12 juin 2005
- Chapitre à la Communauté de Scourmont
L’admission
des frères (Cst. 46)
La Cst. 46, dans son premier paragraphe, ne fait que
résumer en quelques lignes l’essentiel de ce que dit saint Benoît dans son
chapitre 58 de la Règle. J’ai souvent commenté ce chapitre et j’ai répété qu’il
me semble que c’est l’un des chapitres de la Règle où Benoît exprime d’une
façon très claire les éléments essentiels de sa vision de la vie
monastique.
Je ne répéterai pas ici
le commentaire que j’ai fait il y a quelques années (déjà !) du chapitre
58 de RB. Je veux cependant souligner
encore une fois que, dans ce chapitre, la préoccupation principale de Benoît
est de savoir ce que veut le candidat, s’il le veut vraiment et de tout son
cœur et s’il est capable de le vivre.
Cela est beaucoup plus sain et beaucoup plus réaliste que d’essayer de
discerner avec des moyens soit psychologiques, soit charismatiques, si la
personne « a une vocation ».
Benoît commence en
disant que les candidats ne sont pas admis facilement. Dans notre Constitution 46, nous avons jugé
bon de commencer plutôt en disant que « les aspirants à la vie monastique
sont accueillis avec bonté », ce qui était d’ailleurs implicite chez
Benoît. On ajoute quand même que
l’entrée ne leur est pas accordée facilement. En effet, le but n’est ni, pour
la communauté, de s’efforcer d’avoir autant de candidats que possible, ni, pour
le candidat, de s’assurer une sécurité, mais tout simplement de discerner si
cette forme de vie chrétienne, telle qu’elle est vécue dans cette communauté
concrète est bien celle qui permettra à ce candidat déterminé de s’épanouir
spirituellement et humainement et de réaliser le « nom » que Dieu lui
a donné.
On rappelle le précepte
de Benoît de ne pas cacher aux candidats les aspects difficiles de notre vie,
qui ne seront pas les mêmes pour chacun.
Pour les uns, ce qui sera « dur et âpre », ce sera la
monotonie d’une vie où il ne se passe pas grand-chose de nouveau, jour après
jour. Pour d’autres, ce seront les
exigences de la vie commune ; enfin pour d’autre ce sera de vivre
« sous une règle et un abbé ».
Dans notre texte, cependant, on fait précéder cette réflexion de
l’affirmation que « La fréquentation du monastère leur permet (i.e. aux
candidats) de faire connaissance avec la communauté. En effet, la vocation cistercienne n’est pas
la vocation à une forme de vie, dans l’abstrait. Elle est la vocation à une communauté bien
concrète dans une situation bien précise.
Dans la plupart des cas, une certaine « fréquentation », au
fil des ans, permet de voir clairement, de part et d’autre, s’il est réaliste
d’envisager une entrée.
Chez Benoît, avant même
de lire la Règle pour la première fois au candidat, il est confié à un ancien
qui s’efforce de discerner ses disposition intérieures. De même, notre Cst. dit que le candidat ne
doit pas être en communauté que s’il manifeste (et il faut prendre le mot dans
son sens premier) les dispositions spirituelles exigées pour une vie
monastique. Autrement dit, ces
dispositions doivent être « manifestes », claires. La
« formation » présuppose ces dispositions ; il serait illusoire
de penser les faire naître dans un processus de formation. Cependant, ces « dispositions
spirituelles » ne suffisent pas. Il
doit aussi y avoir, d’une part, une réelle maturité et, d’autre part, une santé
suffisante. La maturité n’est certes pas
une chose facile à apprécier ; mais il faut être attentif du fait que, de
nos jours, l’adolescence, qui commence plus tôt qu’autrefois, dure beaucoup
plus longtemps. Il n’est pas rare qu’une
maturité intellectuelle ou dans le domaine du monde des affaires ou même du
monde politique s’accompagne d’une grande immaturité affective. Or c’est maturité affective qui est le plus
nécessaire aussi bien pour mener une vie spirituelle authentique et sans
illusion que pour s’insérer dans une vie communautaire équilibrée.
D’une façon très
réaliste, la dernière phrase de ce premier paragraphe de la Cst. 46 affirme que
le « signe d’un appel divin » se trouve précisément dans ces
dispositions spirituelles, cette maturité et cette santé. C’est aussi le signe d’une intention éclairée
de chercher Dieu de tout son cœur.
Le postulat est précisément le temps où se fait ce discernement. Ce n’est pas le temps de se plonger dans des études
ou des activités accaparantes qui empêcheraient de faire, de part et d’autre ce
discernement qui se fait en quelque sorte de lui-même lorsqu’on est confronté à
la vie elle-même sans possibilité de se distraire dans des occupations
intéressantes. Par ailleurs, pour
s’intégrer dans la vie de la communauté, et discerner par le fait même si cette
forme de vie est pour nous, une certaine « initiation aux disciplines
spirituelles de l’Ordre » sera utile et nécessaire. Ce sera essentiellement apprendre à trouver
Dieu dans la lectio, dans la prière
solitaire et communautaire, dans le travail et dans les relations fraternelles.
Un deuxième paragraphe
parle de la réception d’un religieux déjà profès à vœux perpétuels dans un
autre institut. Pour lui, le discernement
doit se faire exactement de la même façon.
Cependant, puisqu’il est déjà lié à une autre communauté, les Cst. comme
le Droit Canon prévoient les modalités canoniques de ce transfert. Comme il a déjà des vœux perpétuels dans une
autre communauté, il ne fait pas de noviciat, mais il doit quand même faire une
période de probation qui doit durer au moins trois ans et au plus six ans,
avant d’être soumis au vote du Chapitre conventuel pour l’admission à la
profession solennelle dans l’Ordre. Durant cette période de probation, il
demeure membre de sa communauté d’origine ; mais ses obligations et droits
sont suspendus. Si, à la fin de la
période de probation, il n’est pas accepté à la profession, il retourne à sa
communauté antérieure, avec tous ces droits (c’est pourquoi cette période de
« probation » ne doit pas être trop longue).
Avant que ne puisse
commencer la période de probation en vue du transfert, il faut la permission
des deux supérieurs généraux. À la fin
de la période de probation et pour que le candidat puisse faire profession dans
sa nouvelle communauté, aucune permission n’est requise de sa communauté
antérieure (cette permission a déjà été donnée avant le début de la
probation). Il suffit que l’abbé le
présente au vote du Chapitre conventuel et reçoive l’accord de celui-ci.
La période de
probation, quel que soit l’âge et quelle que soit la richesse de formation
religieuse et intellectuelle du candidat, doit se faire, au moins pour les deux
premières années, « dans le cadre de la formation initiale »,
c’est-à-dire soit au noviciat, soit au « monasticat ». En effet, le candidat, quelle que soit sa
maturité et la richesse de sa formation antérieure, doit être introduit à la
spiritualité cistercienne ; et sa
capacité d’adopter l’attitude d’un disciple est une signe nécessaire de
vocation.
Le troisième
paragraphe, au sujet de l’admission des clercs, dit simplement qu’on observe le
canon 644. Si un prêtre séculier est
admis, il devra faire un noviciat et des vœux temporaires. Évidemment, les modalités de sa formation
doivent respecter sa formation spirituelle et intellectuelle antérieure ;
mais lui aussi, autant et même encore plus qu’un religieux d’une autre
communauté, doit être initié à la spiritualité cistercienne.
Une chose intéressante
à noter est que, aux termes du Droit canon, un prêtre séculier n’a pas,
strictement parlant, besoin de la permission de son évêque pour entrer dans un
monastère. Cependant le droit canon dit
au supérieur religieux qu’il ne doit pas recevoir un clerc sans « avoir
consulté » l’évêque (l’ordinaire du lieu).
Dans toute cette
question, le discernement spirituel est ce qui est le plus
important ; mais ce discernement ne
peut se faire dans l’harmonie et porter ses fruits dans la paix que si toutes
les prescriptions canoniques, qui sont le fruit de la sagesse et de
l’expérience des générations passées ne sont respectées.