Chapitre du 15 juin 2008
11ème dimanche " A "

 

Mission du Peuple de Dieu

 

Dans le lectionnaire liturgique des dimanches, la première lecture, généralement tirée de l'Ancien Testament, est toujours choisie en relation étroite avec l'Évangile. Il est intéressant de voir comment, aujourd'hui, c'est le récit de la rencontre de Moïse avec Dieu sur le Mont Sinaï qui est choisi comme pendant - et donc en quelque sorte comme commentaire - du récit évangélique de l'envoi des douze Apôtres en mission.

Le récit du Livre de l'Exode, qui est la première lecture de la Messe (et que nous venons de lire à Laudes), se situe à peine trois mois après que le peuple d'Israël fût sorti d'Égypte, et qu'il fût arrivé en face du Sinaï où aura lieu la rencontre entre Moïse et Dieu. Moïse entreprend de monter vers Dieu et Dieu l'appelle du haut de la montagne. Le message reçu n'est cependant pas pour Moïse tout seul ; il est pour tout le peuple avec qui Dieu veut faire une Alliance et à qui il confie une mission collective : " vous serez pour moi un royaume de prêtres, une nation sainte ".

Aussi bien dans l'Ancien que dans le Nouveau Testament, Dieu est préoccupé de l'ensemble du Peuple, et lorsqu'il choisit des intermédiaires, ce n'est précisément pour rien d'autre que pour qu'ils soient des intermédiaires entre lui et le peuple.

Ce n'est pas quelques individus choisis que Dieu a fait sortir d'Égypte, mais un Peuple entier, et c'est avec ce peuple qu'il veut établir une Alliance au Sinaï. S'il fait venir Moïse sur la montagne c'est pour lui confier un message pour le Peuple: "Tu diras à la maison de Jacob, et tu annonceras aux fils d'Israël". Cet Alliance est un geste d'amour de la part de Dieu, exigeant de la part du peuple la manifestation de ce même amour à travers l'obéissance. De ce peuple à la nuque raide, toujours grognard, souvent rebelle, Dieu s'occupera d'une façon très concrète: il lui donnera à manger et à boire dans le désert et le conduira vers une terre promise ruisselante de lait et de miel. Moïse est l'humble serviteur de Dieu et du Peuple, qui n'aura même pas le privilège d'entrer dans la terre promise

Un peu avant l'entrée dans la terre promise, Moïse qui sait que sa mort est proche, suppliera Dieu de lui donner un successeur " afin que le peuple ne soit pas comme des brebis sans berger " (Nombres 27,17). Or, c'est cette même expression qui est reprise par Matthieu au début de l'Évangile d'aujourd'hui, lorsqu'il dit que Jésus envoie ses disciples aux foules, à cause de la compassion qu'il a pour ces foules " fatiguées et abattues comme des brebis sans berger ". Entre ces deux textes, c'est toute la vie de Moïse qui est évoquée, ce qui apporte une lumière très vive aussi bien sur la mission de Jésus que sur celle de son Église.

Les rabbins du temps de Jésus s'entouraient de quelques disciples, avec qui ils vivaient dans une école ou à la porte d'une ville. Jésus a choisi un style tout différent. Il est un rabbin itinérant qui n'attend pas que les disciples viennent à lui mais va plutôt à leur rencontre. Il ne forme pas ses disciples par de longs discours, mais les associe tout simplement à ses périples missionnaires et les envoie aussi en mission. Il ne se situe nullement dans la lignée des prêtres de son temps (préoccupés par les sacrifices et l'argent du peuple) et encore moins dans celle des Pharisiens (élite hautaine), mais plutôt dans celle des grands prophètes et, au-delà d'eux, dans la suite de Moïse lui-même. Moïse est considéré dans toute la tradition juive comme le premier et le plus grand des prophètes. Il est aussi le seul, à part Jésus lui-même, à qui est donné, dans le Nouveau Testament, le titre de " médiateur "

L'Évangéliste Matthieu ne décrit pas l'institution des Douze. Dans son Évangile, à la place de cette institution, se trouvent les " béatitudes " dans lesquelles Jésus établit la Loi de la Nouvelle Alliance et par lesquelles in fonde en conséquence son Église, le nouvel Israël. Le texte parle d'abord des " douze disciples ", qui sont mentionnés ici pour la première fois et qui sont la figure de l'ensemble du Peuple d'Israël composé de douze tribus. À ce peuple, représenté par les douze, il donne le pouvoir de faire tout ce qu'il a fait lui-même : expulser les esprits mauvais et de guérir de toute maladie et de toute infirmité. Puis le texte continue en donnant le nom d'apôtres à ces douze disciples. La mission dont il est ici question est donc une mission confiée à l'ensemble de son peuple nouveau, à son Église, à nous tous. Tous sont appelés à avoir comme lui la même compassion.

Dans l'Évangile, le choix des Apôtres n'est en aucune façon un privilège personnel, un honneur ou une récompense. Ce choix est motivé par la compassion de Jésus pour les foules fatiguées et abattues. Ce peuple a faim. Tout comme Dieu avait donné la manne en abondance à son Peuple dans l'Ancien Testament, Jésus a préparé le banquet de sa parole. Cette parole doit être moissonnée et distribuée au peuple. Les moissonneurs seront les Apôtres que Jésus s'est choisis. Leur mission est donc avant tout de distribuer le pain de la Parole, et même de le multiplier, comme leur Maître avait fait..

Jésus est préoccupé de tous les besoins de son peuple: non seulement le besoin de nourriture matérielle et spirituelle, mais aussi le besoin d'être libéré de toutes les formes concrètes d'esclavage. Aux Apôtres qu'il envoie, Jésus donne l'ordre non seulement de proclamer la bonne nouvelle (la moisson abondante), mais aussi de faire ce qu'il a fait lui-même: c'est-à-dire de guérir les malades, ressusciter les morts, purifier les lépreux, chasser les démons.

Nous devons résister au danger de dualisme qui voudrait que les prêtres et les religieux soient responsables des soins spirituels de leurs frères et les laïcs des soins matériels. Jésus ne fait jamais cette distinction dans son Évangile. C'est quand il voit les foules qui le suivent fatiguées et abattues, qu'il leur envoie les Apôtres. Nous sommes tous responsables de la personne intégrale de nos frères et de nos sœurs, dans toutes ses dimensions et avec tous ses besoins. Et si nous exerçons un ministère qui est plutôt de caractère spirituel cela ne nous confère aucune supériorité. Nous sommes tous les humbles serviteurs les uns des autres.

Jésus est l'unique Pasteur. Il est le pasteur des personnes totales, avec leurs besoins physiques et spirituels. Ceux qu'il choisit sont ses envoyés, ses apôtres, continuent sa mission à Lui, et en son nom; ils n'exercent pas une mission personnelle.


Armand Veilleux


 

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