Chapitre du 14 septembre 2003 à la Communauté de Scourmont

 

 

Le lien avec la hiérarchie de l'Eglise (C. 32)

 

Les moines entretiennent de bonnes relations avec l'Eglise particulière à laquelle ils appartiennent et avec son évêque auquel ils témoignent respect dévoué et révérence. Ils obéissent humblement au Souverain Pontife, Vicaire du Christ, comme à leur Pasteur suprême, également en raison du vœu d'obéissance.

 

            Le long chapitre 1 de la seconde partie de nos Constitutions, intitulé « La voie cistercienne » se termine par un numéro qui traite du « lien avec la hiérarchie de l’Église ».

 

            Cette Constitution a la caractéristique d’avoir été ajoutée en dernière heure lors de la rédaction de nos Constitutions.  Elle ne se trouvait pas dans les projets successifs de Constitutions qui furent étudiés par les communautés et les régions ni même dans la première version de nos Constitutions votée par les moines à Holyoke en 1984 et par les moniales à El Escorial en 1985.  Elle fut rajoutée à la suggestion de la Commission de droit avant la Réunion Générale Mixte de 1987 où elle fut votée à la fois par les moines et les moniales. Dans la proposition de la Commission de Droit, elle aurait été cependant non pas une constitution à part, mais un numéro ajouté à la Cst. 3 sur l’Esprit de l’Ordre.

 

            La raison pratique pour laquelle la Commission de Droit demandait d’introduire ce texte, c’est qu’elle était convaincue que le Saint Siège l’exigerait, puisqu’il semble qu’un texte semblable était alors ajouté à toutes les Constitutions des diverses Congrégations religieuses qui étaient présentées à l’approbation du Saint Siège.

 

            Ce texte comporte deux aspects distincts et complémentaires : la relation avec l’église diocésaine et la relation avec le Pape.  Il faut tenir compte du fait qu’à l’époque d’après-concile durant lesquelles nous rédigions nos Constitutions, c’étaient là deux questions brûlantes.  Certains instituts religieux ayant une activité apostolique dans le monde entier étaient très sensibilisés à certaines orientations de Vatican II, en particulier l’option préférentielle pour les pauvres.  Et ces activités n’étaient pas toujours conformes à la mentalité de tel ou tel évêque.  C’est ainsi qu’était apparu en 1978 un document important (Mutuae relationes) sur les relations entre les instituts religieux et les évêques locaux.  La première partie de notre Constitution cite le canon 678.1 qui est dans la ligne de ce document.  Il y a cependant ici une ambiguïté,  puisque le canon en question traite en fait de la dépendance des religieux à l’égard des évêques locaux, en ce qui concerne l’exercice de l’apostolat dans leur diocèse, ce qui n’est pas notre cas.

 

            Ce qui concerne la relation au Pape relève aussi d’une problématique de l’époque.  Certaines situations, en particulier en Amérique Latine, avaient conduit le Saint Père à souligner le fait qu’il était le supérieur suprême de tous les religieux et qu’il pouvait exiger d’eux l’obéissance même au nom de leur voeu d’obéissance.

 

            Qu’on doive avoir à l’égard du successeur de Pierre un profond respect et qu’on accepte avec obéissance toutes les directives qu’il peut donner en tant que pasteur suprême de l’Église, on le comprend et on l’accepte facilement.  Par ailleurs que le Pape soit considéré comme le supérieur religieux de chaque religieux, et donc de chaque moine et moniale, cela n’est probablement pas conforme à la compréhension qu’on avait eue jusqu’à notre époque de la vie religieuse et monastique comme d’un charisme dans l’Église.  Il est sans doute plutôt rare que le Pape intervienne directement comme supérieur religieux pour demander personnellement à quelqu’un de faire quelque chose au nom de l’obéissance.  Le cas le plus fréquent est sans doute lorsqu’il nomme un religieux évêque.  (Lorsque des problèmes se posent c’est plutôt lorsque des officiers des Congrégations romaines veulent exiger la même obéissance du fait qu’ils agissent au nom du Pape et exercent donc son autorité...). Il y avait d’ailleurs à la même époque la tendance en certains milieux de parler du Pape comme de l’ « évêque de l’Église universelle », alors qu’il est en fait « évêque de l’Église particulière de Rome » et, comme tel, responsable de la communion entre tous les évêques et responsable de « confirmer ses frères dans la foi ».

 

            De toute façon, la fidélité de notre Ordre au Saint Père n’a jamais fait de doute, ni créé de problème, quelles que soient les questions théologiques soulevées peut-être par ce texte.

 

            En ce qui concerne la relation avec l’Église locale, il y aurait sans doute une réflexion à faire.  Dans la période qui a précédé le Concile et le nouveau Code de Droit Canon, nous avions probablement trop tendance à souligner le fait que nous sommes « exempts » et ne dépendons donc pas des évêques locaux.  De nos jours il apparaît important de souligner notre appartenance à ne Église locale, diocésaine, quelques soient nos liens de dépendance « juridique » de celle-ci.

 

            Il sera important que nous revenions sur ce sujet, à la lumière de l’histoire.  Le « premier Cîteaux », comme cela apparaît clairement dans le Petit Exorde, fut très soucieux de se mettre sous la direction pastorale de l’évêque local, ce qui était une rupture avec la tradition cluniaque.  Par ailleurs, on doit constater dès la deuxième génération cistercienne le souci de dépendre directement de Rome, établissant une sorte de hiérarchie monastique parallèle à la hiérarchie épiscopale.

 

            Une évolution importante est en cours en ce domaine, et elle se poursuivra sans doute dans les années à venir.  Dans les pays de vieille chrétienté, où la présence monastique est depuis longtemps importante, le lien avec l’Église locale s’exprime souvent par l’intégration au moins de certains abbés dans les structures soit de l’Église diocésaine soit même au niveau des Conférences épiscopales.  Dans les Jeunes Églises, ce lien se vit de façon beaucoup plus simple à travers des liens d’amitié et de fraternité et la participation aux mêmes préoccupations souvent de caractère matériel tout aussi bien que spirituel.

 

            Si la solitude est aussi importante que jamais auparavant pour une authentique vie monastique, il est urgent de ne pas perdre de vue que la solitude est une qualité de relations et non une absence de relations.  La communion (koinonia) est une dimension essentielle de toute vie chrétienne.  La communion avec l’Église locale et avec l’Église  universelle, comme d’ailleurs avec la société civile, est une exigence d’authenticité. 

 

Armand VEILLEUX