Chapitre du 25 novembre 2007


Militer sous le vrai Roi, le Christ (RB, Prol. 2)

 

Ainsi tu reviendras par le travail de l'obéissance à celui dont t'a éloigné la paresse de la désobéissance.

Mon discours s'adresse donc maintenant à toi, qui que tu sois qui renonces à tes volontés propres et prends les armes très puissantes et glorieuses de l'obéissance, afin de militer pour le Seigneur Christ, le vrai Roi.


La fête du Christ Roi est une excellente occasion pour commenter cette deuxième phrase du Prologue de la Règle, où se trouve l'une des deux mentions de la royauté du Christ que l'on trouve dans la Règle. (C'est la deuxième phrase dans la traduction française que nous utilisons, mais en réalité, c'est, dans le texte latin, la seconde partie de la première phrase : " Écoute....afin que ".

Il faut d'ailleurs pratiquement lire cette phrase dans son original latin, pour en percevoir toute la force et les nuances. En effet, dans le texte latin, (ut ad eum... a quo), c'est vraiment la personne du Christ qui est mis en évidence ; alors que dans la traduction française les mots " à celui dont " sont perdus au milieu de la phrase.

Si nous reprenons le fil du Prologue depuis le début, saint Benoît invite son disciple à écouter les préceptes du maître et à les mettre en pratique, afin de revenir par l'obéissance à celui dont il s'est éloigné par la désobéissance.

L'attitude la plus fondamentale du moine est donc l'écoute de Dieu et le but de cette écoute est de revenir à Dieu. Ce " revenir à Dieu " c'est la conversion continuelle. Ceci est tout à fait conforme à l'Évangile, puisque dès le début de l'Évangile de Marc, nous entendons la prédication de Jean-Baptiste qui se résume dans les mots " convertissez-vous ", puis celle de Jésus qui commence elle aussi par l'invitation à la conversion. C'est pourquoi nous interprétons avec raison notre voeu de conversion (conversatio morum) comme un engagement à la conversion continuelle.

La conversion n'est pas comprise par Benoît comme un moment dans la vie, un peu comme l'enfant prodigue qui est parti et qui décide un jour de revenir et la vie reprend. Il s'agit de revenir sans cesse, d'être dans une attitude constante de retour.

Le retour à Dieu se fait à traves l'obéissance, parce que l'éloignement de lui s'est fait par la désobéissance, c'est-à-dire le péché. Pour Benoît l'obéissance n'est pas simplement une attitude - ce qu'elle doit être, bien sûr - ni une " vertu " au sens aristotélicien tel que développé par Thomas d'Aquin, à savoir une habitude acquise selon laquelle nous agissons comme tout naturellement. L'obéissance est pour Benoît un travail (labor), c'est à dire quelque chose de sérieux, d'exigent, parfois pénible, même si ce peut aussi être, et même doit être une source de joie et de bonheur. C'est pourquoi la désobéissance est décrite comme une paresse, un refus du labeur.

La paresse de la désobéissance nous éloigne de Dieu, alors que le labeur de l'obéissance nous ramène à Lui. Un mouvement d'aller et de retour qui marque toute notre vie de Chrétiens et de moines.

Ces quelques lignes de Benoît introduisent sa Règle, dans laquelle il décrira tous les aspects de la vie du moine au sein d'une communauté de frères faisant ensemble le même cheminement. Il ne présente donc pas la vie monastique comme un doux repos en Dieu, mais comme un labeur constant.

Bien plus, dans la phrase suivante il adopte une terminologie militaire, que l'on retrouve constamment dans la littérature ascétique primitive, et déjà chez saint Paul et dans l'Évangile.

Dans cette deuxième phrase, Benoît prend pour acquis que son lecteur est quelqu'un qui a décidé de s'engager dans cette voix du retour à Dieu par le labeur de l'obéissance et il décrit en d'autres termes le même mouvement d'éloignement et de retour. La paresse de la désobéissance ou l'éloignement de Dieu se fait en suivant ses volontés propres et le retour se fait en renonçant à ses volontés propres, en renonçant à cette forme de paresse qui consiste à faire à chaque instant ce qui nous plaît, ce qui nous vient à l'esprit à ce moment-là, pour assumer les armes très fortes et glorieuses de l'obéissance.

Pourquoi prendre des armes ? C'est, dit Benoît, afin de militer pour le Seigneur Christ, le vrai Roi. (La seule autre mention du Christ Roi dans la Règle sera au chapitre 61, sur la réception des moines étrangers, où Benoît dit qu'après tout c'est le même Seigneur que l'on sert partout et le même roi pour qui l'on milite).

Il faut comprendre cette royauté du Christ dans un sens biblique. À l'époque ancienne, où la royauté fut établie en Israël, le roi n'était pas perçu comme un despote qui opprimait son peuple, mais avant tout et essentiellement comme quelqu'un qui assurait le maintien de la justice au sein de son peuple et la défense de son peuple contre les ennemis. Donc, militer sous un tel roi consiste à participer à sa tâche, à son labeur, qui consiste au maintien de la justice et de la paix.

L'obéissance, pour un moine, ne consiste pas simplement à observer une certain nombre d'ordres ou de préceptes qu'il peut recevoir de ses supérieurs. Elle consiste essentiellement à vivre selon une règle commune, une forme de vie chrétienne établie dans la Règle et dans nos coutumes communautaires. Chaque fois que je suis fidèle à cette forme commune de vie, je suis obéissant, même si je n'ai reçu aucun ordre de qui que ce soit. Chaque fois que je suis ma fantaisie plutôt que de me plier à cette forme commune de vie, je suis désobéissant, même si je n'enfreins aucun précepte ou aucune loi particulière.

En résumé toute notre vie monastique cénobitique, selon une Règle commune a pour but d'instaurer en nous, en notre communauté, dans l'Église et dans le monde la " justice " au sens biblique, c'est-à-dire l'adéquation de l'existence humaine au plan de Dieu sur l'humanité et sur chacun de nous. Ou pour utiliser une autre image, cela consiste à instaurer dès ici bas le " royaume " ou le " règne " ou la " royauté " du Christ.

J'y reviendrai tout à l'heure dans l'homélie de la messe.

Armand Veilleux


 



 

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