Chapitre du 26 octobre - 30ème dimanche ordinaire « A »

 À la communauté de Scourmont et ses Laïcs Cisterciens

La Parole reçue et transmise par la vie

Première lettre de saint Paul Apôtre aux Thessaloniciens (1Th 1, 5-10) 

   En effet, notre annonce de l'Évangile chez vous n'a pas été simple parole, mais puissance, action de l'Esprit Saint, certitude absolue : vous savez comment nous nous sommes comportés chez vous pour votre bien. Et vous, vous avez commencé à nous imiter, nous et le Seigneur, en accueillant la Parole au milieu de bien des épreuves avec la joie de l'Esprit Saint.
   Ainsi vous êtes devenus un modèle pour tous les croyants de Macédoine et de toute la Grèce. Et ce n'est pas seulement en Macédoine et dans toute la Grèce qu'à partir de chez vous la parole du Seigneur a retenti, mais la nouvelle de votre foi en Dieu s'est si bien répandue partout que nous n'avons plus rien à en dire. En effet, quand les gens parlent de nous, ils racontent l'accueil que vous nous avez fait ; ils disent comment vous vous êtes convertis à Dieu en vous détournant des idoles, afin de servir le Dieu vivant et véritable,
et afin d'attendre des cieux son Fils qu'il a ressuscité d'entre les morts, Jésus, qui nous délivre de la colère qui vient.

 

            Cette lecture (deuxième lecture de la Messe d'aujourd'hui), qui continue celle de dimanche dernier, forme avec celle-ci l’introduction à cette belle Lettre de Paul aux Thessaloniciens.  Je voudrais en retenir, pour notre réflexion de ce matin, le thème de la Parole, qui est tout à fait d’actualité en ce moment où se conclut à Rome le Synode sur la Parole de Dieu.

 

            Monsieur Dominique Ponneau, qui nous commentait ces jours-ci de grands chefs-d’œuvre de la peinture, nous rappelait – à juste titre – que le Christianisme n’est pas une religion du Livre, mais bien une religion de la Parole.  Et la distinction est de taille.  Tous les fondamentalismes consistent à croire que toute la vérité se trouve réunie dans un livre qu’il suffit d’apprendre par coeur et qui nous apporterait la réponse immédiate à tout, sans même avoir besoin d’interprétation.

 

            Le Livre – la Bible – est important pour nous parce qu’il nous transmet la Parole.  Ce livre nous transmet la Parole en mots humains, sous la plume de plusieurs auteurs ayant chacun sa préoccupation et sa propre compréhension. La source de notre vie n’est pas le livre comme tel, le texte écrit, mais la Parole. 

 

            Au commencement était le Verbe – la Parole – et la Parole était en Dieu et la Parole était Dieu.  Cette Parole s’est faite chair.  Elle s’est incarnée.  Jésus nous a révélé la Parole, le Verbe, non seulement à travers les quelques paroles que les Évangélistes nous ont rapportées, mais à travers sa vie, à travers ce qu’il a vécu. C’est là le sens profond de l’Incarnation.  La transmission de la Parole de Dieu se fait à travers la vie : elle est toujours une parole incarnée, assimilée dans l’existence et retransmise à travers le partage de l’expérience.  Si nous avons reçu la foi, c’est que ce dynamisme lancée par l’Incarnation du Verbe en Jésus, est parvenu jusqu’à nous à travers une suite ininterrompue de témoins.

 

            Il suffit de comparer les Évangiles pour voir que les Évangélistes n’ont pas voulu et non pas essayé de nous donner une description historique de Jésus et de son enseignement. (Il suffit de voir comment ils nous rapportent les mêmes faits ou les mêmes paroles de façons souvent fort diverses).  Ils ont mis par écrit leur expérience – ce qu’ils ont vécu avec Jésus.  Tout comme Jésus avait partagé avec eux son expérience de sa vie intime avec le Père et l’Esprit et les avait aidés, en particulier à travers des paraboles, à comprendre qui était son Père. Leur témoignage, parce qu’il est celui de ceux qui ont vécu avec Jésus est un témoignage « fondateur » pour toutes les générations suivantes.  Mais l’Évangélisation dans son sens le plus profond, tout au long des générations suivantes, ne consiste pas simplement à transmettre un écrit – ou des écrits – ou le contenu verbal de ces écrits. L’Évangélisation consiste, pour chaque génération – pour chaque chrétien ou chrétienne – à se laisser pénétrer par la Parole, à la vivre et à la transmettre à d’autres à travers cette vie.  Ce qui, selon les vocations d’un chacun, pourra comprendre ou non, une « prédication » verbale.

 

            C’est là, me semble-t-il, exactement la vision de l’évangélisation que Paul exprime dans ce qu’il écrit aux Thessaloniciens.  Il les félicite d’abord d’avoir accueilli la Parole, au milieu de bien des épreuves.  Ainsi, leur dit-il, il l’ont imité et ils ont imité le Seigneur.  Dans le langage du Nouveau Testament « imiter » ne veux pas dire regarder ce que fait quelqu’un et essayer de le copier.  L’imitation du Christ consiste à souffrir avec lui par fidélité à son message. 

 

            Aucun des Thessaloniciens n’était allé prêcher en Grèce et en Macédoine, et pourtant Paul leur dit qu’à partir de chez eux la parole du Seigneur a retenti et s’est répandue à travers toute la Grèce et toute la Macédoine, si bien que lui, le grand prédicateur, n’a plus rien à dire. Ils l’ont fait essentiellement à travers la façon qu’ils ont reçu la Parole qu’ils l’ont transmise, le témoignage de leur vie étant  connu de tous.

 

            L’Écriture Sainte, omniprésente dans notre prière monastique, et qui nourrit notre vie à travers la lecture que nous en faisons sans cesse a évidemment une importance capitale dans notre vie.  Mais nous ne devons pas oublier que le Verbe de Vie dont elles témoigne nous est parvenu à travers l’expérience vécue de milliers de générations de croyants et aussi à travers l’expérience vécue de tous les croyants d’aujourd’hui ; et que c’est notre devoir de maintenir cette chaîne vivante en laissant nos vies s’imprégner de la Parole. Ne nous laissons pas trop influencer par une « mode » récente qui veut transformer ce qui a toujours été dans la tradition monastique une attitude constante d’écoute en une méthode ou une technique à laquelle on donne le nom de lectio divina, qu’on pense pouvoir enseigner, comme on enseigne d’autres techniques de prière.  (Personnellement, je trouve plutôt ahurissant qu’on ait demandé à un des Pères synodaux de donner au Synode sur la Parole de Dieu une « démonstration » de la façon de faire la lectio divina !).

 

            Il est merveilleux de voir comment Dieu a voulu se transmettre aux hommes et aux femmes à travers des hommes et des femmes ayant chacun/chacune leurs limites, parfois grandes.

 

            Dominique Ponneau nous a parlé ces derniers jours du grand peintre Caravaggio, qui n’était certes pas un enfant de choeur.  Il a eu une vie extrêmement agitée et même dissolue et a eu presque constamment maille à partir avec la justice.  Et pourtant il a su transmettre dans ses tableaux une humanité exquise et une compréhension profonde du message du Verbe incarné.  Et c’est sans doute une signe de la largeur d’esprit des hommes d’Église de l’époque de l’avoir constamment invité à créer des oeuvres d’art religieux malgré les problèmes de sa vie privée.

 

            Si nous sommes d’authentiques croyants et vivons notre foi, la Parole de Dieu passe á travers nous et se transmet à nos contemporains et aux générations futures, que nous nous en sentions dignes ou non. C’est le Message qui compte et non le messager. 

 

Armand VEILLEUX

 


 

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