8 février
2004 – Chapitre à la Communauté de Scourmont
L’administration
des biens temporels du monastère (Cst. 41).
Le chapitre suivant des
Constitutions (chapitre 3 de la deuxième partie), traite de l’administration
des biens temporels du monastère. Tout
le contenu de ce chapitre a été repris dans le « Statut sur
l’administration temporelle », voté par le Chapitre Général de 1999. Ce Statut reprend en effet, et présente dans
une structure un peu différente, non seulement tout le contenu des Constitutions
41 à 44, mais aussi ce qui se trouve dans le Droit Canon à se sujet et qui
s’applique directement à notre situation.
C. 41 Les
biens temporels du monastère
1
La fidélité aux traditions cisterciennes exige que les
revenus réguliers de la communauté proviennent surtout des fruits de son
travail. Chaque frère a le droit et le devoir de servir la communauté en
prenant part à son travail selon ses forces et compte tenu de la structure
économique du monastère.
2
Intendant de la maison de Dieu, l'abbé a la charge de
gérer les biens du monastère et d'en régler l'usage de manière à pourvoir aux
besoins humains de chacun tout en demeurant dans l'obéissance à la loi de
l'Évangile. La communauté adhère avec fidélité à la doctrine de l'Église sur la
justice sociale et, dans la gestion des affaires, évite ce qui soutiendrait une
structure d'oppression.
3
Conformément à une tradition séculaire une part des
revenus du monastère, dans la mesure des possibilités, est affectée aux besoins
de l'Église et au soulagement des nécessiteux.
Le Statut sur
l’administration temporelle s’ouvre par une citation tirée de la C. 3, sur
l’Esprit de l’Ordre, qui décrit l’orientation cénobitique et contemplative de
notre vie et qui termine, en son 5ème paragraphe en disant que
« Toute l’organisation du monastère tend à ce que les moines soient
intimement unis au Christ, puisque seul un attachement d’amour de chacun au
Seigneur Jésus permettra aux grâces spécifiques de la vocation cistercienne de
s’épanouir ».
Notre vie monastique
doit former un tout et il ne faut pas établir d’opposition entre notre vie de
prière et de contemplation d’une part et, d’autre part, les activités
matérielles par lesquelles nous gagnons notre vie et nous procurons ce qu’il
faut pour aider les plus démunis.
La vie au désert,
surtout dans les pays chauds, pouvait être fort simple. Un ermite pouvait s’établir près d’une source
d’eau et d’un figuier. Lorsqu’il avait soif il puisait un peu d’eau à la source
et lorsqu’il avait faim il cueillait une figue sur le figuier ! Encore fallait-il qu’il fabrique quelques
objets (paniers, nattes, etc.) qu’il pouvait aller vendre à la ville afin de
s’acheter des vêtements et des livres pour sa lectio. La vie dans une
grande communauté cénobitique est nécessairement plus complexe. Plus la structure sociale, juridique et
économique du pays où se trouve le monastère est développée et complexe, plus
l’organisation économique de la communauté le sera aussi.
Pour qu’une communauté
monastique transmette, de génération en génération, la tradition monastique,
elle doit avoir développé une « culture monastique » c’est-à-dire une
synthèse harmonieuse de traditions où les valeurs chrétiennes fondamentales
conditionnent tous les aspects de la vie, aussi bien la façon dont on gagne sa
vie et dont on administre son patrimoine que la façon dont on prie ou celle de
recevoir les hôtes.
Un abbé, lorsqu’il est
élu, peut facilement avoir l’idée qu’il peut se préoccuper uniquement de la vie
spirituelle de sa communauté et laisser à d’autres (cellérier, chefs d’emploi) tout le soin du
matériel. Il s’aperçoit rapidement que
la façon dont le matériel est géré affecte nécessairement et profondément le
spirituel, et que tout l’ensemble, spirituel et matériel, doit être géré d’une
façon harmonieuse et unifiée. C’est pourquoi le numéro 2 de la Constitution 41
lui rappelle qu’en tant qu’ « intendant de la maison de Dieu » il
« a la charge de gérer les biens du monastère et d’en régler l’usage de
manière à pourvoir aux besoins humains de chacun tout en demeurant dans
l’obéissance à la loi de l’Évangile ».
Évidemment il devra se faire aider par plusieurs personnes et savoir
déléguer ; mais il ne peut oublier
qu’il conserve la « responsabilité » ultime.
Lorsqu’on parle de
« pourvoir aux besoins humains de chacun », il faut entendre tous les
besoins : spirituels, intellectuels, physiques et aussi affectifs de
chacun des membres de la communauté.
Lorsqu’on parle d’
« obéissance à la loi de l’Évangile » on pense évidemment d’abord au
respect de la justice, et en particulier de la justice sociale, mais aussi à
l’exigence chrétienne d’assister les pauvres.
Depuis les origines mêmes de la vie monastique, on a considéré comme une
règle fondamentale de consacrer une partie des revenus de son travail pour
aider directement les plus nécessiteux et une autre partie pour répondre aux
besoins de l’Église.
Saint Benoît
recommandait d’éviter toute forme d’injustice ou d’avarice dans les
transactions financières et même de vendre les produits du monastère à un prix
légèrement inférieur au prix habituel.
Transposées dans le contexte économique et social actuel, ces
préoccupations se trouvent traduites dans notre Constitution par la
recommandation d’éviter « ce qui soutiendrait une structure d’oppression ». Ce qui implique que, dans beaucoup de
contextes sociaux, la préoccupation de la justice et de la charité exige, si
l’on en a les moyens, non seulement de donner directement l’aumônes, mais
aussi, et peut-être encore plus, de consacrer une bonne partie de nos
ressources à aider à l’établissement de conditions sociales et économiques plus
justes et moins oppressives.
Le premier paragraphe
de notre Constitution rappelle que « la fidélité aux traditions
cisterciennes exige que les revenus réguliers de la communauté proviennent
surtout des fruits de son travail ».
Saint Benoît entrevoyait des communautés totalement autosuffisantes
produisant dans toute la mesure du possible tout ce dont elles avaient besoin pour
vivre. C’était un idéal difficilement réalisable
même à son époque. Les Cisterciens qui
ont voulu le réaliser avec beaucoup d’ardeur et une certaine naïveté au
douzième siècle, ont abouti ce faisant dès la seconde génération de l’Ordre, à
des « empires » économiques de dimensions énormes. On verrait assez mal aujourd’hui comment une
communauté monastique pourrait produire toute sa nourriture, fabriquer ses
chaussures avec le cuir provenant de ses propres troupeaux, imprimer tous les
livres dont il a besoin, produire ses propres médicaments et avoir son propre
hôpital, etc.
Tout cela implique des
structures matérielles très différentes, d’un pays à l’autre, où vivre de son
travail peut consister à cultiver ce qu’on mange, à fabriquer un produit que
l’on vend directement, ou encore à administrer une entreprise qui rapporte à la
communauté ce dont elle a besoin tout en donnant du travail à une population
environnante – ce qui est une forme de charité peut-être plus chrétienne que de
distribuer des aumônes de façon paternaliste.
Sans compter que dans la plupart des sociétés actuelles, le système
économique en vigueur veut que l’on vive en fin de vie d’un salaire différé,
c’est-à-dire de revenus divers (pensions, revenus de placements) représentant
les fruits du travail des années antérieures.
L’important en tout
cela est que, soit qu’une communauté ait une économie légère et très simple,
soit qu’elle ait une économie importante et complexe, tout soit orienté de
façon à permettre à tous les moines de poursuivre leur recherche contemplative
de Dieu, et de réaliser cette recherche contemplative soit à travers une
activité soit physique, soit intellectuelle, soit administrative sérieuse soit,
en fin de vie, à travers des années de recueillement et de repos, ou encore
dans l’acceptation sereine d’une inactivité forcée résultant de l’âge ou de la
maladie. Sans oublier la préoccupation
pour les plus petits du Royaume.
(à suivre)