Chapitre à la Communauté de Scourmont

Le 7 novembre 2004

 

 

Le rôle du Père Immédiat (Cst. 74)

 

            À l’approche de notre Visite Régulière, j’ai commenté la Constitution de notre Ordre qui traite de cette institution traditionnelle de l’Ordre cistercien.  Au lendemain de notre Visite, j’ai pensé commenter la Cst. 74, qui traite du Père Immédiat.

 

            L’expression « Père Immédiat » est certes surprenante pour les personnes étrangères à notre Ordre et au vocabulaire (or jargon) qui nous est propre.  Mais il serait difficile de la remplacer simplement par une autre expression courante soit de la vie civile soit du langage religieux ordinaire.  Il s’agit d’une réalité pastorale qui nous est propre.  D’autres Congrégations ou Ordres ont la figure du « Visiteur » ; mais chez-nous le Père Immédiat est autre chose qu’un simple Visiteur.  Bien sûr il doit faire la Visite Régulière des maisons filles de la communauté dont il est l’abbé, mais sa responsabilité va bien au-delà de la Visite Régulière ;  et d’ailleurs celle-ci peut être faite par quelqu’un d’autre.

 

            En termes canoniques, il n’existe pas un « office » de Père Immédiat auquel quelqu’un pourrait être nommé.  C’est pourquoi la notion de « père immédiat délégué » n’a pas beaucoup de sens (puisqu’il n’y a pas un office à déléguer) ;  et dans le « vade mecum » sur le Père Immédiat récemment élaboré par la Commission de Droit de l’Ordre, on parle plutôt de « délégué du Père Immédiat ».  

 

            La fonction de Père Immédiat est intimement liée à la nature de la filiation, qui relie chaque monastère de notre Ordre à une maison-mère.  Lorsque quelqu’un devient abbé (ou prieur titulaire, ou supérieur ad nutum) d’un monastère de l’Ordre, un aspect de la tâche pastorale qu’il assume est le souci pastoral pour les maisons filles de sa propre communauté.  En d’autres mots, être « Père Immédiat » n’est pas une fonction en soi, c’est simplement un aspect de la charge abbatiale.

 

            Voici comment la Constitution 74 décrit cette responsabilité :

 

Le Père Immédiat veille au progrès de ses maisons filles. Tout en respectant l'autonomie de chaque monastère, il aide et soutient l'abbé dans sa charge pastorale et favorise la concorde dans la communauté; s'il constate quelque déviation par rapport aux prescriptions de la Règle ou de l'Ordre, il s'efforce hum­blement et charitablement, après consultation de l'abbé, de porter remède à cette situation.

 

            Cette Constitution ne prétend pas donner une liste des responsabilités et des devoirs du Père Immédiat.  Ces responsabilités et ces devoirs sont énumérés à divers endroits des Constitutions et dans plusieurs Statuts, et ont été repris dans le Vade mecum mentionné plus haut. Notre texte se situe à un niveau à la fois plus général et plus profond.

 

            Tout est résumé dans la première phrase : « Le Père Immédiat veille au progrès de ses maisons filles ». La préoccupation première est donc celle d’un progrès spirituel continuel, qui va de pair avec celle de conversion continuelle.  Et la responsabilité du PI en est une de « vigilance ».  C’est-à-dire qu’il doit « veiller » à ce que ce progrès se réalise. Il s’agit bien d’une préoccupation qui doit être constante et qui n’est nullement limitée au temps de la Visite Régulière.  Le reste du paragraphe explique comment cela doit se réaliser dans la pratique.

 

            En premier lieu il est rappelé au Père Immédiat qu’il doit respecter l’autonomie de ses maisons filles. Veiller à leur progrès ne veut pas dire leur imposer les mêmes coutumes et pratiques que dans sa propre communauté, même s’il est normale que règne un esprit commun entre les communautés d’une même filiation.

 

            Chaque communauté autonome a son propre supérieur qu’elle a élu (sauf dans le cas exceptionnel du supérieur ad nutum).  Le Père Immédiat n’est pas le supérieur de l’abbé local et ne peut pas se substituer à lui (il ne peut donc pas « donner des permissions » ou prendre des décisions concernant la vie interne de la communauté).  Face au supérieur local son rôle est de l’aider et de le soutenir dans sa charge pastorale.  Face à la communauté, il doit favoriser la concorde en celle-ci.  Par ailleurs, s’il constate dans la communauté des déviations par rapport aux prescriptions de la Règle ou de l’Ordre, que ces déviations soient le fait de la communauté dans son ensemble ou de quelques membres ou bien de l’abbé lui-même, il doit « s’efforcer humblement de porter remède à cette situation », ce qui doit se faire non pas par des interventions autoritaires et arbitraires, mais dans le dialogue avec toutes les personnes concernées.

 

            Il faut remarquer que cette responsabilité du Père Immédiat est une responsabilité générale, en quelque sorte permanente, qui n’est aucunement restreinte à la Visite Régulière, même si c’est en général durant celle-ci qu’elle s’exerce à son mieux.  Il faut aussi noter que le droit – et donc aussi le devoir – d’intervention du Père Immédiat est lié, dans cette Constitution, à des situations où l’on constate des déviations par rapport à des prescriptions de la Règle ou de l’Ordre – ce qui exclut l’intervention du Père Immédiat pour imposer des « conceptions » ou des préférences personnelles.

 

            Lors de la récente réunion de la Commission de Droit, au cours d’une réflexion sur l’évolution des structures de l’Ordre depuis une quarantaine d’années, il est devenu de plus en plus clair que durant toute cette évolution, avec l’apparition de nouvelles structures (Conférences Régionales, Commission Centrales, etc.) et surtout avec la multiplication des supérieurs ad nutum (à une période où l’on ne permettait pas à ceux-ci d’exercer leur responsabilité de Pères Immédiats), la figure du Père Immédiat a été l’enfant pauvre.

 

            Le maintien de la santé spirituelle dans les maisons de l’Ordre, et surtout le souci de voir chacune de nos communautés progresser spirituellement, exige que l’on redonne toute son importance à la responsabilité pastorale du Père Immédiat à l’égard de chacune de ses maisons filles.