversatio, non pas simplement parce que cette façon de faire aurait « fait ses preuves » comme on dit, mais tout simplement parce que la volonté commune qu’implique l’acceptation d’une règle commune est une forme d’amour et donc une expression de notre amour de Dieu. Et cet amour, qui implique connaissance, invite à une conversion continuelle et rend celle-ci possible.

 

Armand VEILLEUX           

 


 

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