Chapitre pour le 26 juillet 2008
17ème dimanche ordinaire " A "


Le Premier Né d'une multitude de frères

Lettre de saint Paul Apôtre aux Romains (Rm 8, 28-30)

28i Frères, nous le savons, quand les hommes aiment Dieu, lui-même fait tout contribuer à leur bien, puisqu'ils sont appelés selon le dessein de son amour.
29 Ceux qu'il connaissait par avance, il les a aussi destinés à être l'image de son Fils, pour faire de ce Fils l'aîné d'une multitude de frères.
30 Ceux qu'il destinait à cette ressemblance, il les a aussi appelés ; ceux qu'il a appelés, il en a fait des justes ; et ceux qu'il a justifiés, il leur a donné sa gloire.

Dans la deuxième lecture de dimanche dernier, Paul parlait de la prière de l'Esprit en nous, disant que l'Esprit demandait pour nous les choses selon le coeur de Dieu. Le texte d'aujourd'hui enchaîne : " Nous savons que Dieu fait tout concourir au bien de ceux qui l'aiment ".

Il ne faudrait pas chercher dans notre texte d'aujourd'hui une doctrine sur ce que l'on a appelé la " prédestination ", et surtout pas une réponse aux questions soulevées par les polémiques autour de cette doctrine.

Au coeur de notre texte se trouve le mot " frère ". Et ce qui est dit ici nous éclaire peut-être plus qu'aucun autre texte néotestamentaire sur le sens de ce mot dans le langage chrétien. De nos jours on parle beaucoup de " fraternité " et, selon les cultures, on donne le nom de " frères " à un grand nombre de personnes avec qui nous pouvons avoir des relations. Cela reste cependant un usage assez superficiel du mot. On considère comme " frères " tous ceux avec qui nous considérons que nous formons comme une grande famille. Et, dans le monde monastique, lorsque la Règle de saint Benoît demande que l'on se donne mutuellement le nom de " frères ", on entend facilement que Benoît veut que la communauté monastique soit une sorte de grande famille, où l'on reproduit les relations intimes que l'on a au sein d'une famille naturelle. Cette approche est trop sociologique et, en quelque sorte trop " naturelle ", c'est-à-dire pas assez surnaturelle.

Selon l'enseignement du Nouveau Testament, et de Paul en particulier, si les Chrétiens sont appelés " frères ", ce n'est pas à cause des relations étroites (de caractère affectif ou autre) qu'ils ont les uns à l'égard des autres. C'est essentiellement à cause de la relation personnelle de chacun avec Jésus, qui est le premier né d'une multitude de frères. La relation fraternelle que nous avons les uns avec les autres est la conséquence de cette relation personnelle que chacun de nous a avec le Christ. S'il n'y avait pas cette relation personnelle de chacun avec le Christ, notre " fraternité " ne serait rien d'autre qu'une superficielle camaraderie.

Dans un texte parallèle de sa Lettre aux Colossiens (Col 1,15), Paul, empruntant un thème de la littérature sapientielle tiré du Livre des Proverbes (Pr 8,22) parle du Christ comme " premier-né de toute créature ". Il l'appelle aussi (Col. 1, 18) " premier-né d'entre les morts ", ce qui nous ramène aux origines du monde d'une part et à l'eschatologie d'autre part.

Qu'est-ce qui fait de nous des frères ? C'est, selon Paul, que nous avons tous été prédestinés à être conformés à l'image (eikon) de son Fils. Nous retrouvons ici le thème de l'image, déjà présent au début du Livre de la Genèse, selon lequel l'homme et la femme ont été créés à l'image de Dieu. Et nous savons comment les Pères de l'Église des premiers siècles d'abord, puis les Pères Cisterciens, ont fait de ce thème de l'image le coeur de leur théologie du salut et de la vie mystique.

La pensée de Paul est d'une articulation très rigoureuse. Il dit que nous avons été prédestinés à être conformés à l'image du Christ, afin que celui-ci soit le Premier Né d'une multitude de frères. C'est beaucoup plus subtil, complexe et profond que de dire simplement que nous pouvons tous nous considérer frères, parce que nous sommes tous créés à l'image de Dieu. La pensée de Paul est autre et va beaucoup plus loin. Il dit que tout ce qu'a fait Dieu c'est pour son Fils : s'il nous a prédestinés à être faits à son image c'est afin que son Fils, Jésus, soit le Premier Né d'une multitude de frères.

Et donc, si l'on reprend à cette lumière la lecture de ce bref texte : " Ceux qu'il connaissait par avance, il les a aussi destinés à être l'image de son Fils,... Ceux qu'il destinait à cette ressemblance, il les a aussi appelés ; ceux qu'il a appelés, il en a fait des justes ; et ceux qu'il a justifiés, il leur a donné sa gloire ", on voit que l'optique de Paul est collective et vise toute l'humanité rachetée. On est loin des polémiques de l'époque de la Réforme et de la Contre-réforme sur le problème de la prédestination, où l'on était préoccupé essentiellement des personnes individuelles et de leur salut à chacune d'elles. La vision de Paul est beaucoup plus large.

Et une fois de plus, je me permets de revenir à la vision théologique de notre Document sur la Formation (notre Ratio), portant en exergue les mots " Appelés à être transformés à l'image du Christ ". Il s'agit bien, dans l'esprit de cette citation de Paul, non pas simplement de l'appel individuel de chacun d'entre nous, mais bien d'un appel collectif. Et c'est là le fondement théologique de toute vie communautaire. Être une communauté chrétienne et monastique c'est beaucoup plus que de développer entre nous des relations agréables, dites " fraternelles " -- ce qui est excellent en soi et qu'on peut vivre tout aussi bien dans une troupe scout ou dans une équipe de football. Ce qui nous unit en profondeur et fait de nous une communauté proprement chrétienne c'est que Dieu nous a tous appelés à être conformes à l'image de son Fils, précisément dans le but que Lui, son Fils, soit le Premier Né d'une multitude de frères. C'est Lui, le Christ, qui est le terme, et non pas nous.

Et cela nous ramène à une autre très brève phrase de saint Benoît, qui est un résumé admirable de toute sa Règle : " Ne rien préférer à l'amour du Christ ". Si nous faisons de nous mêmes, de notre bien-être spirituel et même de notre salut le but de notre vie au monastère, nous manquons la cible. Le but, c'est le Christ Lui-même. Qu'il soit tout en tous. Qu'il soit pleinement incarné - en chacun de nous et en nous comme communauté.

Armand Veilleux


 

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