2 mars 2008
Chapitre à la Communauté de Scourmont


Courez tant que vous avez la lumière de la vie

 

Dans quelques semaines, au cours de la Vigile Pascale, nous célébrerons le Christ comme Lumière, par la bénédiction du feu et le chant de l'Exultet.


Déjà dans l'Évangile d'aujourd'hui, le Christ se manifeste comme celui qui apporte au monde la lumière.


Parmi les nombreux paradoxes de la Bible il y a l'opposition entre les ténèbres et la lumière. Le premier acte du créateur, selon les premiers versets de la Genèse, fut de séparer la lumière des ténèbres. Ce fut l'oeuvre du premier jour de la création, comme nous le lirons dans la première lecture de la Vigile Pascale. Et au terme de l'histoire du salut, lors du retour du Christ et de la Nouvelle Jérusalem, selon le Livre de l'Apocalypse, le Fils de l'Homme sera lui-même la lumière. Entre les deux, la Lumière est venue dans les ténèbres. Il y a ceux qui l'ont reçue, comme l'aveugle de l'Évangile d'aujourd'hui et ceux qui ne l'ont pas reçue, comme les Pharisiens du même Évangile.


Tout au long de sa vie terrestre, Jésus a redit clairement, en paroles et en actes, qu'il était la lumière du monde et la source de la vie. Le royaume qu'il venait inaugurer était déjà présent en sa personne. Partout où il passa, les ténèbres et la mort furent forcées de se retirer. Il guérit l'aveugle (comme nous le voyons dans l'Évangile d'aujourd'hui) et il ramena Lazare à la vie (comme nous le verrons dans celui de dimanche prochain). Toute la création a été affectée par cette incarnation de la Lumière et de la vie.
À ceux qui eurent foi en lui, et qui acceptèrent de le suivre, il a offert de participer aux bénédictions qui étaient siennes : " Celui qui vit et croit en moi ne mourra jamais " (Jean 11,25), et " Celui qui me suit ne marche pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie " (Jean 8,12).


Dans sa lettre aux Éphésiens Paul tire les conclusions morales de tout ceci : Il dit aux fidèles qu'ils étaient autrefois ténèbres, mais qu'ils sont maintenant lumière dans le Seigneur et qu'en conséquence il doivent maintenant vivre comme des fils de la lumière (Éph. 5 :8-14).


Le Chrétien est devenu lumière. C'est-à-dire qu'il a été éveillé de la mort et illuminé dans le Christ. Cette affirmation n'est pas vaguement poétique ; elle est réelle et source de joie. Elle comporte aussi de sérieuses obligations. C'est n'est pas une petite chose que d'être, avec le Christ, la lumière du monde. C'est pourtant la mission de l'Église, et donc la nôtre à chacun de nous.
Une grande simplicité de coeur est requise pour recevoir la lumière du Christ et pour être capable de la partager avec les autres. Comme elle est claire et simple la réponse de l'aveugle de l'évangile aux Pharisiens qui l'interrogent sur sa guérison ! " L'homme appelé Jésus m'a enduit les yeux avec de la boue et il m'a dit : 'Va à Siloé et lave-toi' ; j'y suis allé, je me suis lavé, et j'ai retrouvé la vue " (Jean 9,11). Le fait de sa guérison est si évident qu'il n'est pas intéressé dans les explications qu'on peut en donner. Les Pharisiens, au contraire, sont si intéressés dans les explications, qu'ils passent à côté du fait évident.


Ainsi est rendu manifeste le jugement de Dieu (v.39). Ceux qui pensent voir ne voient pas et demeurent dans les ténèbres. Mais l'aveugle, lui, est venu à la lumière - la lumière qui, pour Jean, est la vie en communion avec le Christ ressuscité, qui est la Lumière du monde.


Nous retrouvons cet enseignement dans le Prologue de la Règle de saint Benoît - précisément à l'endroit où nous étions rendus dans notre commentaire de ce Prologue (interrompu il y a déjà plusieurs semaines. Après avoir invité son lecteur - ou son disciple - à se munir des armes de l'obéissance et de supplier Dieu de mener à bonne fin toutes les bonnes actions qu'il aura pu entreprendre, il dit


Levons-nous donc enfin : L'Écriture ne cesse de nous éveiller disant : L'heure est venue de nous lever du sommeil. Ouvrons les yeux à la lumière divine. Écoutons d'une oreille attentive la voix puissante de Dieu qui chaque jour nous presse en disant : Aujourd'hui si vous entendez sa voix, n'endurcissez pas votre coeur. Et encore : Que celui qui a des oreilles pour entendre écoute ce que l'Esprit dit aux Églises. Et que dit-il ? Venez, fils, écoutez-moi, je vous enseignerai la crainte du Seigneur. Courez tant que vous avez la lumière de la vie, pour que ne vous enveloppent les ténèbres de la mort. (Prol.8-13)


Le but de notre vie monastique est de nous conduire vers la lumière de Dieu, de nous laisser pénétrer, envahir par cette lumière, plutôt que de simplement essayer de la voir. Nous ne pouvons pas la voir, car elle est trop forte, mais nous pouvons nous laisser envahir, transformer par elle.


C'est le message de l'Évangile d'aujourd'hui : Nous sommes tous nés aveugles ; or, le Seigneur nous dit : " Aussi longtemps que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde " (Jean 9,5). De nous mêmes, nous ne pouvons pas voir. Lui seul est la Lumière, et lui seul peut donner la lumière, parce qu'il a été envoyé par le Père pour cela. Y a-t-il quelque chose, alors, que nous pouvons faire ? Oui, " va et lave-toi dans la piscine de Siloé ", dit Jésus (v. 7). Il y a la purification de notre baptême, mais aussi celle acquise de Dieu à travers notre pratique du Carême.

 

Exposons-nous à la Lumière divine. Alors nos yeux seront ouverts, et nous qui sommes nés aveugles, verrons. C'est là l'oeuvre du Seigneur.

 

Armand VEILLEUX


 

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