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15 mars 2009 :
deuxième
dimanche
de
Carême
B Chapitre à la Communauté
de
Scourmont La Croix : scandale pour les
Juifs,
folie
pour
les
Païens Récemment quelqu’un me demandait ce
que
signifiait
au
temps
de
Jésus
l’expression
« porter
sa
croix »,
faisant
sans
doute
référence
à
la
parole
de
Jésus
dans
l’Évangile :
« Si
quelqu’un
veut
venir
après
moi,
qu’il
se
renonce
à
lui-même,
qu’il
porte
sa
croix,
et
qu’il
me
suive ».
Il
est
probable
que
ce
ne
sont
pas
là
les
ipsissima
verba
de
Jésus,
c’est-à-dire
ses
paroles
telles
qu’il
les
a
prononcées,
mais
plutôt
ses
paroles
réinterprétées
à
la
lumière
de
l’expérience
pascale,
après
sa
mort
et
sa
résurrection.
De toute façon, ces paroles se trouvent
dans
les
trois
Évangiles
synoptiques
et
tout
de
suite
après
l’annonce
par
Jésus
à
ses
disciples
de
sa
passion
et
de
sa
mort. Le sens est donc clair : pour être disciple
de
Jésus
il
faut
être
prêt,
comme
lui,
à
demeurer
fidèle
à
son
engagement,
même
si
cela
conduit
jusqu’à
la
mort. Peu de personnes sont sans doute appelées à
verser
leur
sang
pour
la
défense
de
leur
foi,
mais
tous
nous
sommes
appelés
à
« renoncer
à
nous-mêmes »,
c’est-à-dire
renoncer
à
notre
volonté
propre,
à
nos
égoïsmes
afin,
comme
dit
saint
Benoît,
de
ne
rien
préférer
à
l’amour
du
Christ. Il est un peu surprenant que le mot
« croix »
ne
soit
jamais
mentionné
dans
la
Règle
de
saint
Benoît.
Cependant la participation aux souffrances du
Christ
est
mentionnée
à
la
fin
du
Prologue.
C’est
même
toute
notre
vie
monastique
qui
y
est
décrite
comme
un
exercice
de
patience
par
lequel
nous
pouvons
participer
aux
souffrances
du
Christ
et
mériter
d’être
avec
lui
dans
son
royaume.
On
retrouve
le
même
enseignement
au
Chapitre
7,
dans
la
description
du
4ème
degré
d’humilité. Dans la deuxième lecture de la Messe
d’aujourd’hui,
saint
Paul
parle
de
la
Croix.
« Alors
que
les
Juifs
réclament
les
signes
du
Messie,
et
que
le
monde
grec
recherche
une
sagesse,
nous,
nous
proclamons
un
Messie
crucifié,
scandale
pour
les
Juifs,
folie
pour
les
peuples
païens. » Ce passage est tiré du premier chapitre
de
la
Première
aux
Corinthiens,
où
Paul
affirme
qu’il
n’a
pas
été
envoyé
baptiser
mais
annoncer
l’Évangile ;
et
que
l’Évangile
qu’il
annonce
est
celui
d’un
Messie
crucifié.
Il
faut
savoir
que
ce
supplice
suscitait
une
grande
horreur
dans
le
monde
de
l’époque,
non
seulement
à
cause
de
sa
cruauté,
mais
aussi
à
cause
de
sa
signification
sociale.
Il
semble
que
ce
supplice
ait
eu
son
origine
en
Perse.
Les
Romains
l’avaient
adopté
mais
comme
forme
de
peine
capitale
réservée
aux
esclaves.
Elle
n’était
pas
appliquée
aux
citoyens
romains,
sauf
dans
le
cas
de
crimes
contre
l’Empire.
Dans
les
provinces
de
l’Empire,
comme
la
Judée,
cette
peine
servait
aussi
pour
décourager
les
révoltes
contre
la
domination
romaine.
Jésus a donc été mis à mort de cette façon pour
un
mobile
politique,
parce
que
les
autorités
juives
l’ont
présenté
à
Hérode
et
à
Pilate
comme
quelqu’un
qui
prétendait
être
« roi
des
Juifs »
et
donc
un
opposant
politique
au
pouvoir
romain. Les auteurs païens de l’époque – par
exemple
Cicéron
et
Tacite
–
décrivent
toute
l’horreur
que
suscitait
un
tel
supplice.
Cicéron
le
décrit
comme
« le
plus
cruel
et
le
plus
horrible »
de
tous
les
supplices.
On
comprend
donc
que
pour
les
Juifs
qui
attendaient
un
Messie
nationaliste
et
triomphateur
l’idée
d’un
Messie
crucifié
était
une
horreur.
Et
pour
la
sagesse
grecque
c’était
une
folie. Ce qui est intéressant dans le texte
de
Paul,
c’est
que
non
seulement
il
établit
une
opposition,
ou
une
dialectique,
entre
les
Juifs
d’une
part
et
la
sagesse
grecque
d’autre
part ;
mais
il
refuse
de
situer
d’un
côté
ou
de
l’autre.
En
effet
Jésus
est
au-dessus
de
tout
cela
et
il
est
« puissance
de
Dieu
et
sagesse
de
Dieu »
aussi
bien
pour
les
Juifs
que
pour
les
Grecs. J’ai mentionné tout à l’heure la Règle
de
saint
Benoît.
Même
s’il
n’utilise
pas
le
mot
« croix »,
peut-être
à
cause
de
l’horreur
que
ce
mot
suscitait
encore
dans
la
culture
romaine
de
l’époque,
on
trouve
dans
sa
Règle
diverses
mentions
des
souffrances
du
Christ
et
de
notre
participation
à
ses
souffrances,
comme
je
l’ai
dit
plus
haut.
On
trouve
aussi
un
très
bref
texte
qui
fait
allusion
à
l’opposition
entre
deux
univers
mentionnée
dans
le
texte
de
Paul
que
nous
commentons. Il s’agit d’un des « Instruments des bonnes
oeuvres »,
au
chapitre
4
de
la
Règle :
Se
faire
étranger
aux
manières
du
siècle.
Ce chapitre quelque peu déconcertant
de
la
Règle
de
Benoît
est
composé
de
74
maximes
sans
trop
de
liens
avec
les
chapitres
qui
précèdent
et
qui
suivent,
et
même
sans
trop
de
lien
entre
elles.
Plusieurs
n’ont
rien
de
spécifiquement
monastique
ni
même
rien
de
spécifiquement
chrétien. On comprend évidemment l’appel initial à aimer
Dieu
de
tout
son
coeur,
de
toute
son
âme
et
de
toute
sa
force
et
à
aimer
le
prochain
comme
soi-même,
mais
non
ne
voit
rien
de
particulier
à
la
spiritualité
monastique
dans
les
recommandations
de
ne
pas
tuer,
de
ne
pas
commettre
d’adultères
et
de
ne
pas
voler... Après ces quelques recommandations vraiment
fondamentales,
vient
une
seconde
série,
chapeautée
par
la
maxime
« Se
renoncer
à
soi-même
pour
suivre
le
Christ »
(où
l’on
trouve
évidemment
l’idée
de
la
Croix),
et
qui
comprend
l’invitation
non
seulement
à
aimer
le
jeûne,
mais
aussi
à
nourrir
les
pauvres,
vêtir
ceux
qui
sont
nus,
visiter
les
malades,
etc.
Puis
vient
cette
recommandation
que
j’ai
citée :
se
rendre
étranger
aux
manières
du
siècle,
suivi
par
une
autre
qui
conclue
cette
section :
Ne
rien
préférer
à
l’amour
du
Christ.
Donc, pour ne rien préférer à l’amour
du
Christ
–
une
recommandation
qui
revient
à
quelques
reprises
dans
la
Règle,
sous
diverses
formes
–
il
faut,
comme
dit
saint
Paul
dans
la
lecture
d’aujourd’hui,
transcender
toute
fausse
dichotomie
ou
toute
fausse
tension
entre
diverses
formes
de
sagesse
du
monde
et
s’attacher
au
Christ. Il est important cependant de prendre le raisonnement
de
Paul
dans
son
entièreté.
Non
seulement
le
Christ
se
distancie
des
Juifs
pour
qui
il
est
une
horreur
et
des
Grecs
pour
qui
il
est
une
folie,
mais
il
revient
vers
les
uns
et
les
autres
pour
apporter
à
tous
la
puissance
de
Dieu
et
la
sagesse
de
Dieu. Benoît n’utilise pas les expressions
de
« séparation
du
monde »
et
de
« fuite
du
monde »
que
connaîtra
la
spiritualité
occidentale
après
lui
et
qui
resteront
toujours
des
formules
empreintes
d’ambigüité.
Il
parle
tout
simplement
de
se
« faire
étranger
aux
manières
du
monde ».
Et
il
faut
savoir
que
le
mot
« étranger »
était
l’un
des
noms
du
Christ
dans
la
spiritualité
des
premiers
siècles. Le Christ est l’Étranger par excellence de deux
façons.
Il
est
Celui
qui,
alors
qu’il
était
en
Dieu,
s’est
humilié
et
s’est
anéanti
pour
devenir
l’un
de
nous
(Phil.
2) ;
mais
il
est
aussi
celui
qui,
venu
chez
les
siens,
n’a
pas
été
reçu
par
eux
et
a
été
traité
comme
un
étranger. Être étranger aux manières du siècle
c’est
vivre
à
la
fois
cette
grande
proximité
et
cette
grande
distance. Pratiquer sous toutes ses formes l’amour du
prochain,
tout
en
ayant
son
coeur
déjà
dans
l’éternité
en
se
laissant
pénétrer
par
l’amour
de
Dieu.
Ne
rien
préférer
à
l’amour
du
Christ
mais
aimer
intensément
ses
frères
et
le
siècle
dans
lequel
nous
vivons. Armand VEILLEUX
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