Chapitre du 3 août 2008 - 18ème dimanche ordinaire " A "
Lecture : Rom 8, 35.37-39

 

Rien ne peut nous séparer de l'amour du Christ

 

Nous arrivons aujourd'hui au grand finale du chapitre 8 de la Lettre de Paul aux Romains, qui est un magnifique hymne à l'amour du Christ. Qu'il s'agisse d'un hymne existant que Paul citerait (comme il le fait ailleurs) ou qu'il s'agisse - beaucoup plus probablement - d'un élan mystique de Paul lui-même à la fin de ce chapitre très dense aussi bien spirituellement que théologiquement, cela ne fait pas tellement de différence.

Paul pose d'abord une question rhétorique : " Frères, qui pourra nous séparer de l'amour du Christ ? ". Puis il énumère tout ce qui pourrait, en théorie, l'en séparer : la détresse, l'angoisse, la persécution, la faim, le dénuement, le danger, le supplice. Ce sont toutes des réalités que Paul a vécues dans sa chair. " Non, dit-il, nous sommes les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés. " Ces derniers mots nous donnent la clé pour comprendre la première interrogation : " qui pourra nous séparer de l'amour du Christ ? " On aurait pu se demander s'il s'agit de notre amour pour le Christ ou de l'amour du Christ pour nous. Mais la réponse est claire à partir de cette explication donnée par Paul lui-même " nous sommes les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés ". Il s'agit bien de l'amour du Christ pour nous. Paul a toujours été fasciné par ce mystère de l'amour du Christ, qui nous a aimés le premier, alors que nous étions pécheurs.

Paul reprend ensuite son idée pour conclure en affirmant solennellement : " ni la mort ni la vie, ni les esprits ni les puissances, ni les abîmes, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu qui est en Jésus-Christ notre Seigneur ". Donc, pour Paul, en Jésus-Christ se manifeste l'amour de Dieu pour nous. Nous appartenons à lui et rien ne peut nous arracher à lui.

Paul était un ardent. Sur le chemin de Damas il a perçu cet amour gratuit de celui qu'il persécutait. Ce fut, au sens le plus profond de l'expression, un " coup de foudre ". Toute sa vie après cela : son activité débordante, son dévouement inlassable pour toutes les Églises qu'il fonde ou qu'il visite, sa soif de répandre l'Évangile, son acceptation sans hésitation de toutes les souffrances et les persécutions, et finalement l'acceptation de la mort violente - tout cela n'est qu'une réponse amoureuse à cet amour qu'il a perçu, non seulement comme un amour général envers toute l'humanité, mais comme un amour personnel à son égard.

Pour nous qui vivons selon la Règle de saint Benoît, il nous est facile de retrouver dans cet admirable finale du chapitre 8 de la Lettre de Paul aux Romains l'inspiration de la phrase lapidaire de Benoît " nihil amori Christi praeponere " -- " ne rien préférer à l'amour du Christ ".

Comme on le sait, le langage de Benoît est très sobre, dépouillé de toute emphase, et ne contient aucune envolée mystique. Benoît parle assez rarement du Christ, et ne consacre aucun développement à un aspect quelconque de la christologie - pas de développement sur l'incarnation, la rédemption, la résurrection, etc. Et pourtant le Christ est partout dans la Règle, et surtout il est au coeur de la Règle et donc doit être au coeur de la vie du moine. À l'égard du Christ Benoît utilise le mot latin amor, alors que le mot caritas est toujours utilisé pour désigner les relations fraternelles. La phrase que j'ai citée : " Ne rien préférer... " se trouve au début de la Règle, dans la liste des bonnes oeuvres, au chapitre 4, et trouve son pendant à la fin au chapitre 72 : " Christo omnino nihil praeponant " ( " Qu'ils ne préfèrent absolument rien à l'amour du Christ. Cet amour du Christ résume toute la vie du moine et c'est ce qui lui donne son sens.

C'est le sens de l'obéissance : le moine obéit à la règle commune et à son abbé à l'image du Christ qui s'est fait obéissant, jusqu'à la mort de la croix. C'est le sens de l'exercice de l'autorité : l'abbé doit manifester à tous l'amour du Christ à leur égard. Le Christ est au coeur de chaque moine : contre lui, comme contre un rocher il peut briser les pensées mauvaises.

La vie monastique, comme toute vie humaine comporte ses épreuves ; qu'elles soient de caractère physique, affectif, spirituel ou autre. Le moine, qui a été saisi par l'amour du Christ, peut dire avec Paul : " Non, rien de tout cela ne peut me séparer de l'amour du Christ ".

Armand Veilleux




 

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