Chapitre du 12 octobre 2008

28ème dimanche « A »

 

 

La liberté de coeur en toute situation

 

 

            Après une longue interruption, je reprends aujourd’hui mon commentaire dominical de la deuxième lecture de la Messe du jour.  Durant les quelques mois qui ont précédé le Chapitre Général, j’ai eu l’occasion de commenter les beaux textes tirés des chapitres 8 et 9 de la Lettre de Paul aux Romains, qui étaient d’une très grande richesse doctrinale. Je reprends aujourd’hui, alors que nous avons la dernière section de la Lettre aux Philippiens. (Nous commencerons dimanche prochain la 1ère Lettre aux Thessaloniciens, qui nous accompagnera jusqu’à la fin de l’année liturgique).

 

            Cette lettre aux Philippiens est de tous les écrits de Paul celle qui a le plus le caractère d’une véritable « lettre » (et non pas d’un traité). Paul avait une relation toute particulière avec cette petite église locale.  C’était la première ville d’Europe où il avait prêché l’Évangile.  C’était aussi la seule communauté de laquelle il avait accepté de recevoir des dons pour lui-même à diverses reprises.  On sait que Paul tenait à gagner sa vie par son travail et à annoncer gratuitement l’Évangile. Mais parfois il avait besoin d’aide, surtout lorsqu’il était prisonnier ; et cette lettre aux Philippiens est écrite précisément durant l’une de ses captivités.

 

            Dans le passage que nous avons aujourd’hui Paul exprime une attitude très saine à l’égard des biens matériels.  Justement parce qu’il est très libre à leur égard, et ne s’est jamais fait une idole ni de ses possessions, ni de sa pauvreté, il peut vivre tout aussi librement alors qu’il a tout ce dont il a besoin qu’alors que tout lui manque. 

 

« Frères, dit-il, je sais vivre de peu, je sais aussi avoir tout ce qu’il me faut.  Être rassasié et avoir faim, avoir tout ce qu’il me faut et manquer de tout.  J’ai appris cela de toutes les façons.  Je peux tout supporter avec Celui qui me donne la force. »

 

            Ce passage peut être considéré comme l’un des plus beaux commentaires de la béatitude « Bienheureux les pauvres ». Il s’agit d’une véritable pauvreté de coeur.  On peut posséder peu de choses – que ce soit dans l’ordre matériel, ou dans l’ordre intellectuel et affectif – et y être terriblement attaché.  On peut aussi se défaire de presque tout ce qu’on a, se créer à soi-même une grande pauvreté – dans tous ces domaines – et être très attaché à cette pauvreté qu’on s’est créée et qui est devenue notre richesse.

 

            L’attitude de Paul est extrêmement saine.  Il n’est jamais question pour lui de vivre dans le superflu ou dans une richesse excessive. Il s’agit pour lui ou bien d’avoir tout ce qui est nécessaire, ou manquer du nécessaire.  De manger suffisamment ou d’avoir faim. Où trouve-t-il la force de vivre avec un tel détachement et une telle sérénité ? Non pas dans des théories ou dans des vertus acquises à force d’effort ; mais tout simplement dans une Personne, dans la Personne de Jésus-Christ.

 

            Cet enseignement vaut pour tous les Chrétiens et donc aussi pour chacun de nous.  Il vaut aussi pour les Églises et les communautés monastiques.  Il est possible de pécher en vivant dans le superflu, comme il est possible de pécher en se créant soi-même une pauvreté apparente excessive – quitte à compter ensuite sur les autres. Paul nous invite à avoir la même liberté spirituelle, soit que nous ayons tout ce qu’il faut, soit que nous manquions du nécessaire, dans un domaine ou dans l’autre.

 

            Il est intéressant de lire ce texte de Paul au moment où la situation économique et financière internationale connaît une crise sans précédent depuis la grande dépression des années ’30 du vingtième siècle.  Des fortunes colossales se sont évaporées en quelques jours ou en quelques heures. Cela n’est pas le plus grave de la crise.  Si quelqu’un avait une fortune de 10 milliards d’euros et que sa fortune ne vaut plus qu’un milliard, cela ne changera pas beaucoup son style de vie.  Le plus grave c’est que de nombreuses familles, en Belgique par exemple, qui avaient mis les économies de toute leur vie dans les actions d’une banque réputée sûre, ont vu toutes leurs économies disparaître.  Un grand nombre connaîtront une grande pauvreté au cours des années à venir.  Le ralentissement de l’industrie, au niveau mondial, par suite du manque de crédit, engendrera de grandes pauvretés en particulier dans les pays déjà les plus pauvres.

 

            D’une part il est important que nous soyons très solidaires dans la prière – et aussi dans l’action caritative – de tous ceux qui souffrent et souffriront de cette crise.  D’autre part nous devons demander à Dieu la grâce d’avoir individuellement et communautairement l’attitude tout à fait libre décrite par Paul.  Au cours des années nous avons constitué, dans notre ASBL Solidarité cistercienne, une capacité assez grande d’aider ceux qui sont dans le besoin.  Cette capacité aurait pu être totalement balayée si elle avait été investie au mauvais endroit.  Grâce à Dieu elle a bien résisté à la crise – les risques ayant été répartis d’une façon extrêmement diversifiée – ce qui nous permet de continuer à aider, au moins pour le moment, ceux qui en ont le plus besoin (comme nous avons pu le faire dans la réunion de cette semaine du Conseil d’Administration de SC).

 

            Demandons pour chacun de nous et pour nous comme Communauté la grâce dont jouissait Paul : celle d’une grande pauvreté de coeur qui nous permette d’avoir la même liberté, soit que nous manquions de certaines choses soit que nous ayons en certains domaines l’abondance nous permettant d’aider les autres.

 

            Et n’oublions pas de demander la même grâce, particulièrement pour ceux qui souffrent.

 

Armand VEILLEUX

 


 

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