28 septembre 2003 – Chapitre à la Communauté de Scourmont

 

 

Le ministère de l’abbé (C. 33)

 

            Après le long chapitre sur la « Voie cistercienne », où nous avons traité de tous les aspects principaux de la spiritualité monastique, viennent les chapitres sur les divers services au sein de la communauté.  Et l’ordre des matières montre bien que tous les services en question, qu’ils soient de caractère personnel ou matériel, que ce soit celui de l’abbé ou du cellérier ou du père-maître, ont tous pour but de permettre à l’ensemble des frères de bien vivre tous les aspects de la spiritualité monastique dont nous avons traité jusqu’à maintenant.

 

            La première constitution de ce chapitre traite du ministère de l’abbé.  Le titre est déjà assez bien indicatif de la compréhension que l’on a, dans nos Constitutions du rôle de l’abbé.  Il s’agit essentiellement d’un « ministère », c’est-à-dire d’un service.  Ce service comprend de nombreux aspects, et l’abbé ne peut jamais remplir seul ce service, c’est pourquoi le même chapitre parlera de tous les frères qui ont l’une ou l’autre charge dans la communauté, puis de la consultation des frères soit dans le chapitre conventuel, soit dan le conseil de l’abbé.  Enfin on parlera de l’élection et de la renonciation éventuelle à la charge. 

 

            Ce chapitre, assez long, reprend les grandes lignes de ce que saint Benoît dit dans sa règle du ministère abbatial, spécialement dans les deux chapitres qu’il lui consacre explicitement, le chapitre 2 et le chapitre 64.  Dans les affirmations de ce chapitre qui dit, par exemple, que l’abbé est « maître dans l’école du Christ » ou « sage médecin »,  il ne faut pas voir une sorte de glorification de la personne de l’abbé, mais bien une indication de ce que celui-ci doit s’efforcer sans cesse de devenir sans jamais, évidemment, y réussir complètement.  (Ici, comme ailleurs dans nos textes législatifs contemporains, la forme grammaticale de l’indicatif est en fait un exhortatif.  Tout comme, lorsqu’on dit que « les frères gardent le silence », ce n’est pas la constatation d’un fait réel, mais une exhortation à garder le silence !)

 

            Avant tout, pour bien comprendre les affirmations de ces textes, en particulier celui affirmant que « l’abbé tient la place du Christ », il faut se souvenir que, dans la perspective de saint Benoît, le véritable abbé de la communauté, c’est le Christ.  C’est lui le père de la communauté.  Et il exerce cette paternité à travers le ministère de l’abbé, mais aussi à travers tous les autres services au sein de la communauté. 

 

            Tenant compte de ces remarques, lisons le premiers paragraphe de cette constitution :

 

C. 33                Le ministère de l'abbé

 

1

L'abbé choisi du milieu des frères reçoit son pouvoir de Dieu par le ministère de l'Église. Il est considéré comme tenant dans le monastère la place du Christ. Père de toute la communauté, il la sert tant au plan spirituel que dans le domaine temporel (cf. can. 596 ' 1 et 618 du CIC).

 

            Il serait illusoire d’essayer de classer la fonction abbatiale comme d’ailleurs tous les autres services dans l’Église, en termes de systèmes politiques.  La structure hiérarchique dans l’Église n’est ni une monarchie, ni une démocratie, bien qu’à toute époque déterminée l’exercice de l’autorité est toujours conditionné jusqu’à un certain point par la mentalité de l’époque. 

 

            Dans la structure monastique, telle que prévue par la Règle de saint Benoît, déjà au 6ème siècle, il y a un élément que l’on peut décrire comme « démocratique », étant donné que l’abbé est choisi, élu par ses frères.  Le texte dit qu’il est choisi « du milieu des frères ».  La situation la plus normale est qu’il soit choisi parmi les frères de la communauté locale ;  mais puisque l’Ordre est une grande communauté, tout membre de l’Ordre peut être également choisi.  S’il arrive de plus en plus souvent que l’abbé soit choisi parmi les moines d’un autre monastère, cela dépend sans doute d’une certaine précarité de nos communautés et de la réduction du nombre des membres de plusieurs communautés ;  mais je crois que cela dépend aussi de ce que nous sommes devenus plus conscient d’appartenir à un Ordre et aussi plus ouvert qu’autrefois aux diverses cultures.

 

            Si l’abbé est choisi par ses frères, ce ne sont pas eux qui lui confèrent son autorité (le texte latin dit « potestatem », que le mot français « pouvoir » ne rend pas adéquatement).  Il reçoit cette autorité de Dieu, puisqu’il est mis au service d’un groupe de frères réunis au nom du Christ en réponse à un appel reçu du Christ par chacun.  C’est la raison pour laquelle toute élection dans l’Église doit être confirmée par une autorité supérieure.  Dans notre Ordre, cette confirmation vient de l’Abbé Général.  Et comme cette tâche de confirmer les élections lui est donné par les Constitutions approuvées par le Saint Siège, on dit, à juste titre, que l’abbé reçoit son pouvoir de Dieu, « par le ministère de l’Église ».  La nature, l’extension et les limites de son autorité sont déterminées dans la Règle, interprétée pour aujourd’hui par les Constitutions.  Si ce sont les frères qui élisent l’abbé, ce ne sont pas eux qui déterminent la nature et les limites de son autorité.  Tous, abbés y compris, sommes soumis à la Règle que nous avons adoptée comme règle de vie au moment de notre profession.

 

            Notre texte offre ensuite un citation de la Règle : « (abbas) Christi vices in monasterio agere creditur »  La traduction française « Il est considéré comme tenant dans le monastère la place du Christ » est un peu faible. Le mot « considéré » ne rend pas le latin « creditur », qui implique que ce n’est que dans une vision de foi que l’on peut percevoir et accepter ce rôle.  De même l’expression « tenir la place du Christ » n’est pas très satisfaisante.  Personne ne peut « prendre la place du Christ ».  Mais, tout simplement, quelqu’un peut être l’instrument à travers lequel le Christ exerce sa paternité sur la communauté.

 

            C’est dans ce sens que l’abbé est – doit être – le « père de toute la communauté ».  Saint Benoît est très explicite sur ce point.  L’abbé ne peut pas être le père seulement de ceux avec qui il s’entend facilement, ou qui s’entendent facilement avec lui.  Il doit exercer la paternité du Christ envers tous, compte tenu des besoins de chacun et du caractère de chacun.

 

            De plus, dans le contexte monastique, assez différent sur ce point comme sur bien d’autres, de la plupart des congrégations religieuses plus récentes, le service de l’abbé s’étend à tous les aspects de la vie, au domaine temporel comme au plan spirituel.  Bien sûr, il devra déléguer et se faire aider, mais il est ultimement responsable de la bonne marche de tous les aspects de la vie communautaire.