11 novembre 2007 
Chapitre à la Communauté de Scourmont

 

La Toussaint bénédictine

            Dans quelques jours, le 13 novembre, nous célébrerons la fête que nous appelons la « Toussaint de l’Ordre » et dont le nom liturgique officiel est la fête de « Tous les saints qui ont milité sous la Règle de saint Benoît ».  Tout comme nous célébrons le jour de la Toussaint l’ensemble des hommes et des femmes dont les noms ne se trouvent pas dans les listes de vénérables, de bienheureux et de saints de nos calendriers liturgiques, mais qui sont mort en communion avec Dieu et se trouvent éternellement auprès de Dieu ; de même, le 13 novembre, nous célébrons tous les moines et toutes les moniales, qu’on ne retrouve pas dans nos calendriers liturgiques, mais qui se sont rapprochés de Dieu et on vécu et sont morts en communion avec Lui, en vivant selon la Règle de saint Benoît.

            Tout comme on parle depuis plusieurs années de la grande « famille cistercienne », qui est une réalité qui va au-delà de toutes les catégories juridiques d’Ordres et de Congrégations, de même peut-on parler d’une grande « famille bénédictine » qui elle aussi transcende toutes les distinctions canoniques.

            Nous avons, dans notre calendrier liturgique une fête de saint Benoît.  Nous connaissons celui-ci à peu près uniquement à travers ce qu’en dit saint Grégoire dans son commentaire spirituel sur la Bible : Moralia in Job. On a discuté beaucoup et on discutera sans doute longtemps sur ce qu’il y a ou non de vraiment historique dans tous ces récits.  Mais la réalité historique la plus indiscutable est l’existence de la Règle pour les Monastère, dite de saint Benoît.  Elle est devenu l’inspiration spirituelle de pratiquement tout le monachisme occidental, sans doute parce qu’elle a été imposée comme unique règle pour tous les monastères par Charlemagne ;  mais tout d’abord parce qu’elle s’est imposée elle-même par sa valeur spirituelle intrinsèque insurpassée.
           
En mettant la fête  du 13 novembre au calendrier liturgique de chacun de nos Ordres, l’Église reconnaît que cette Règle, ou plutôt la forme de vie chrétienne selon cette Règle est une voie authentique de sanctification et de salut.  Le nom de la fête, tel qu’il est formulé dans le calendrier, fait qu’on célèbre en ce jour non seulement tous les saints et saintes qui ont vécu dans des monastères bénédictins ou cisterciens, mais tous ceux et celles, même les ermites et même les laïcs dans le monde, qui ont pris la Règle de saint Benoît comme leur orientation spirituelle et qui sont ainsi arrivés au salut éternel.

Relisons ensemble quelques passages du Prologue de cette Règle (en oubliant pour un moment tout ce que nous ont apporté les exégèses scientifiques de ce texte) et efforçons-nous de nous laisser inspirer par ces passage de la même façons que l’ont fait les saints que nous célébrons le 13 novembre, et qui n’ont sans doute pas été conscients que, selon l’hypothèse généralement admise, Benoît (le bienheureux ou benedictus vir qui a écrit cette Règle) a remanié un texte antérieur appelé Règle du Maître.

Arrêtons-nous tout d’abord aux premiers mots : « Écoute, ô mon fils, les préceptes du Maître et incline l’oreille de ton coeur. Reçois volontiers l’admonition du Père bienveillant (pii Patris) et mets-là en pratique de façon efficace. »

Ce premier mot de la Règle : « Écoute » (Obsculta) indique déjà l’orientation fondamentale de cette école de sainteté ou école du service du Seigneur qu’est la Règle de saint Benoît. Tous ceux que nous célébrons le 13 novembre se sont sanctifiés en écoutant.  Qu’écoutons-nous au monastère ?  La Parole de Dieu, évidemment. Mais cette Parole nous parvient de mille et une façons.  Tout d’abord dans l’Écriture Sainte, que nous entendons sans cesse dans la liturgie, que nous lisons en privé, que nous ruminons tout au long de la journée (en marchant, en travaillants, etc.).

Cette Parole de Dieu nous parvient aussi à travers la forme de vie chrétienne  décrite dans la Règle. Écouter la Règle – dans son intégralité, et non seulement dans les quelques chapitres que nous jugeons encore d’actualité – est une façon de nous mettre à l’écoute de Dieu.  Et la Règle nous indique beaucoup d’autres façon d’écouter – ou d’obéir, car les deux mots ont la même signification. Il y a l’obéissance mutuelle.  Il y a aussi le fait de se conformer à un mode de vie commun -- non seulement à une orientation spirituelle commune (ce qui, évidemment, est le plus important), mais aussi à tous les règlements (les « préceptes », dit Benoît en utilisant un mot qui n’est pas très conforme à notre mentalité actuelle) qui rendent la vie commune harmonieuse et paisible. 

Écouter un texte lorsqu’on le lit (en privé ou en public).

Écouter une mélodie lorsqu’on la chante. S’efforcer de la chanter telle qu’elle est écrite en respectant les notes, le rythme, le tempo est une forme d’incarnation de notre Écoute de Dieu en communauté.

La Règle, dans une très belle expression, parle d’ « incliner l’oreille de notre cœur ».  En lisant ce texte il faut éviter de le comprendre à la lumière de la distinction artificielle, tout à fait moderne, que l’on fait entre la raison et le cœur.  On répète trop facilement sans en préciser le sens l’expression : « il y a des choses qu’on ne comprend qu’avec le cœur ».  Pour les Anciens, à l’époque de Benoît, comme dans la Bible, le « cœur » implique à la fois et indissociablement la dimension affective et la dimension rationnelle de l’être humain.  Écouter avec son cœur, c’est écouter avec tout notre être.

Écouter n’est pas simplement « entendre ».  Il y a des milliers de choses qu’on entend sans les écouter.  Écouter implique la personne tout entière, et exige la mise en pratique de ce qu’on a écouté.  C’est pourquoi ce premier verset du Prologue de la Règle demande que nous accomplissions de façon efficace (efficaciter comple) ce que nous avons entendu.

Ceux et celles que nous célébrons le 13 novembre sont ceux et celles qui ont écouté le Message de l’Évangile incarné et interprété dans la Règle de saint Benoît et l’ont efficacement réalisé dans leur vie.

Armand Veilleux

 


 

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