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Chapitre
du 6 janvier 2008
à la Communauté de Scourmont
Commentaire du Prologue de la Règle de saint
Benoît (suite)
Je voudrais aujourd'hui continuer le commentaire du Prologue de la Règle
de saint Benoît, verset par verset, que j'ai commencé à
la Toussaint de l'Ordre et continué le jour de la Fête
du Christ Roi. Comme je l'ai fait alors, je voudrais lire simplement
le texte de la Règle, de la même façon que l'ont
fait les moines et les moniales durant plusieurs siècles, sans
recourir pour un moment à tous les instruments de la critique
moderne - utiles par ailleurs - et sans nécessairement se demander
si tel ou tel texte vient de la Règle du Maître ou est
propre à saint Benoît, ou si c'est une citation de tel
ou tel Père de l'Église.
Par ailleurs il faut être conscients du fait que chaque fois que
nous lisons la Règle, nous la lisons dans un contexte différent,
nous l'abordons avec des préoccupations et des questions qui
nous sont propres. (Cela vaut aussi de l'Écriture et tous les
autres grands textes de la Tradition).
Nous avons vu, dans les premiers versets du Prologue, que la Règle,
et donc la vie monastique, s'adresse à ceux qui veulent retourner
à Dieu par la voix de l'obéissance et que celle-ci, dans
son sens le plus large et le plus profond, consiste à renoncer
à nos volontés propres pour militer sous le Christ, notre
vrai roi.
La recommandation suivante de Benoît est celle de la prière,
et d'une prière constante et instante : " Tout d'abord,
quand tu entreprends une bonne action, demande lui, par une très
instante prière, qu'il la parachève. " Le début
de l'année civile, tout comme le début de l'année
liturgique, ou encore l'occasion d'une retraite annuelle (que nous aurons
bientôt) sont des moments où l'on prend facilement des
résolutions et où l'on commence à faire des choses
qu'on a vraiment l'intention de faire tous les jours. Et parfois cela
ne dure pas longtemps. Commencer une bonne action est en général
assez facile. La mener jusqu'au bout est plus difficile. Benoît
nous dit que chaque fois que nous entreprenons une bonne action - et
normalement nous en entreprenons de nombreuses chaque jour - nous devons
demander à Dieu, dans une prière très instante
de la parachever. C'est là l'une des méthodes qui nous
sont offertes de prier sans cesse, une forme d'union constante avec
Dieu. C'est aussi la voie vers une connaissance de nous-mêmes,
la prise de conscience toujours renouvelée que nous sommes limités
et que nous avons besoin de la grâce pour faire quoi que ce soit,
même si nous devons toujours y apporter notre désir et
notre bonne volonté.
Benoît exprime ici un sens très exquis de la communion
avec Dieu en tout ce que nous faisons. Il n'a pas du tout une vision
pessimiste de la nature humaine, même de la nature blessée
par le péché. Ce n'est pas comme si nous ne pouvions rien
faire et que Dieu devrait tout faire en nous et pour nous. Benoît
dit : " en tout temps il nous faut obéir [à Dieu]
avec les dons qu'il a mis en nous ". Si nous sommes capable d'obéir
à Dieu, c'est-à-dire d'avoir une même volonté,
un même désir que lui, c'est parce que nous sommes créés
à son image, parce qu'il nous a donné de son Esprit, et
que son amour a été répandu en nos coeurs par ce
même Esprit qui en nous est prière, criant sans cesse "
Abba, pater ! ".
Au début du Prologue Benoît avait invité son disciple
à écouter les avis d'un père aimant (admonitionem
pii patris). Ici il dit que nous devons demander à Dieu de parfaire
chacune de nos actions afin que ce père ne se transforme pas
en " père irrité " ou " père indigné
" et ne nous déshérite pas. Ce serait alors une tragédie
éternelle qui consisterait, dans les paroles mêmes de Benoît
à être " livrés au châtiment éternel,
en tant que serviteurs mauvais " ayant eu la stupidité de
ne pas " le suivre dans la gloire ", alors que Dieu nous avait
déjà comptés parmi ses fils.
Tout ce qui précède constituait en quelque sorte un prologue
du prologue de la Règle. Benoît sachant que les moines,
aussi bien que tous les autres Chrétiens, ont tendance à
s'endormir sur leurs lauriers, secoue ses auditeurs - ou ses lecteurs
- en disant : " Réveillez-vous , enfin : L'heure est venue
de sortir du sommeil ". Ce sommeil dont il parle c'est la désobéissance
qu'il avait appelée au début : " la paresse de la
désobéissance ". Pour écouter la Parole de
Dieu il faut être éveillé. Au début, Benoît
avait demandé à son disciple d'ouvrir l'oreille de son
coeur. Ici il nous exhorte à " ouvrir nos yeux à
la lumière divine et à écouter chaque jour la voix
puissante de Dieu qui nous dit chaque jour dans le psaume 94 (psaume
d'invitatoire " : " Aujourd'hui, si vous entendez sa voix,
n'endurcissez pas votre coeur ". Il serait en effet inutile de
lire l'Écriture, de l'entendre chaque jour dans la liturgie,
si notre coeur n'est pas disposé à se laisser façonner,
remodeler ; s'il est endurci.
Benoît cite alors les unes à la suite des autres des paroles
de l'Écriture qui vont toutes dans le même sens : D'abord,
" Que celui qui a des oreilles pour entendre écoute ce que
l'Esprit dit aux Églises " où il fait un amalgame
d'un texte de Matthieu et d'un autre de l'Apocalypse. La mention des
" Églises " est intéressante et importante.
Elle nous fait voir encore une fois l'orientation décidément
cénobitique de Benoît. Nous recevons la Parole de Dieu
non à titre purement personnel ou individuel, mais en tant qu'appartenant
à une communauté, une Église.
Qu'est-ce que l'Écriture nous dit ? -- Tout d'abord " Écoutez-moi
- (toujours le même appel à l'écoute) - je vous
enseignerai la crainte du Seigneur. " Donc, cette " crainte
" révérencielle de Dieu, qui est une forme d'adoration,
sera l'un des aspects de toute la vie du moine. Et puis " courez
tant que vous avez la lumière de la vie, pour ne pas être
enveloppés par les ténèbres de la mort ".
Cette mention de la " course " reviendra plus loin, lorsque
Benoît parlera de " courir, le coeur dilaté, dans
la voix des commandements de Dieu ".
Et cette mention de la " vie " amène Benoît à
un nouveau développement où il imaginera un dialogue entre
Dieu et celui qui désire la vie. Cette nouvelle section du Prologue
commencera par la question : " Quel est l'homme qui aime la vie
et désire voir des jours heureux "...
Toute la Règle sera présentée comme une réponse
à celui qui dit : " présent ! ".
Armand Veilleux
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