26 octobre 2003 – Chapitre à la Communauté de Scourmont

 

 

Le gouvernement de l’abbé (C. 34)

 

C. 34                Le gouvernement de l'abbé

 

1

L'abbé est supérieur majeur avec pouvoir ecclésiastique de gouvernement tant au for externe qu'au for interne.

ST 34.1.A

Le supérieur d'un monastère qui fait encore partie de la maison fondatrice jouit d'un pouvoir délégué qu'il peut toutefois subdéléguer.

 

ST 34.1.B

Le supérieur ad nutum dont il est question au ST 39.2.B jouit d'un pouvoir ordinaire propre en tant que supérieur majeur d=une communauté autonome.

 

ST 34.1.C.

Cependant, dans des cas particuliers, avec le consentement de l=Abbé Général et de son conseil, après consultation de la communauté et de la filiation, le Père Immédiat, soit avant de nommer un supérieur ad nutum, soit après l=avoir nommé, peut limiter ses pouvoirs vis-à-vis de la filiation.

 

ST 34.1.D.

Dans ce cas la délégation de l=exercice du droit de paternité est décidée par le Père Immédiat, après consultation du supérieur ad nutum.

 

2

Ce qui est dit de l'abbé vaut à égalité de droit du prieur d'un prieuré et d=un supérieur ad nutum à moins qu'il n'en soit disposé autrement de façon explicite.

 

 

La Cst 34, qui a comme titre « Le gouvernement de l’abbé » a un caractère nettement canonique.   Même si elle parle explicitement de l’abbé, elle décrit en réalité comment une communauté cistercienne se situe dans l’Église par rapport aux diverses instances d’autorité.  Si la Constitution précédente (Cst 33) parlait essentiellement du ministère de l’abbé selon la Règle de saint Benoît, celle-ci décrit plutôt comment la communauté monastique se situe par rapport à l’Église locale et à l’Église universelle, en définissant la nature de l’autorité de celui qui la dirige.

 

            L’Église, comme l’enseigne la Constitution conciliaire Lumen gentium est avant tout une réalité spirituelle.  Elle est un mystère ou un sacrement, c’est-à-dire la manifestation visible du salut sous le signe visible de la communion entre ceux qui ont mis leur foi au Christ.  Cette communion s’exprime à travers une structure juridique qui détermine les responsabilités et les droits de chacun.

 

            Parmi les divers services qui constituent le Peuple de Dieu, il y a le service d’autorité.  Le droit canon distingue divers types d’autorité dans l’Église, et il était important de définir dans nos Constitutions, où nous nous situons dans cet ensemble.  Chaque fois qu’il y a une situation délicate ou difficile à gérer, soit au sein d’une communauté, soit au sein de l’Ordre, soit entre une communauté et l’évêque local, il est normalement assez facile d’arriver à une solution pastorale, si les devoirs et les droits de chacun sont clairement reconnus.  Les tensions viennent d’habitude lorsque ceci n’est pas clair.

 

            Une communauté monastique doit vivre en communion avec l’Église diocésaine où elle se trouve aussi bien qu’avec l’Église universelle.  Cependant comme elle exerce une forme de vie chrétienne approuvée par la hiérarchie suprême de l’Église, elle vit son charisme de façon autonome sans dépendre juridiquement de l’évêque local.  C’est ce qui est affirmé lorsqu’il est dit que l’abbé est supérieur majeur avec pouvoir ecclésiastique de gouvernement.  Chaque communauté monastique, même si elle est liée à d’autres communautés, au sein d’un Ordre, est autonome et se rattache directement à l’autorité suprême de l’Église à travers l’approbation des Constitutions selon lesquelles elle vit.

 

            C’est parce que chaque communauté a le droit d’avoir un supérieur majeur avec pouvoir ordinaire, que l’autorité de son supérieur est exactement la même, que celui-ci soit un abbé ou un prieur titulaire ou un supérieur ad nutum nommé par le Père Immédiat.  Dans nos Constitutions de 1990, nous avions dit dans un statut que le supérieur ad nutum n’a qu’un pouvoir ­délégué qu’il doit exercer selon les indications du Père Immédiat.  Ce statut n’était pas conforme au droit commun et ne respectait pas le droit qu’a toute communauté d’avoir un supérieur majeur avec pouvoir ordinaire.  S’il arrive qu’une communauté n’est pas en état de faire une élection, le Père Immédiat nomme un supérieur ad nutum, mais la seule différence de celui-ci par rapport à l’abbé élu, est qu’il est nommé au lieu d’être élu.  Par ailleurs, la différence entre un supérieur ordinaire et un supérieur délégué est que l’autorité du premier est attachée à son office alors que celle du second est attachée à la personne même, en général en fonction de ses compétences personnelles.  C’est à cause de la nature même d’une communauté autonome et de son droit inné, que son supérieur doit être supérieur majeur avec pouvoir « ordinaire » et non délégué.

 

            Cette correction de nos Constitutions n’a pas était faite sans réticences lors du dernier Chapitre, car l’habitude s’était prise dans l’Ordre de considérer le supérieur ad nutum comme un simple délégué du Père Immédiat, ce qui privait souvent durant longtemps une communauté de son droit d’avoir un supérieur avec plein pouvoir, qu’il soit élu ou nommé.  À cela s’ajoutait la pratique assez fréquente d’utiliser la figure juridique du supérieur ad nutum, comme d’une sorte de noviciat du supérieur.

 

            À cause de cette réticence, le Chapitre Général a décidé que l’autorité du supérieur ad nutum sur les maisons-filles de sa communauté pourrait être restreint.  Cela peut se comprendre au moins dans certains cas.  Si le supérieur ad nutum est nommé dans une situation un peu délicate et qu’il vient d’une autre communauté, il peut être préférable qu’il consacre toute son énergie, au début, à sa communauté, et n’ait pas à s’occuper de plusieurs maisons-filles.  Cependant pour limiter cette autorité sur les maisons-filles, le Chapitre a mis plusieurs conditions (qui ne semblent pas avoir été bien comprises de certains Pères Immédiats) : il faut d’abord consulter la communauté et sa filiation (non seulement l’une ou l’autre maison de la filiation) et obtenir le consentement de l’Abbé Général et de son conseil.

 

            La situation est différente dans le cas d’une fondation qui demeure, jusqu’à l’accès à l’autonomie, partie de la maison fondatrice.  L’abbé de celle-ci demeure donc le supérieur de chacun des moines de la fondation, mais il délègue son pouvoir à un supérieur local.  Si la fondation est très éloignée de la maison fondatrice – souvent sur un autre continent – on oublie facilement dans la pratique que tous les profès de la fondation sont profès de la maison-mère, avec pleins droits au Chapitre conventuel. 

 

            Le fait que toutes les nouvelles vocations font profession pour la maison-mère, où ils ne sont parfois jamais allé, crée des situations problématiques, lorsqu’une maison demeure trop longtemps « fondation ».  Les situations problématiques se multiplient si un certain nombre de fondateurs ne sont pas profès de la maison fondatrice mais ont été prêtés – ou donnés – par une autre communauté. On pourrait arriver à des situations aberrantes où la majorité de ceux qui voteraient pour admettre quelqu’un à la profession dans la maison-mère ne soient pas eux-mêmes des profès de la maison-mère.  On le voit ici encore :  De par la nature de notre Ordre, les maisons sont « autonomes » ;  toute situation qui méconnaît cette autonomie, comme, entre autre, le maintient d’une communauté durant longtemps dans le statut de fondation – ou avec un supérieur ad nutum, ne peut que créer des problèmes.

 

            Ici comme en beaucoup d’autres circonstances, on perçoit de nouveau qu’un aspect important du génie cistercien est d’avoir trouvé un excellent équilibre entre l’autonomie des maisons et leur communion dans la charité.  Toute brèche à l’autonomie – aussi bien qu’à la charité – ne peut que créer des problèmes difficiles à résoudre.

 

 

Armand VEILLEUX