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Entrée en Carême 2009
Un nouvel ordre mondial Il n’y a pas tellement d’années, des
politiciens,
y
compris
des
Chefs
d’État
parlaient
avec
un
peu
d’orgueil,
et
sans
doute
aussi
avec
une
bonne
dose
de
naïveté,
d’établir
un
nouvel
ordre
international.
Ce
nouvel
ordre,
c’est-à-dire
ce
nouveau
mode
de
relation
entre
les
peuples
et
entre
les
classes
de
personnes
au
sein
des
mêmes
peuples
est
en
train
de
s’écrouler.
Il serait ridicule de voir dans cette
crise
une
forme
de
punition
divine,
comme
le
disent
parfois
certains
fondamentalistes,
aussi
bien
catholiques
que
protestants. Dieu ne s’amuse pas à faire souffrir ses enfants
pour
les
punir.
Si
le
système
est
en
train
de
s’écrouler
c’est
qu’il
était
tout
simplement
construit
sur
le
sable
et
non
sur
de
solides
fondations.
C’est
qu’il
avait
oublié
la
plupart
des
valeurs
humaines
et
spirituelles
fondamentales,
pour
ne
privilégier
qu’une
seule
valeur,
d’ordre
matériel :
l’argent. Si l’on ne peut voir dans la crise
économique
actuelle
(et
la
crise
sociale
qui
suivra
sans
doute,
et
ne
fait
que
commencer),
une
punition
divine,
on
peut
y
voir
un
appel
à
la
conversion,
c’est-à-dire
un
appel
à
établir
nos
vies,
aussi
bien
collectives
qu’individuelles,
sur
une
base
solide.
C’est
ce
à
quoi
nous
sommes
invités
par
l’observance
du
carême. Au cours de la journée de demain et
de
dimanche,
divers
membres
de
notre
communauté
monastique
vont
vous
présenter
la
liturgie
des
cinq
dimanches
du
carême.
Mais
le
carême
ne
se
réduit
pas
à
la
liturgie. C’est beaucoup plus que la liturgie ; c’est
une
attitude,
un
mode
de
vie. À la fin du Livre de l’Apocalypse --
le
dernier
livre
du
Nouveau
Testament
--
l’auteur
brosse
une
grande
fresque
où
apparaît
un
ciel
nouveau
et
une
terre
nouvelle,
et
il
entend
une
voix
forte
qui
dit :
« Voici
la
demeure
de
Dieu
avec
les
hommes. Il demeurera avec eux. Ils seront ses peuples et lui sera le
Dieu
avec
eux... »
et.
un
peu
plus
loin :
« Voici
que
je
fais
toutes
choses
nouvelles ».
La « nouveauté » est donc
au
coeur
du
message
du
Nouveau
Testament,
comme
elle
était
au
coeur
du
message
de
l’Ancien
Testament.
En
quoi
consiste
cette
nouveauté ?
Tout
d’abord
dans
le
fait
que
Dieu
a
choisi
d’établir
sa
demeure
avec
les
hommes,
de
demeurer
avec
eux.
C’est
l’aspect
du
mystère
de
Dieu
que
nous
avons
célébré
durant
tout
le
temps
de
Noël,
en
commençant
avec
l’Avent.
Tout l’univers, y compris les humains
que
nous
sommes,
est
jailli
de
l’amour
de
Dieu. C’est ce que le livre de la Genèse exprime à
travers
ses
récits
allégoriques
de
la
création
du
monde. Il est évident que le monde n’a pas été créé
en
six
jours.
Personne
ne
l’a
jamais
cru,
surtout
pas
l’auteur
du
Livre
de
la
Genèse,
qui
voulait,
à
travers
ce
récit
mythique
affirmer
la
seule
grande
vérité
qui
compte :
nous
venons
de
Dieu.
(Il
y
a
plusieurs
théories,
les
unes
plus
scientifiques
que
les
autres,
concernant
la
façon
dont
l’être
humain
et
tous
les
autres
êtres
sont
apparus
sur
la
terre
–
l’évolutionnisme,
le
créationnisme,
et
plusieurs
versions
de
l’un
et
de
l’autre
–
aucune
de
ces
théories
n’est
incompatible
avec
la
Bible,
car
c’est
à
un
autre
niveau
qu’elle
se
situe.
Elle
veut
simplement
dire
que
nous
devons
notre
existence
à
Dieu). Depuis aussi loin que l’on puisse remonter
dans
l’histoire,
à
travers
les
sources
écrites
ou
les
autres
sources
archéologiques
que
nous
possédons,
l’être
humain
a
toujours
cru
à
l’existence
d’un
être
suprême.
L’athéisme
théorique
contemporain
est
une
toute
petite
parenthèse
dans
l’histoire
de
l’humanité.
Cependant,
durant
très
longtemps,
les
hommes
se
sont
imaginé
Dieu
comme
un
maître
terrible
habitant
loin,
là-haut
dans
les
cieux. Les grands prophètes de l’Ancien Testament ont
graduellement
habitué
leur
peuple
à
percevoir
Dieu
comme
présent à leur vie, comme quelqu’un avec qui on pouvait
établir
une
relation
personnelle
d’amour. Et puis, il y a eu Jésus de Nazareth, qui a
été
la
révélation
vivante
de
cette
présence
de
Dieu
dans
l’histoire
de
l’humanité. Saint Jean, le plus mystique des Évangélistes
le
dit
de
façon
merveilleuse
dans
le
Prologue
de
son
Évangile :
« Au
commencement
était
la
Parole
de
Dieu,
qui
a
tout
créé. Cette Parole était en Dieu, elle était Dieu.
Elle
s’est
incarnée
–
elle
s’est
fait
chair
–
et
a
habité
parmi
nous ;
c’est-à-dire,
a
fait
sa
demeure
au
milieu
de
nous :
dans
notre
histoire,
dans
notre
monde.
Sa
présence
a
tout
transformé,
a
fait
un
monde
nouveau...
Et,
à
la
fin
du
Nouveau
Testament,
sous
la
plume
du
même
Jean
–
à
travers
l’un
de
ses
disciples
–
nous
lisons
cette
parole
que
j’ai
citée
au
début :
« Voici
la
demeure
de
Dieu
avec
les
hommes.
Il
demeurera
avec
eux... » Le monde est nouveau, l’humanité est
nouvelle
lorsque
Dieu
y
habite,
lorsque
Dieu
y
fait
sa
demeure. Il vaudrait la peine de méditer longtemps sur
le
substantif
« demeure »
ou
le
verbe
« demeurer ». Ces mot ont une nuance
d’intimité.
Si
je
suis
en
visite
chez
quelqu’un
pour
quelques
jours
ou
quelques
semaines,
ce
lieu
n’est
pas
ma
« demeure »,
même
si
j’y
suis
bien
reçu. Si je « squatte » pour un certain
temps,
même
pour
longtemps,
un
terrain
ou
un
édifice,
ce
terrain
ou
cet
édifice
ne
deviennent
pas
ma
« demeure ».
Comment devenons-nous la demeure de
Dieu ?
Jésus
nous
le
dit
au
cours
de
sa
longue
conversation
avec
ses
disciples
durant
le
dernier
repas
qu’il
prit
avec
eux :
« Si
quelqu’un
m’aime,
il
gardera
ma
parole. Mon Père l’aimera. Nous viendrons et nous ferons
chez
lui
notre
demeure ». Essayons maintenant de voir, dans une
vue
synthétique,
la
lumière
que
nous
donnent
tous
ces
textes
de
la
Bible :
Au
commencement,
c’est-à-dire
au
moment
où
commença
à
exister
le
monde
–
toutes
les
choses
que
nous
connaissons
–
déjà
existait
le
Verbe,
la
Parole
de
Dieu.
Il
existait
au
commencement,
donc
antérieurement
à
ce
commencement. La création est déjà une grand
nouveauté.
Nous
appartenons
à
Dieu,
nous
sommes
les
siens ;
il
est
venu
chez
les
siens
et
beaucoup
des
siens
ne
l’ont
pas
reçu. Mais à ceux qui l’ont reçu, qui ont écouté sa
Parole
et
l’ont
mise
en
pratique,
il
a
donné
de
devenir
eux-mêmes
enfants
de
Dieu,
en
venant
faire
en
eux
sa
demeure. Et ceux-là ont comme mission dans la
vie
de
faire
naître
sans
cesse
un
monde
nouveau
en
faisant
du
monde
où
ils
vivent
un
lieu
de
la
présence
de
Dieu. La prière continuelle, à laquelle nous
sommes
tous
conviés
par
l’Évangile,
consiste
à
être,
aussi
constamment
–
et
aussi
consciemment
–
que
possible
attentifs
à
cette
présence
de
Dieu
en
nous,
en
nos
vies,
dans
notre
univers.
Chaque
fois
que
nous
nous
ouvrons
à
cette
présence,
elle
nous
appelle
à
la
conversion. On peut voir la « conversion »
comme
une
transformation,
une
purification
qui
nous
prépare
à
recevoir
en
nous
la
présence
de
Dieu...
Cette
vision
n’est
certes
pas
fausse.
Mais
dans
l’ensemble
la
Bible
voit
le
plus
souvent
la
conversion
comme
un
effet
de
la
présence
de
Dieu.
Elle
est
elle-même
un
don
de
Dieu.
Dans
la
liturgie
du
carême
nous
entendrons
souvent
des
textes
des
grands
prophètes
de
l’Ancien
Testament
nous
rappeler
que
la
conversion
consiste
dans
le
fait
d’avoir
un
coeur
nouveau. Nous entendrons en particulier Ezéchiel qui
met
dans
la
bouche
de
Dieu
ces
paroles
(Ezéc.
11,19 ;
36,26) :
« J’enlèverai
de
votre
poitrine
le
coeur
de
pierre
qui
s’y
trouve
et
j’y
mettrai
un
coeur
de
chair ;
et
vous
serez
mon
peuple ». Dans ce beau texte nous avons le lien
entre
la
conversion
personnelle
et
l’établissement
d’un
monde
nouveau,
d’un
peuple
nouveau
où
Dieu
habite.
Pour
qu’il
y
ait
un
monde
nouveau,
il
faut
que
les
hommes
et
les
femmes
laissent
Dieu
transformer
le
coeur
de
chacun
et
de
chacune. En quoi consiste cette conversion du
coeur ?
Elle
consiste
dans
le
fait
de
recevoir
de
Dieu
la
grâce
d’un
coeur
qui
est
droit,
qui
pratique
la
justice.
La « justice ». C’est un autre mot qui reviendra souvent dans
les
lectures
liturgiques
de
ce
temps,
et
dont
le
sens
est
beaucoup
plus
profond
et
large
que
le
sens
qu’on
lui
donne
de
nos
jours. Être juste, ce n’est pas simplement payer ses
dettes
et
ne
pas
voler ;
c’est
essentiellement
avoir
une
relation
droite
avec
tous –
tout
d’abord
avec
Dieu,
mais
aussi
avec
tous
les
autres
et
avec
soi-même.
Dieu
est
le
« Juste »
par
excellence.
À
l’égard
des
autres,
la
justice
consiste
à
les
respecter,
à
reconnaître
leur
différence,
à
être
attentifs
à
leurs
besoins.
Les
prophètes
de
l’Ancien
Testament
ont
vécu
dans
un
temps
où
le
Peuple
était
installé
depuis
un
bon
bout
de
temps
dans
la
Terre
Promise,
et
où
s’étaient
établi
des
fossés
entre
les
riches
souvent
exploiteurs
et
les
pauvres
opprimés.
Ils
appellent
constamment
à
la
conversion
du
coeur.
La
première
lecture
biblique
du
Temps
du
Carême
à
la
Messe,
c’est-à-dire
la
première
lecture
du
Mercredi
des
Cendres,
sera
une
lecture
du
prophète
Joël
qui
commence
ainsi :
« Revenez
à
moi
de
tout
votre
coeur !...
Déchirez
vos
coeurs
et
non
pas
vos
vêtements,
et
revenez
au
Seigneur
notre
Dieu,
car
il
est
tendre
et
miséricordieux,
lent
à
la
colère
et
plein
d’amour... » Le système économique mondial des dernières
décennies,
avec
le
développement
à
outrance
d’une
économie
libérale,
imposée
à
toutes
les
parties
du
globe,
était
assez
semblable
à
la
situation
dans
laquelle
vivaient
les
prophètes
de
l’Ancien
Testament ;
avec
cette
différence
que
les
disparités
sont
aujourd’hui
encore
plus
criantes. Le fait que des individus peuvent posséder des
dizaines
de
milliards
d’euros
ou
de
dollars,
comme
fortune
personnelle,
alors
que
le
tiers
des
habitants
de
la
terre
n’ont
pas
de
quoi
manger
à
leur
faim
est
aberrant,
quelle
que
soit
l’honnêteté
des
personnes
concernées. Ce système est en lui-même inique et a fait
un
nombre
énorme
de
victimes
y
compris
en
engendrant
des
guerres. Il est en train de s’écrouler. Je crois qu’il ne doit pas y en avoir
beaucoup
d’entre
nous
qui
sont
en
mesure
d’intervenir
activement
dans
les
milieux
financiers
ou
économiques
pour
travailler
à
l’élaboration
d’un
nouvel
ordre
économique
et
social
international.
Mais
nous
pouvons
tous
y
intervenir
à
un
niveau
encore
plus
important
et
tout
à
fait
nécessaire :
par
la
conversion
de
nos
propre
coeurs. Or, comme nous l’avons vu tout à l’heure,
la
transformation
de
nos
coeurs
est
un
don
reçu
de
Dieu,
et
non
quelque
chose
que
nous
réalisons
nous-mêmes.
Mais
ce
don
ne
se
produit
que
lorsque
nous
nous
y
ouvrons,
en
laissant
Dieu
venir
et
faire
sa
demeure
en
nous.
C’est
une
chose
à
laquelle
nous
offrons
beaucoup
de
réticences,
à
cause
des
peurs
qui
nous
habitent.
La Lettre aux Hébreux (Héb. 2,15) parle de ceux qui passent toute leur vie dans l’esclavage
par
peur
de
la
mort,
ajoutant
que
Jésus
est
venu
précisément,
à
travers
sa
propre
mort,
nous
libérer
de
cette
crainte.
Nous
savons
que
notre
vie
ici-bas
aura
un
terme.
Nous
avons
beau
croire
à
l’éternité,
la
mort
nous
fait
souvent
peur
–
consciemment
ou
inconsciemment. Nous essayons donc de nous arracher nous-mêmes
à
cette
crainte,
soit
en
essayant
de
nous
perpétuer
à
travers
des
empires
de
diverses
formes,
soit
en
nous
étourdissant
dans
des
distractions. Jésus a dû affronter cette peur lui-même,
au
Jardin
de
Gethsémani.
Dieu
a
eu
peur.
Il
a
su
non
pas
ignorer
ou
feindre
d’ignorer
cette
peur,
mais
la
confronter,
l’accepter
et,
malgré
elle,
faire
confiance
à
son
Père.
Aussi,
lorsqu’il
nous
répète
sans
cesse,
spécialement
dans
les
récits
postérieurs
à
la
Résurrection :
« N’ayez
pas
peur »,
« ne
craignez
pas » ;
il
ne
nous
invite
pas
à
ignorer
nos
peurs
mais
à
faire
en
sorte
qu’elles
ne
nous
empêchent
pas
d’agir
et
d’être
fidèles. * * * *
* J’ai essayé, en ces quelques réflexions,
de
montrer
comment
tous
les
aspects
du
mystère
du
salut
qui
seront
offerts
à
notre
méditation
et
à
notre
contemplation
durant
le
Temps
du
Carême,
se
tiennent
pour
ne
former
qu’un
seul
mystère.
Je
les
rappelle
brièvement :
Dieu
qui
a
créé
le
monde
veut
le
re-créer
sans
cesse,
en
se
servant
de
nous.
La
transformation
des
structures
de
la
société
suppose
et
nécessite
la
transformation
des
coeurs.
Celle-ci
est
un
don
qui
nous
est
offert.
Nous
nous
y
ouvrons
en
laissant
Dieu
pénétrer
dans
nos
vies,
et
faire
sa
demeure
en
nous.
C’est
ce
que
nous
faisons
en
nous
mettant
à
l’écoute
de
sa
Parole
et
en
mettant
cette
Parole
en
pratique. Pour cela Jésus nous montre le chemin. Il est lui-même la Parole qui a fait sa demeure
parmi
les
hommes.
Il
a
connu
le
rejet
des
hommes
et,
comme
tout
homme
il
a
eu
peur
de
la
mort ;
malgré
cette
peur
il
a
gardé
vive
sa
confiance
et
a
remis
son
âme
entre
les
mains
du
Père,
qui
l’a
ressuscité. C’est là l’ensemble du mystère du salut
que
nous
célébrerons
tout
au
long
de
ce
carême. Armand VEILLEUX Scourmont, le 20 février
2008
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