1 février 2009 – 4ème dimanche ordinaire « B »

Chapitre à la Communauté de Scourmont

 

Le souci des affaires du Seigneur (1 Co 7, 32-35)

 

            Depuis le début de la série des dimanches du temps ordinaire, nous lisons la première lettre de Paul aux Corinthiens. Puis, à partir du 7ème dimanche, ce sera la deuxième aux Corinthiens (mais cette année, ce sera le carême tout de suite après le 7ème dimanche ordinaire). 

 

            Corinthe est l’une des communautés évangélisées par Paul, qui y prêcha la bonne nouvelle durant les années 50-52. Un peu comme Alexandrie, en Égypte, Corinthe était une grande métropole très cosmopolite, où se retrouvaient toutes les influences philosophiques et théologiques de l’époque.  Ce contexte représentait un défi extrêmement intéressant à l’inculturation de l’Évangile.  On y trouvait une minorité de personnes très riches qui pouvaient se consacrer entièrement à la recherche du plaisir et une grande majorité de pauvres.  Les historiens disent que les deux-tiers de la population (d’un demi-million de personnes) étaient constitués d’esclaves.

 

            Dans ce qu’on appelle la 1ère aux Corinthiens (mais qui n’est pas la première, puisque Paul y fait allusion à une autre lettre qu’il leur avait écrite, et qui n’a pas été conservée), Paul répond à plusieurs questions que lui avaient posées les Corinthiens, en particulier sur des problèmes de morale sexuelle et d’ascétisme.  L’une des difficultés que signalent tous les exégètes dans l’interprétation de cette lettre est qu’il est souvent difficile de voir, dans certaines affirmations, s’il s’agit de la pensée de Paul, ou s’il cite des affirmations de ses correspondants, pour y répondre ensuite.

 

            Il y avait certainement dans la grande ville cosmopolite qu’était Corinthe des situations d’immoralité sexuelle auxquels étaient confrontés les Chrétiens ;  mais il y avait aussi chez les Chrétiens des courants d’ascétisme radical qui considéraient comme péché toute activité sexuelle, même à l’intérieur du mariage.  Ces courants se rattachaient évidemment au grand mouvement gnostique, profondément dualiste, pour qui tout ce qui était matériel, et surtout ce qui était d’ordre sexuel, dépendait d’un principe du mal opposé au principe du bien.  C’est dans ce contexte que Paul s’efforce de faire comprendre d’une part la légitimité du mariage chrétien et, d’autre part, les motivations proprement chrétiennes du célibat pour ceux qui en ont la grâce ou y sont appelés.

 

            Dans le bref texte que nous lisons aujourd’hui Paul met en parallèle les « soucis » différents de la personne mariée et ceux du (ou de la) célibataire.  Il ne faut surtout pas donner au mot « souci » un sens négatif (comme si les avantages du célibat consisteraient à ne pas avoir tous les problèmes des gens mariés !).  Le mot grec utilisé (merimna) peut avoir en effet un sens négatif, mais il a souvent chez saint Paul un sens positif, celui du souci que l’on se fait pour une personne qu’on aime.  Ainsi, en 1Cor 12, 25, il parle du commun souci qu’ont les uns pour les autres les membres d’un même corps.  De même il écrit aux Philippiens (2,20) qu’il leur envoie Timothée, parce qu’il n’a personne d’autres qui partage le souci qu’il a pour eux.

 

            Dans ces quelques versets (qui constituent la deuxième lecture de la Messe d’aujourd’hui) Paul souligne les caractéristiques différentes de la vocation de la personne mariée et de celle qui a choisi le célibat.  Dans les deux cas il s’agit de « souci » au sens le plus positif du mot : pour la personne mariée il s’agit du souci qu’elle doit avoir pour son conjoint ou sa conjointe et de leurs besoins communs ; et, pour elle, c’est dans ce souci que s’incarne son amour de Dieu.  Dans le cas du célibataire, il est appelé à vivre son amour de Dieu en s’attachant au Seigneur sans partage.  C’est là, comme nous l’avons souvent vu, le sens premier du mot « moine » et de la vie monastique : une vie qui n’a qu’un but, qu’un amour, qu’une recherche.  Il s’agit d’un effort constant pour conserver la grâce d’un coeur unifié.  Il s’agit en effet d’une grâce, et non de quelque chose à laquelle nous puissions arriver par nous mêmes.  C’est la grâce que nous demandons dans le psaume 85 (86), 11 : « Seigneur... unifie mon coeur pour qu’il craigne ton nom ».  (Dans le texte hébreu ce verbe « unifie » est de la racine yahid, d’où vient le nom syriaque du moine dans l’Église primitive : le ihidaya.).

 

            Mais, attention, lorsque Paul parle d’un coeur non divisé, il ne parle pas d’une sorte d’amour abstrait, coupé des réalités terrestres dans lesquelles nous vivons. Il dit que la personne célibataire « a le souci des affaires du Seigneur ».  Ce qui veut dire que l’unique amour du Seigneur, dans la vie concrète de tous les jours, s’incarne dans un souci, dans une attention, non seulement au Seigneur, mais aux affaires du Seigneur.  C’est donc le souci de Marthe aussi bien que celui de Marie.  Les affaires du Seigneur, dans la vie concrète, sont les besoins de nos frères, qui sont pour nous la présence visible du Seigneur. Et cela nous ramène à la dimension communautaire de toute vie chrétienne et de notre vie monastique en particulier.

 

            C’est à travers le souci que nous avons pour les affaires du Seigneur, c’est-à-dire pour les besoins concrets de nos frères, avec qui nous vivons, et de l’Église et du monde, que nous sommes « attachés au Seigneur sans partage » (1 Cor. 7, 35).

 

 

Armand Veilleux

 


 

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