25 janvier 2009

Chapitre à la Communauté de Scourmont

 

 

Cinquante ans déjà !

 

            En ce 25 janvier 2009, la célébration plus solennelle que d’habitude de la fête de la Conversion de Saint Paul, qui marque la clôture de l’année paulinienne, risque de nous faire oublier un autre événement très important dans l’histoire de l’Église à notre époque.  Il y a exactement 50 ans aujourd’hui, dans la Basilique Saint Paul-hors-les-murs à Rome, après avoir célébré l’Eucharistie qui concluait la semaine de prière pour l’Unité des Chrétiens, le bon pape Jean XXIII, à peine trois mois après son élection, faisait aux Cardinaux présents à Rome et qui avaient assisté à cette Eucharistie, une annonce assez extraordinaire : Il leur annonçait trois choses : la tenue d’un Synode pour l’Église de Rome, la tenue d’un Concile œcuménique pour l’Église universelle, et la révision du Code de droit canon qui serait la conséquence logique des deux événements précédents.

 

            J’ai relu ce matin ce texte d’une lucidité admirable.  Tout d’abord Jean XXIII est conscient qu’il est en premier lieu l’évêque de l’Église de Rome.  Il constate comment celle ville qu’il avait connue quarante ans auparavant comme étudiant s’était complètement transformée.  Il loue la générosité de tous ceux qui s’efforcent de répondre, à travers la pastorale traditionnelle, aux besoins toujours changeants de cette foule en constante mutation et il constate que se renouvelle alors, dans la Rome moderne, ce qui s’était produit au temps de Jésus : « Il faut, dit-il, constater que l’épisode évangélique des foules appelées à suivre le Seigneur et à s’approcher de lui, mais impuissantes et incapables de se procurer le pain nourrissant de la grâce, se renouvelle et émeut le coeur du pasteur.  Peu de pain, peu de poissons... » Et il y voit un besoin urgent de mieux coordonner les efforts pastoraux et de les mieux adapter aux besoins concrets de son peuple, à travers une réflexion synodale.  C’est pourquoi il décide la convocation d’un synode pour l’Église de Rome. 

 

            Les historiens ont montré l’expérience synodale qu’avait le Pape Roncalli qui, comme jeune prêtre, avait participé en 1910 au Synode que son évêque, Mgr. Radini Tedeschi avait convoqué à Bergamo, et où le jeune Roncalli avait rempli les fonctions de secrétaire synodal.

 

            Ce qu’il constate pour l’Église de Rome, le nouveau Pape le constate aussi pour l’Église universelle.  Il voit un monde en profonde et rapide transformation, qui a besoin d’orientation et de nourriture spirituelle et à qui le message de l’Église ne parvient plus. Il en conclut que l’Église universelle a besoin d’un Concile tout comme l’Église de Rome a besoin d’un Synode.  – Toujours le même souci de collégialité et réflexion commune en vue d’une action concertée.

 

            Il est surprenant de voir comment ces événements ecclésiaux, d’une importance extraordinaire sont annoncés dans un discours très bref, avec quelques considérations très pratiques et sans grande littérature.

 

            La plupart d’entre nous avons vibré à cet événement.  Pour ma part, j’étais profès temporaire à ce moment-là.  J’avais œuvré dans l’Action Catholique avant d’entrer au monastère et je me souviens comment cette annonce m’avait rempli de joie et d’espérance.  Ensuite nous avons tous suivi le Concile, de 1962 à 1965. Personnellement j’ai eu la chance inouïe d’être à Rome durant tout le temps du Concile, où j’ai pu assister aux funérailles de Jean XXIII et à l’intronisation de son successeur, Paul VI. 

 

             Notre Ordre, dans son ensemble, est entré avec ardeur dans l’application du Concile.  Dès avant la fin du Concile nous avons commencé à réformer notre liturgie dans la ligne de la Constitution Conciliaire sur la Liturgie votée au cours de la première session.  Puis, toute la révision de nos structures et de nos Constitutions a été une réponse aux orientations données par le Décret sur la vie religieuse.  Un peu plus tard nous nous sommes engagés aussi, à la demande du Saint Siège, dans le dialogue interreligieux en réponse à la Déclaration conciliaire Nostra Aetate.

 

            Les débuts de ce renouveau conciliaire ne furent pas toujours faciles.  On l’a vu ces jours-ci dans la lecture (au réfectoire) de la section de l’Histoire contemporaine de notre Ordre racontant les crises de conscience de Dom Ignace Gillet, qui se rattachait évidemment, dans sa vision ecclésiale, à la minorité qui se sentait déstabilisée par toutes les orientations nouvelles.

 

            Il faut dire en effet que même si tous les textes conciliaires ont été votés avec une majorité écrasante, il y a toujours eu, tout au long du Concile, une minorité dont la sensibilité religieuse et ecclésiale allait dans un sens opposé.  Et ce qui est triste est que cette minorité n’a cessé par la suite d’être active.

 

            L’expression la plus visible et la plus dramatique de cette opposition fut évidemment celle de Mgr. Marcel Lefebvre, qui lorsqu’il était étudiant au Collège Français de Rome, en 1926, faisait déjà partie, avec le Supérieur du Séminaire, l’abbé Henri Le Floch, d’un groupe qui s’opposait à Benoît XV pour défendre l’Action française et les idées de Maurras et Daudet. C’est dans ce contexte que Lefebvre développa une idée qui restera au coeur de sa pensée tout au long de sa vie : à savoir, que le progrès de la foi chrétienne exige, dans l’Église comme dans la société, une forme monarchique de gouvernement et donc un pouvoir autoritaire.  Toute approche conciliaire, synodale ou collégiale lui apparaissait donc inacceptable.  Il est intéressant que se trouvait au Séminaire français, en même temps que Lefebvre un autre étudiant qui ne partageait pas ces idées et dont la carrière ecclésiastique serait toute différente : Léon-Étienne Duval qui deviendrait plus tard le célèbre archevêque d’Alger.

 

            On sait comment Lefebvre ordonna quatre évêques sans l’accord de Rome, en 1988, encourant comme eux une excommunication latae sententiae.  L’avenir nous dira comment il faut interpréter le fait que cette excommunication ait été levée la veille même du 50ème anniversaire de l’annonce du Concile, sans que les évêques concernées (Lefebvre est déjà décédé depuis quelques années) aient dû manifester leur acceptation du Concile.  Benoît XVI voit évidemment dans ce geste un effort vers le retour à la pleine unité ; eux y voient certainement une victoire de leur cause.  Prions pour que les faits donnent raison à Benoît XVI.

 

 

Armand VEILLEUX

 


 

www.scourmont.be