12 octobre 2003 – Chapitre à la Communauté de Scourmont

 

 

Le ministère de l’abbé (C. 33) (suite - 2)

 

3

Maître dans l'école du Christ, l'abbé veille à la fidélité des disciples envers la tradition monastique; il les nourrit tant de l'aliment de la Parole de Dieu que par son exemple. Qu'il ne néglige pas de se refaire lui-même, puisant à l'Écriture sainte et à la sagesse des Pères. Qu'il soit facilement accessible à tous les moines pour un entretien personnel.

 

            Nous continuons l’étude de la Constitution 33 sur « Le ministère de l’abbé », qui nous rappelle des données essentielles sur la communauté elle-même autant que sur le ministère de l’abbé.  Il s’agit en fait de la vision bénédictine, redite dans un langage un peu plus contemporain.  Deux aspects de ce ministère sont rappelés : le ministère de l’enseignement et celui de la guérison spirituelle.

 

            La première chose qui est rappelée, c’est qu’une communauté monastique est une école du Christ.  Cette expression est délibérément ambivalente.  « École du Christ » signifie tout aussi bien une école où l’on apprend à connaître le Christ qu’une école dont le Christ est le maître. En réalité le monastère est l’une et l’autre.  Nous devons sans cesse nous rappeler que nous sommes venus au monastère pour connaître de plus en plus profondément le Christ dans une relation personnelle.  C’est évidemment le Christ lui-même qui est le maître, le magister de cette « école », tout comme il en est le père. 

 

            L’abbé n’est pas un gourou qui transmet sa propre expérience, mais quelqu’un qui a la responsabilité d’aider ses frères à se laisser conduire à la connaissance du Christ par la règle commune, fruit de la sagesse d’une longue tradition.  C’est pourquoi il est dit dans notre Constitution que le rôle de « maître » qu’a l’abbé doit s’exercer d’abord en veillant à la fidélité des disciples envers la tradition monastique.  Lorsqu’un abbé transmet à sa communauté une spiritualité particulière qui lui est propre et forme une communauté à son image, nous ne sommes plus dans la tradition cénobitique et bénédictine.  Saint Benoît parle de la Regula magistra.  C’est en se laissant guider par elle que le moine est graduellement conduit à l’expérience spirituelle propre au moine.  Le « directeur spirituel » ou « l’accompagnateur spirituel » du moine dans la tradition bénédictine c’est tout d’abord la tradition monastique incarnée dans la Règle et les Constitutions.  C’est pourquoi on demande à l’abbé de « veiller » à la fidélité des disciples à cette tradition. 

 

            Comment y veille-t-il ?  Tout d’abord par l’enseignement, qui doit transmettre avant tout la Parole de Dieu, puis par l’exemple – un exemple qui n’a pas valeur normative en soi, mais uniquement dans la mesure où il exprime la richesse de la tradition. 

 

ST 33.3.A

Aux jours fixés, l'abbé s'adresse à toute la communauté et il commente fréquemment la Règle de saint Benoît.

 

ST 33.3.B

Que les frères approchent avec confiance leur abbé auquel ils peuvent librement et spontanément dévoiler les pensées qui surviennent en leurs cœurs. Que l'abbé cependant n'induise en aucune façon à l'ouverture de conscience.

 

            La tâche de l’abbé, peut-être de nos jours plus que jamais, comporte de nombreuses occupations.  Il court toujours le danger de se laisser ou écraser ou accaparer par ces occupations. C’est pourquoi il lui est rappelé qu’il ne doit pas négliger de « se refaire lui-même, puisant à l’Écriture Sainte et à la sagesse des Pères ».  On ne peut donner que ce qu’on a.

 

            La transmission de la Parole de Dieu et de la tradition se fait soit par des entretiens publics à la communauté, soit dans des entretiens personnels. En ce qui concerne les entretiens publics, il n’y a pas de norme quant à leur fréquence (certains abbés font le chapitre tous les jours, d’autres le font une fois par semaine) ; mais il est demandé qu’il y ait une certaine régularité – ce que signifie « aux jours fixés » (pour éviter que la fréquence soit trop tributaire des dispositions du moment). Pour les entretiens personnels, il est recommandé à l’abbé d’être facilement accessible aux moines pour un entretien personnel.  Par ailleurs le statut 33.3.B, qui accompagne cette Constitutions, veille, d’une part, à préserver de façon absolue la liberté de conscience.  Il est demandé, d’autre part, aux frères de s’approcher librement et spontanément de leur abbé et de lui ouvrir leur coeur ;  mais cette ouverture devant être totalement libre et spontanée il est interdit à l’abbé de la provoquer.

 

4

Sage médecin, l'abbé cherche à soigner ses propres blessures et celles d'autrui et à guérir au nom du Christ ceux qui sont meurtris par le péché. Surtout il doit déployer la plus grande sollicitude et s'empresser en toute sagacité et habileté pour ne perdre aucun des frères à lui confiés. Si c'est nécessaire il fait appel à des anciens ayant une expérience spirituelle. Par dessus tout il recourt à la prière de tous pour la guérison des faiblesses des frères.

 

 

            Le quatrième paragraphe de cette Constitution, reprend en quelques lignes tout l’enseignement de la Règle sur la correction des fautes.  Nous sommes tous blessés par le péché et nous avons tous besoin de guérison.  Le véritable médecin, celui qui peut nous guérir de tous nos péchés et de toutes nos faiblesses, c’est le Christ.  Il réalise cette tâche non seulement par le ministère de l’abbé mais aussi par l’attitude et les interventions de toute la communauté.  Comme dans la Règle, on rappelle ici à l’abbé qu’il doit veiller à guérir ses propres blessures, puis déployer une grande sollicitude afin de ne perdre aucun des frères qui lui sont confiés.  Il doit aussi savoir reconnaître les limites de son intervention.  Il peut arriver des situations où une intervention directe de sa part n’est ni possible ni recommandable :  il fait alors appel à des anciens ayant une expérience spirituelle.  Et, par dessus tout, il lui reste le moyen ultime de la prière.  Cela ne veut pas dire que lorsqu’il a essayé tous les moyens humains et que cela n’a pas réussi, il doit se tourner vers la prière.  Cela veut plutôt dire que la prière doit accompagner sans cesse toutes ses interventions depuis le début et qu’elle ne doit pas cesser, même lorsque tous les autres moyens semblent ne donner aucun résultat.

 

            Étant tous conscients de nos blessures et de nos besoins de guérison, prions les uns pour les autres et demandons à la Parole de Dieu de nous guérir.

 

Armand VEILLEUX