15 février 2004 – Chapitre à la Communauté de Scourmont

 

L’administration des biens temporels du monastère, suite (Cst. 42-43)

 

C. 42                La condition juridique

 

De droit, l'Ordre lui-même et chacun des monastères sont des personnes juridiques capables d'acquérir, de posséder, d'admi­nistrer et d'aliéner des biens temporels.

 

            Seules des personnes peuvent être sujets de droits et d’obligations.  Les juristes ont cependant imaginé, depuis plusieurs siècles, la distinction entre les personnes physiques (des individus comme vous et moi) et les personnes juridiques (ou morales).  Ces dernières, qui peuvent être de droit privé ou de droit publique sont capables de droits et de devoirs.  Elles peuvent aussi acquérir, posséder, administrer et aliéner des biens temporels.  Notre Constitution 42 stipule que l’Ordre lui-même, et chacun des monastères sont des personnes juridiques.  Ils ont donc, à ce titre, des droits et des obligations (voir canons 113-123).

 

            Il y a dans le droit canon une section importante (C. 1254-1310) sur les biens matériels, qui s’applique à nous même si elle n’est pas reprise ici – elle l’est partiellement dans notre Statut sur l’Administration temporelle.  L’un des principes importants de cette section est que tous les biens des diverses personnes juridiques dans l’Église (diocèses, communautés religieuses, etc.) sont des bien « ecclésiastiques ».  Cela veut dire que même si nous en avons la propriété légitime, nous n’en sommes pas les propriétaires absolus.  Ces biens appartiennent en définitive à l’Église, c’est-à-dire au Peuple de Dieu, et nous n’en sommes que les gardiens et les administrateurs. Nous ne pouvons en user d’une façon purement discrétionnaire.

 

            Tout le reste de ce chapitre des Constitutions sur l’Administration Temporelle est divisé en deux parties, l’une sur l’administration ordinaire (c. 43) et l’autre sur l’administration extraordinaire (c. 44).  Au moment où nous avons rédigé nos Constitutions, nous avons été un peu trop obnubilés par cette distinction, prenant en quelque sorte pour acquis qu’il y avait des choses qui, de leur nature, selon le droit canon, sont des actes d’administration ordinaire et d’autres qui, selon leur nature, sont des actes d’administration extraordinaire demandant des permissions spéciales soit du Saint Siège, soit du Chapitre Général, soit du Chapitre Conventuel.  Nous avons repris tout cela d’une façon plus claire et plus systématique dans notre Statut voté au Chapitre de 1999. 

 

            Il n’y a vraiment pas lieu d’entrer dans tous les détails de ce statut ici (j’ai donné là-dessus cinq heures de cours aux « nouveaux supérieurs » à Rome, a semaine dernière).  Je voudrais simplement souligner l’intention fondamentale de ce statut, qui est de s’assurer que la gestion matérielle de nos communautés doit être faite d’une façon, non seulement sérieuse, mais professionnelle, conformément aux principes de justice et d’équité et respectant toutes les lois civiles aussi bien qu’ecclésiastiques.  Tout cela en se souvenant que les biens d’une communauté n’appartiennent pas à ceux qui font actuellement partie de cette communauté, et que ceux-ci en sont les gardiens et ne peuvent les gérer d’une façon irresponsable.  Ils doivent servir à la subsistance de la communauté, mais aussi aux pauvres et aux besoins du Peuple de Dieu.

 

            La plupart des règles canoniques en ce domaine, y compris celles de nos Constitutions et de notre Statut, ont pour but d’une part de donner aux gestionnaires des directives et des conseils de prudence, concernant une bonne gestion et, d’autre part, de préserver les communautés contre les imprudences, le manque de professionnalisme, ou la fantaisie de leurs supérieurs. 

 

            Si l’abbé doit assumer la responsabilité ultime pour tous les aspects de la gestion matérielle de sa communauté, il est invité à partager cette responsabilité avec de nombreuses personnes (cellérier, comptable, chefs d’emploi, etc.), et à savoir déléguer les tâches.  Il est très important que toutes les tâches soient définies de façon très claire et qu’aussi bien l’étendue que les limites des responsabilités soient précisées et connues de tous. 

 

            L’une des intuitions principales du Statut de 1999 eSt qu’il ne faut pas chercher une distinction abstraite entre administration ordinaire et extraordinaire, mais que cette distinction doit être faite dans chaque communauté.  Chaque communauté doit déterminer (d’une façon ou d’une autre) ce que chacun des officiers (comptable, cellérier, chefs d’emplois, abbé, peuvent faire en vertu de la tâche qui leur est confiée – c’est l’administration ordinaire – et les actes d’administration qu’ils ne peuvent faire sans une autorisation spéciale, ou sans avoir pris l’avis d’un conseil ou avoir obtenu le consentement de ce conseil  -- c’est alors l’administration extraordinaire.

 

            Dans l’avant-propos de nos Constitutions, au premier paragraphe, où l’on parle du patrimoine spirituel de l’ordre, il est dit que ce patrimoine spirituel de nos Pères cisterciens « a trouvé son expression aussi bien dans les écrits, le chant, l’architecture et l’art que dans la saine gestion de leurs domaines. » À travers l’histoire de notre Ordre, les monastères qui ont eu une grande influence dans la transmission de la tradition cistercienne sont ceux qui ont été marqués non seulement par la présence de grands spirituels mais ceux qui ont été aussi marqués par une saine gestion du patrimoine matériel qui leur avait été confié.  La spiritualité cistercienne est englobante.  Elle ne connaît pas de dichotomie entre le spirituel et le matériel.  C’est l’être tout entier qui va à Dieu ;  et la communion contemplative avec Dieu se réalise aussi bien dans la participation à son activité créatrice dans une gestion éclairée des choses matérielles qu’il nous a confiées que dans la lectio, la prière continuelle et la prière commune.

 

            La prochaine fois nous aborderons, avec la Cst 47 une question qui est sans doute plus proche des préoccupations habituelles de la plupart d’entre nous : la question de la formation.

 

Armand VEILLEUX