Chapitre du 9 novembre 2003-11-08

à la communauté de Scourmont

 

 

Commentaire de la Constitution 35

 

Les frères qui ont une charge

 

Pour les divers emplois du monastère, l'abbé se choisit des aides compétents. Avec le conseil de frères craignant Dieu, il nomme un prieur, un maître des novices, un cellérier et d'autres responsables avec lesquels il partage son fardeau en toute sécurité. Que les frères ainsi choisis remplissent leurs fonctions avec empressement et avec soin, selon les commandements de Dieu et les directives de l'abbé, afin que dans la maison de Dieu personne ne soit troublé ni attristé.

 

            Nous avons vu au cours des dimanches précédents que la vie cénobitique est une vie de service mutuel.  Nous vivons sous une Règle commune qui donne à cette communauté son identité propre.  Si nous sommes tous réunis en cette communauté c’est que le Christ nous y a appelés pour faire de notre communion une manifestation visible de sa présence.  C’est lui qui est le chef, la tête de notre communauté.  Il en est aussi le père, et il exerce sa paternité à travers le ministère de diverses personnes, et tout d’abord de l’abbé qui est appelé à incarner cette paternité du Christ sur la communauté.  Mais l’abbé doit partager cette responsabilité avec de nombreuses personnes qui exercent divers services dans la communauté.

 

            La Constitution 35, qui ne comprend qu’un seul paragraphe est composée de citations de trois textes de la Règle de saint Benoît.  Elle emprunte des éléments au chapitre sur le prieur, d’autres au chapitre sur les doyens, enfin d’autres encore au chapitre sur le cellérier.

 

            Le texte français parle d’aides que se choisit l’abbé.  Le mot latin coadiutores est encore plus fort.  Il les choisit pour remplir les divers « offices » (latin : officiis) de la communauté. Trois tâches sont expressément mentionnées : celle du prieur, du maître des novices et du cellérier.  Il est demandé à l’abbé de choisir des aides « compétents ».  Il ne faudrait pas entendre ici simplement une compétence technique ou intellectuelle.  Celle-ci est certainement utile ;  mais il s’agit ici d’abord de personnes « idoines » (idonei), c’est-à-dire ayant les qualités voulues pour remplir ces charges précises, de sorte que l’abbé puisse partager avec eux le fardeau de sa tâche en toute sécurité.  En effet, nous avons tous des aptitudes en certains domaines et pas en d’autres ; et on peut faire un tort très grand à une personne en lui confiant une tâche qui ne correspond pas à ses aptitudes, même s’il la désire. De toute façon, dans une communauté tout est service, et lorsqu’un service est demandé à quelqu’un c’est en fonction du bien de la communauté et non pour son bien personnel – même si celui qui remplit bien un service en retire lui-même en général du fruit.

 

            Il est recommandé à l’abbé de nommer ses collaborateurs « avec le conseil de frères craignant Dieu ».  Cette expression est tiré du chapitre 65 de la Règle sur la nomination du prieur, et exprime fort bien l’attitude dans laquelle et la consultation et la nomination doivent se faire. La « crainte de Dieu » signifie ici une très grande attention à découvrir sa volonté.  Comme on doit normalement supposer que tous les frères craignent Dieu, il est courant de nos jours de consulter toute la communauté avant de faire les principales nominations.  Il ne s’agit pas cependant d’élections comme dans le monde de la politique.  Même s’il est normal qu’il y ait dans une communauté divers point de vue en certains domaines et que l’abbé en choisissant ses collaborateurs doive s’assurer de pouvoir toujours entendre ces divers points de vue, il reste essentiel qu’il y ait une bonne entente entre l’abbé et ses principaux collaborateurs, et donc qu’il puisse les nommer lui-même après sérieuse consultation des frères.

 

            C’est ce qu’exprime l’expression : l’abbé choisit des responsables « avec lesquels il partage son fardeau en toute sécurité ».  Cette dernière expression est tirée du chapitre de la Règle sur les doyens (RB 21) que Benoît préférait au prieur, comme on sait.

 

            Il est ensuite dit à tous les frères dans quel esprit ils doivent remplir leurs services au sein de la communauté. Ils doivent d’abord le faire avec empressement – ce qui ne veut pas nécessairement dire « rapidement » mais avec une disposition à servir (c’est la qualité des frères qui sont toujours disposés à rendre les services qu’on demande plutôt qu’à se mettre à calculer avant de répondre). Le texte dit : « avec empressement et avec soin, selon les commandements de Dieu et les directives de l’abbé, afin que dans la maison de Dieu personne ne soit troublé ni attristé » (cette dernière expression vient du chapitre de la Règle sur le cellérier).  Cette phrase exprime bien une très belle vision communautaire, qui est d’ailleurs celle de saint Benoît.  Le monastère est la maison de Dieu, c’est-à-dire le lieu où Dieu a réuni un groupe de frères pour en faire le lieu et le sacrement de sa présence.  Il est donc important que les frères puissent y vivre dans l’harmonie et la joie et ne pas être attristés.  Tous ceux qui ont des responsabilités dans la communauté doivent donc considérer ces responsabilités non pas comme des domaines où ils ont un pouvoir discrétionnaire, mais comme un service.  L’ensemble de ces services doivent être coordonnés par celui qui est pour le moment responsable de la communion des frères, l’abbé, et, ce qui est encore plus important, tout doit se faire selon « les commandements de Dieu », à commencer par le commandement de l’amour fraternel.

 

            Cette constitution sur « les frères qui ont une charge » (et certains en ont plusieurs, surtout de nos jours...) est donc une invitation faite à tous de contribuer, chacun à sa façon, à la croissance de la communion et ainsi à la construction de la communauté.