Chapitre - 18 mai 2008 - Fête de la Trinité
Scourmont

 

La vie intime de Dieu

 

Dans la première lecture à l'Eucharistie de ce matin, Dieu se révèle à Moïse, sur le Mont Sinaï, comme le " Dieu plein de tendresse et de miséricorde, lent à la colère, plein d'amour et de fidélité ". Nous retrouvons ces belles expressions de nombreuses fois, et sous diverses formes, dans les psaumes que nous chantons constamment au cours de nos Offices. Il est surprenant de constater que cette révélation d'un Dieu proche de ses créatures et plein d'affection, se trouve dans une des couches les plus anciennes des écrits de l'Ancien Testament, dans le livre de l'Exode. Il faudra cependant plusieurs siècles et les enseignements de plusieurs grands prophètes pour faire comprendre et accepter cette image de Dieu. L'être humain est toujours porté à s'imaginer Dieu comme un maître sévère et exigeant, porté à la colère et au jugement.

Jésus dans l'Évangile utilisera plusieurs paraboles pour décrire Dieu comme un père plein de tendresse et de miséricorde, et pourtant nous restons encore aujourd'hui toujours tentés de considérer Dieu comme un maître sévère et exigeant.

Ce qu'il y a de nouveau dans l'enseignement de Jésus par rapport à celui des prophètes et de tout l'Ancien Testament, c'est la révélation de ce qu'on pourrait appeler la vie intime de Dieu. Il nous parle constamment non seulement de Dieu comme un père, mais de Dieu comme " son " Père, à qui il est uni par un lien d'amour qu'il appelle l'Esprit, leur Esprit commun.

Le ministère public de Jésus commence avec son baptême dans les eaux du Jourdain. Ce fut le moment de la première et claire manifestation - dans le Nouveau Testament, et donc dans toute la Révélation - du Dieu Père, Fils et Esprit.

Lorsque Jésus descendit dans les eaux du fleuve, pour y être baptisé par Jean, comme le faisaient les foules qui descendaient de Jérusalem, l'Esprit descendit sur lui sous la forme d'une colombe, et il entendit la voix du Père disant: "Tu es mon fils bien-aimé, en qui j'ai mis mes complaisances." Et le jour de l'Ascension, au moment de quitter ses disciples, il leur dit de baptiser les nations et de le faire "au nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit".

À travers tout son enseignement Jésus témoigne du fait que Dieu est son Père et que tout son être se trouve exprimé dans cette relation de Fils à Père. Le Père se dit tout entier dans son Verbe; et lorsque le Verbe incarné dit "Abba, Père", il exprime dans ce simple mot tout son être de Fils. Il n'est rien d'autre. Jésus nous enseigne aussi tout au long de l'Évangile que son Père et Lui sont un, unis par l'Esprit d'amour qui leur est commun. Et, finalement, il nous révèle que nous aussi nous sommes appelés à vivre la même relation. Cet appel devient une réalité à travers le baptême que nous avons reçu.

Il y a donc une relation essentielle entre le mystère de la Trinité, que nous célébrons aujourd'hui et le baptême. Par le baptême nous devenons fils du Père, dans le Fils, par l'Esprit d'amour qui nous est donné. L'Esprit descend alors sur nous et la voix du Père nous dit à nous aussi : "Tu es mon fils bien-aimé en qui j'ai mis toutes ma complaisance".

L'usage du baptême était un élément important de la culture religieuse au temps de Jésus, au Moyen Orient, et non seulement dans le Judaïsme. Dans la ligne de l'Incarnation, Jésus a assumé cette coutume et l'a transformée dans le sacrement du baptême, tout comme il a assumé le rite de la cène pascale pour la transformer dans le sacrement de l'Eucharistie.

Le baptême n'était cependant pas un rituel isolé. La personne qui baptisait avait toujours un message, un enseignement à transmettre; et celle qui recevait le baptême acceptait de vivre en conformité avec cet enseignement. Elle acceptait donc aussi de faire une conversion. Jésus a conservé cette dimension du baptême. C'est pourquoi, lorsqu'il commande à ses disciples de baptiser les nations, il leur commande aussi de leur apprendre "à garder tous les commandements" qu'il leur a donnés.

De plus, au temps de Jean-Baptiste et de Jésus, le baptême était aussi lié à une tradition de vie ascétique. Il y avait normalement une communauté qui vivait avec le baptiste, c'est-à-dire avec la personne qui baptisait, pratiquant avec lui une vie ascétique. Beaucoup des premiers Chrétiens, lorsqu'ils reçurent le baptême, adoptèrent une forme de vie semblable, s'efforçant de mettre ainsi en pratique les appels de Jésus à diverses formes de renoncement radical. Et c'est cette tradition de vie ascétique, graduellement assumée dans le Christianisme, qui, après quelques siècles de purification et d'intégration, donna naissance à ce qui fut par la suite appelé "vie monastique", et que nous nous efforçons de vivre ici à Scourmont.

Comme toute forme de vie chrétienne, la vie monastique est essentiellement liée au baptême; et pour cela elle est aussi essentiellement liée à la Trinité. Elle est un effort de répondre à l'appel de Jésus au renoncement et à la conversion, afin que son Esprit puisse reposer sur nous et nous entendions la voix du Père nous dire: "Tu es mon fils bien-aimé en qui n'ai mis ma complaisance".

Si nous gardons bien cette parole d'amour qui nous a été donnée, alors la promesse de Jésus à ses disciples se réalisera en nous: "Et moi, je suis avec vous tous les jours".

Pénétrons donc toujours plus à fond dans ce baptême qu'est notre vie chrétienne et notre vie monastique, afin de faire toujours plus intensément et de façon toujours plus constante l'expérience de la présence du Père, du Fils et de l'Esprit. Notre vie deviendra alors une prière continuelle, car, comme le dit Paul dans la lettre aux Romains, l'Esprit de Dieu s'unira à notre esprit pour dire "Abba", ce mot affectueux en qui s'exprime toute la nature du Fils.

Comme nous le rappelait Grégoire de Nazianze, dans la lecture que nous avions ce matin comme lecture patristique, au deuxième nocturne des Vigiles, toutes les images que nous pouvons trouver pour essayer d'exprimer les mystère de la Trinité sont faibles et insatisfaisantes. Ce n'est pas tant à travers des images que nous devons exprimer ce mystère, ni même à travers tout le langage, souvent fort compliqué qu'ont imaginé les Pères de l'Église et les théologiens, mais plutôt à travers toute notre vie.. C'est ce que rappelle saint Paul aux Corinthiens dans la deuxième lecture de la messe de ce matin, les invitant à vivre dans l'amour et la paix, afin que le Dieu de la paix soit avec eux. Et Paul termine cette belle lettre par la salutation que nous utilisons au début de la célébration eucharistique et par laquelle je voudrais terminer cet entretien : " La grâce de notre Seigneur Jésus-Christ, l'amour de Dieu et la communion de l'Esprit-Saint soient avec vous tous ".

 

Armand Veilleux



 

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